LES SONDAGES ET LES ELECTEURS

 

 

 

Par Emmanuel Nkunzumwami
Auteur de « La Nouvelle Dynamique Politique en France »,
Editions L’Harmattan, Paris, Décembre 2007.

La génération des quadras et quelques quincas se rappelle du déroulement des élections présidentielles depuis 1981… En effet, le deuxième tour de cette dernière élection présidentielle opposait Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand. En dehors de la phrase magique de V. Giscard d’Estaing à F. Mitterrand « Vous n’avez pas le monopole du cœur », resté aussi mémorable que la réplique d’Arletti à Juvet dans l’Hôtel du Nord : « Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ». Les sondages avaient donné V. Giscard d’Estaing gagnant à tous les coups. Le résultat issu des urnes et affiché à la Télévision à 20H, -en déroulant lentement le visage de l’heureux élu- et annoncé par Jean-Pierre Elkabach : « TF1 Vingt Heures : François Mitterrand est élu Président de la République  ». Le slogan inventé par le publicitaire Jacques Séguéla «  François Mitterrand : La Force Tranquille  »  avait payé. Il l'avait déjà pressenti lorsque, pendant le débat télévisé, F. Mitterrand apostrophait Valéry Giscard d'Estaing en lui disant  « M. Giscard d'Estaing, je n'aime pas vos manières de vous adresser à moi. Vous n'êtes pas mon professeur, je ne suis pas votre élève. [...] Ici, vous n'êtes pas le Président de la République , vous êtes mon contradicteur ». Et Giscard d'Estaing était battu. Jacques Chirac était déjà éliminé au premier tour. Le canard enchaîné s’amusait alors à l’époque à qualifier le candidat Jacques Chirac de « Monsieur-même-pas-vingt-pour-cent ». Chiffre prémonitoire, car Jacques Chirac n’avait même pas atteint 19% au premier tour en 1981 ! Et en 2002, Jacques Chirac, même Président de la République , n’atteindra pas ces 20% au premier tour de l’élection présidentielle !

 

 Arrive l’élection d’avril 1988. Le publicitaire Jacques Séguéla réitère son succès par un autre slogan pour François Mitterrand, « François Mitterrand :  La France Unie » qui a fait des ravages. La victoire de François Mitterrand au second tour n’était alors qu’une formalité… Mais les sondages se sont largement trompés, notamment sur la remontée progressive de Jean-Marie Le Pen. Cet homme pèse maintenant bon an-mal an entre 14% et 18%. L’on peut sans se tromper fixer le score de Jean-Marie Le Pen à au-moins 15% au premier tour et essayer de recalculer les scores des autres candidats par rapport à ce score déjà acquis… A moins qu’il ne parvienne pas à réunir les 500 signatures de parrainages obligatoires mais ce serait une Grosse Erreur Politique pour la démocratie… Nous souhaitons tous qu’il ait ses signatures pour entrer dans l’arène, charge aux français de faire preuve de maturité et de responsabilité politique et citoyenne, et décider en toute conscience de l’avenir confiant de notre pays

 

 Le syndrome de 1995 ! L’essentiel du RPR de l’époque et l’ensemble de l’UDF se sont mobilisés pour Edouard Balladur, -qui était Premier ministre de François Mitterrand de mars 1993 à mai 1995, une place que lui avait concédé Jacques Chirac pour se consacrer à la préparation de l'élection présidentielle d'avril - mai 1995- alors que la Gauche socialiste et ses partenaires-associés s’étaient mobilisés pour Lionel Jospin. Dès février 1995, les amis RPR de Jacques Chirac lui suggéraient de renoncer à la candidature car, disaient-ils, « les sondages ont désigné Edouard Balladur gagnant au premier tour ». Les sondages consacraient le duel "Balladur-Jospin" au deuxième tour, et Balladur était toujours le favori des sondages pour occuper le Palais de l'Elysée en mai 1995 ! Jacques Chirac  a dû compter sur sa propre détermination et le soutien de quelques hommes politiques : Alain Juppé, Philippe Séguin, Alain Madelin et quelques autres mais peu nombreux !… Mais l’alchimie n’a pas fonctionné pour Edouard Balladur ! Et les Français se sont reconnus en Jacques Chirac. Pourquoi ? Mystère. Néanmoins, l'on peut relever des éléments rationnels qui ont largement joué en sa faveur. Jacques Chirac, dès février 1995, a « labouré » le terrain et rencontré les français « chez eux », dans leurs « cambouis », dans "leur vie quotidienne" et sur leurs « terrains vagues » de la misère et de la colère contre la France d’En-Haut qui décide à Paris ou à Bruxelles sans les consulter… Jacques Chirac, comme François Mitterrand, parle aux Français et leur promet de "Réduire la Fracture Sociale ".  Edouard Balladur était le favori des sondages, donc des milieux « favorisés » et « intellectuels » de la « France des Villes ». Le favori des chefs d’entreprises et des Hommes d’Affaires qui voyaient en lui, le représentant d’un libéralisme débridé et des "hommes qui gagnent". Cette France d’En-Haut, caricaturalement représentée par l’homme en « gants blancs » ne rencontrait pas celle d’En-Bas, des ouvriers d’usines, des petits artisans, des agriculteurs et des paysans, des employés, des chômeurs et des femmes au foyer qui élèvent parfois difficilement leurs enfants et qui ont beaucoup de mal à boucler les fins de mois. Le sondage téléphonique ou auprès des personnes qui sortent du « métro » ou qui empruntent le train et l’avion... s'adresse aux "gens" qui ne représentent pas forcément les 34 millions d’électeurs. Non. Plus de 30 millions d’électeurs n’ont jamais été sondés… donc le sondage n’est pas représentatif des français. C’est sûrement vrai pour la statistique qui suppose que les échantillons représentent les classes d’éléments homogènes (c’est mathématique !) pour attribuer la généralisation du résultat mais les êtres humains sont complexes, changeants et dynamiques. Nous représentons chacun nos problèmes spécifiques, nos peurs individuelles ou familiales, nos incertitudes du lendemain, nos attentes inassouvies, nos douleurs vives face aux discriminations et aux ségrégations, nos sympathies vis-à-vis de telle ou telle personne, nos affinités affectives, nos raisons ou nos sentiments de croire aux promesses qui nous sont soumises et nos compréhensions individuelles de l’environnement politique par rapport à nos propres attentes, à nos représentations et à nos projections dans l’avenir… Tous ces éléments sont ressentis individuellement et dynamiquement selon les personnes. Alors, les politologues diront qu’il ne s’agit que d’un « baromètre d’opinion ». Mais l’opinion de qui ? Et si les réponses sont déjà viciées, orientées plus vers la personne qui nous interroge que vers l’objet de l’interrogation ? Bref, les sondages donnaient Edouard Balladur gagnant en 1995… Mais en dehors des classes intellectuelles élevées, des milieux des affaires, et des déçus du socialisme aspirant à une profonde rupture vers le « libéralisme intégral », l’assise politique d’Edouard Balladur était très faible. Pourquoi ? Les français ont bien intégré l’article 1er de la Constitution  : «  La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. […] ». Edouard Balladur n’était pas de leur monde, pour la majorité des français. Il représentait l’arrogance caricaturale des patrons. Il ne parlait pas leur langage. Il paraissait très éloigné de leurs préoccupations quotidiennes. Il était en « gants blancs » pour serrer la main des « petites gens » qui le ressentaient comme un mépris et une humiliation à leur égard ! Et ils le disaient très haut. Mais la couche d'un vide énorme entre la France d’En-Haut et celle d’En-Bas absorbait le bruit qui ne parvenait pas au candidat. Jacques Chirac avait compris cette attente. Il a alors « labouré » tous les terrains de la France , rencontrant chez-eux les agriculteurs, les chômeurs, les petits artisans, les employés dans leurs entreprises, les ouvriers dans leurs usines, les étudiants dans leurs universités, etc… Il leur a parlé de la "Fracture Sociale" qu'ils vivaient eux-mêmes, en leur promettant de la résorber !  Il s’est approprié la phrase magique, désormais célèbre de celui que nous aimons tous, le Général de Gaulle, sur le balcon à Alger : « Je vous ai compris !». Il a fait une rencontre décisive entre un candidat à l’élection présidentielle et les français. Avec la rage d’un homme blessé, trahi, humilié, abattu par celui qu’il considérait comme son ami depuis « trente ans !». Cela nous rappelle encore le courage du Général de Gaulle ! Il est parti seul en juin 1940 à la reconquête de l’espérance des français. Il est revenu à Paris en 1944 acclamé par une foule immense sur les Champs-Elysées et à l’Hôtel de Ville. La leçon de 1995 ? L’élection présidentielle est une Rencontre Personnelle entre un Candidat et les Français. Les français ne votent pas pour un parti, mais pour un homme. Il doit les comprendre, les séduire, les rassurer, les approcher, leur parler…. Être franchement des leurs. Ainsi Jacques Chirac a gagné les cœurs et les voix des français pour se qualifier au premier tour en avril 1995, puis les a convaincus en nouant une sympathie et une proximité avec eux pour remporter le deuxième tour de cette élection en mai 1995 face à Lionel Jospin ! Ce dernier était sans doute plus vrai, plus technique, plus sincère, plus authentique…. Mais, il n’a jamais été perçu comme sympathique aux yeux des français : il ne riait pas, restait froid, représentait une gauche conservatrice et dogmatique. Il n’a pas convaincu les français avec son « droit d’inventaire » sur la période mitterrandienne. Le fils « a tué le père » pour exister dans le cœur des français mais les français l’ont rejeté. Il a donc été battu par Jacques Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle de 1995.  Et en 2002 ! Lionel Jospin était parti favori et les sondages lui ouvraient le tapis rouge pour le deuxième tour de l’élection présidentielle. L’on a alors assisté à un duel médiatique bien ordonné entre Jacques Chirac et Lionel Jospin. Assuré de son passage en formalités au premier tour, Lionel Jospin a effectué une campagne du second tour (déjà !). Il a commencé les attaques personnelles contre Jacques Chirac (comme s’il était déjà au deuxième tour !), le qualifiant d’homme « usé », « fatigué », « menteur » indigne de reprendre du service pour la France  ! Mais, il avait oublié que pour se battre au deuxième tour, il fallait d’abord gagner et se qualifier au premier tour. Il oubliait que les français n’en avaient déjà pas voulu en 1995 et qu’il fallait d’abord les séduire et conquérir leurs cœurs. Il fallait soigner son image et "être chaleureux". Mais, il s’est caché derrière «  le bon bilan économique ». Ce « bon bilan » ne parle toujours qu’aux électeurs d’Edouard Balladur, mais pas à la majorité des français d’En-Bas… Ce bilan ne pouvait pas parler aux employés et aux ouvriers dont le pouvoir d’achat n’avait pas évolué ; il ne pouvait pas convenir aux chômeurs et à tous les petits revenus qui tirent le diable par queue pour joindre les deux bouts du mois… Cette faille de communication entre Lionel Jospin et le peuple a été largement exploitée par les concurrents de la gauche plurielle et de l’extrême gauche. Le PC, les Verts, le MRG se sont désolidarisés avec celui qui les avait fait vivre et exister politiquement… Ce sont des anciens "amis politiques" qui l'ont fait chuter : Jean-Pierre Chevènement s’était rallié les "Gaullistes de Gauche" ; Noël Mamère s'est hypocritement opposé sur le nucléaire pour les Verts ; les communistes ont prétendu "mieux comprendre les travailleurs et ont fustigé le "social-libéralisme -intégré dans la Social-Démocratie  Moderne- de la ligne Jospin-Strauss-Kahn". Les alter-mondialistes se sont réveillés en poussant le plus jeune candidat à cette élection, encore inconnu du grand public, Olivier Besancenot. Et le MRG a tenté d'affirmer son existence dans le paysage politique français en lançant une torpille dans le dos de Lionel Jospin, Christiane Taubira. « Oh, oui ! Il n’y a pas d’amis en politique, il n’y a que des intérêts ». Finalement, sans scrupules, l’électorat traditionnel de la Gauche s’est dispersé sur l’ensemble des candidats de cette gauche atomisée. Et Lionel Jospin a ainsi été privé du deuxième tour de l’élection présidentielle…. Au profit d’un homme qui a sa niche d’électeurs assurée : Jean-Marie Le Pen. Au deuxième tour, contre toute attente de la science infaillible des sondages ! nous avons failli nous étrangler en constatant que l’Extrême Droit s’est imposée en challenger de la Démocratie Républicaine.

 

 En 2007, nous risquons le même combat et les mêmes erreurs. La Gauche sérieuse s’est ressaisie autour de Ségolène Royal. Dominique Voinet négocie son repositionnement au deuxième tour, que tous les médias présentent comme un duel entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Cela est vivement souhaitable. Mais quel est le jugement des Français ? Nul ne le sait à ce jour. Un simple conseil à nos candidats, et surtout à Nicolas Sarkozy : Aller à la rencontre des français chez eux, sur leur vie de tous les jours. Et Rassurer. Rassurer. Rassurer. Je préfère entendre le discours vrai d’un positionnement dans le « Social-Libéralisme » que dans le « Libéralisme intégral ». Promettez-nous que ceux qui ont les talents et les moyens d’entreprendre seront reconnus et aidés (réduction des charges, facilité de création d’entreprises, allègement de la fiscalité, etc..) mais aussi que la République aidera ceux qui n’en ont pas les capacités pour que chacun vive son bonheur dans le République. Et les français vous croiront, vous aimeront et voteront pour vous.

 

 Tous les candidats, et surtout Nicolas Sarkozy plus que les autres, ont le devoir de convaincre :

 

  1°) les nouveaux électeurs inscrits et participants pour la première fois à l’élection présidentielle, après une grande campagne organisée consécutivement aux derniers « événements des banlieues » de novembre 2005. Jeunes et anciens déçus de la politique se mélangent pour s’exprimer par les urnes ce qu’ils ne peuvent plus réclamer par la violence ou par l’indifférence. Il convient de les rassurer, les comprendre dans leurs douleurs et leurs angoisses, leurs quêtes de sens, les remettre debout, et les intégrer dans la République.

 

 2°) les abstentionnistes chroniques et les déçus des votes « blancs ou nuls » qui ne croient plus en la politique car les politiciens ne leur parlent plus, ne leur ressemblent pas, n’expriment par les réponses à leurs attentes, etc. Ce sont des orphelins sociaux qui ont besoin de « voir pour croire ». Mais comment voir si celui qui représente la France les ignore, au lendemain de l’élection ? Ils ont le sentiment d’être trahis, alors ils se révoltent et l’expriment par l’abstention et les votes perdus  ou « inutiles » pour tout le monde ! Il faut donc leur parler dans le langage qu’ils comprennent et parler à leur cœur.

 

 3°) les déçus de la Gauche « radicale », les socio-démocrates, les socio-libéraux, les "sociaux-démocrates modernes", les humanistes, les "français issus de l'immigration" et les européens du « NON » au référendum de mai 2005... C’est un ensemble « d’apparence incohérente » mais soucieux de construire la « France moderne » en Europe et dans le Monde. Il faut les rassurer sur l’Europe qui se définit avec une IDENTITE et des FRONTIERES géographiques "claires". Alors que Ségolène Royal continue d'étendre l'Europe de l'Atlantique à l'Oural, Nicolas Sarkozy préfère le partenariat privilégié avec la Turquie , et sans doute avec certains autres candidats du bassin méditerranéen. Il est en phase avec la majorité des français. Il rassure également que la France ne sera pas un modèle d’un « libéralisme intégral » qui écrase l’homme et son travail au profit du capital. Il s'intéresse à ces français issus de l'immigration devant lesquels la France tourne le regard quand elle les croise dans la rue, au travail, dans les espaces publics,... Ces français, objet de toutes les discriminations à l'emploi, à la promotion sociale, au logement, à la vie politique, dans les entreprises, dans les établissements publics, etc... Pourtant, ils participent à la construction de la France et voudraient tant que la France leur exprime de la reconnaissance...Mais qui prend en compte la contribution de chacun à l’effort de la Nation ? Qui ne veut laisser personne au bord du chemin pour autant que chacun exprime ses efforts pour entrer dans le train du développement de la France ? Ces "français divers" vont également  s'exprimer dans cette élection présidentielle.

 

 « Une Election Présidentielle est une rencontre entre le Candidat et le Peuple dans toutes ses composantes : de Gauche, de Droite, du Centre, de la minorité visible, de l’Extrême ». Cette relation se nouera à travers un contrat de cinq ans. Vous serez élus parce que la majorité des français se reconnaissent en vous et en vos projets ; et non parce que les sondages l’auront décidé.

 

   Vive la République. Vive la France.    

 

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