Depuis la crise économique et financière internationale déclenchée au cours de l’été 2007, les économies occidentales, des pays industrialisés historiques, ont été soumises  à l’épreuve. La croissance s’est effondrée dans la plupart des pays européens en récession, notamment en Europe du sud. Les puissances survivantes ont souhaité renforcer les coopérations et les régulations financières pour éviter une faillite en cascade des puissances industrielles. Aussi, la Chine est devenue le principal créancier du monde, en contrepartie de l’endettement de plus en plus accru des pays européens (la  France et l’Europe du sud, notamment) et les Etats-Unis. De l’organisation informelle du G7 (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie et Japon), le groupe des sept premières puissances industrielles mondiales historique, le monde est passé à un élargissement de ce groupe de décideurs sur douze autres nouveaux pays du club. Mais, le club s’est structuré en trois cercles concentriques. Dans le noyau, le G7. Dans le premier cercle, une sorte de G5, baptisé BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa). Le Brésil et la Chine réalisent des excédents commerciaux considérables et peuvent prêter à l’Occident. La Russie est toujours une puissance militaire et énergétique (notamment puissance gazière mondiale alimentant l’Europe) ; elle est de facto incontournable pour réguler les économies mondiales. L’Inde est une puissance montante, alternative à la Chine pour les placements rentables, et une puissante ressource de main-d’œuvre qualifiée dans les services et la haute technologie. Et enfin, l’Afrique doit être représentée, puisqu’elle constitue la réserve mondiale des matières premières. Un représentant fiable doit être une grande démocratie et une puissance économique du continent, c’est l’Afrique du sud. Et le BRICS est constitué sur des bases économiques, industrielles, financières et géopolitiques. Dans le deuxième cercle se situent les pays en forte progression de croissance ou principaux fournisseurs de ressources énergétiques indispensables à l’équilibre économique mondial.

Les déterminants économiques, industriels et géopolitiques sont toujours présents dans le choix des partenaires stratégiques.  L’Afrique ne pèse pas grand ’chose, donc l’Afrique du sud suffit à représenter le continent. Mais en Amérique du sud, le Mexique et l’Argentine s’invite à la table des grands. En Europe, on associe l’Espagne, cinquième puissance économique derrière l’Italie. Mais elle n’est qu’invitée car l’Europe est déjà surreprésentée, mais c’est elle qui le plus besoin du reste du monde pour se relever de la crise qui secoue ses économies. L’Asie est représentée par la Turquie (incontournable  pour la stabilité du Moyen-Orient en ébullition permanente), l’Arabie Saoudite (représentant les producteurs-exportateurs de pétrole, principal partenaire des Etats-Unis et du Royaume-Uni dans le monde arabe), la Corée du sud (puissance industrielle mondiale montante), et l’Indonésie. En Océanie, l’Australie, première puissance de cet océan, rejoint le cercle. L’Union européenne, représentée par le président de la Commission européenne, en tant qu’entité juridique, ferme la marche. La terre entière est alors représentée et l’on peut y discuter de l’équilibre du monde, de la régulation financière internationale, les solutions au réchauffement climatique et parfois des conflits qui se déclarent dans certaines régions du monde.

Dans cette nouvelle redistribution de la cartographie géopolitique mondiale, on y distingue les pays industrialisés historiques (c’est le G7), les puissances industrielles concurrentes (ce sont les BRICS) et les puissances émergentes (c’est l’AMACITA). L’Afrique n’est donc pas globalement bien représentée dans ce nouvel équilibre géopolitique mondial. Et pour exister, certains pays se déclarent sur la voie de l’émergence. Il faut faire de ce concept un instrument de communication pour se faire entendre. Cependant, la réalité africaine est toute autre. N’est pas émergent le pays qui se le dit, mais celui qui remplit les conditions de « puissance potentielle » pour peser sur les décisions et les orientations géopolitiques du monde. Mais les pays africains sont éparpillés, pauvres, petits sur le poids démographique vu du marché de la consommation occidentale, gouvernés dans des institutions faibles, et n’ont pas encore la capacité suffisante pour peser sur le cours de l’économie et de la sécurité mondiale. Ils ont alors tort de se lancer individuellement dans la rhétorique de l’émergence, puisqu’ils doivent d’abord résoudre les problèmes de base pour leurs peuples avant des projeter dans les compétitions mondiales qu’ils n’ont même pas les moyens de maîtriser.

Nous allons analyser les handicaps qui pèsent sur les pays africains qui se disent « en cours d’émergence » ou « émergent à moyen terme » ou encore « émergents vers 2020-2030 ». Avant de sauter dans le fauteuil du pouvoir en criant au monde que l’on devient émergent, on devrait se poser cinq bonne questions : 1°) quelle est ma taille en ressources humaines et mon marché intérieur pour rivaliser avec les vraie grandes puissances mondiales. 2°) quelles sont mes ressources naturelles disponibles pour créer la richesse de la nation. 3°) quel est le niveau de l’éducation et de l’appropriation des savoirs et des savoir-faire pour maîtriser les chaînes de valeur qui fondent la solidité de l’économie nationale. 4°) quelle est la demande intérieure du peuple à laquelle je dois satisfaire pour son bien-être. 5°) quels sont mes partenaires africains et internationaux dans l’accélération du développement économique et social. Nous rappelons que le prérequis du développement, pour toutes les nations, repose sur la sécurité et la paix durable (sécurité des territoires, sécurité des peuples, et sécurité des institutions).  A ces cinq questions, nous proposons une grille d’analyse, basée sur les indicateurs des agences des nations unies, pour quelques pays candidats à la communication politique sur l’émergence.

 

Indicat 1

Indicat  2

Indicat 3

Indicat 4

Indicat 5

 

Pop

2013

Popul

Capitale

PIB 2013

US$

TMM5

/1000

Taux

Fécond

 

x10 6

 

x10 9

2012

(15-49)

Angola

18,6

4,50

124,0

164,0

5,4

Côte Ivoire

22,4

12,80

28,4

108,0

3,6

Cameroun

20,5

2,50

27,9

95,0

4,8

Gabon

1,6

0,58

20,0

62,0

4,5

Sénégal

13,3

2,90

15,4

60,0

4,5

Congo

4,5

1,40

14,3

96,0

4,7

           

Ghana

25,2

2,50

45,6

72,0

4,1

Kenya

44,0

3,20

45,3

73,0

3,5

Tanzanie

48,3

3,50

31,9

54,0

4,9

Ouganda

34,8

1,80

22,6

69,0

6,0

Botswana

2,1

0,25

15,5

53,0

2,4

Zimbabwe

13,2

1,80

10,5

90,0

3,6

           

Nigeria

174,5

15,30

502,0

124,0

5,3

South

Africa

48,6

4,80

353,9

45,0

2,2

Ethiopie

98,9

4,80

47,3

68,0

5,2

Iran

79,8

10,60

411,9

18,0

1,8

           

Brésil

201,0

3,80

2 190,0

14,0

1,8

Mexique

116,2

9,50

1 327,0

16,0

2,3

Argentine

42,6

14,50

484,6

14,0

2,3

Indonésie

251,2

9,70

867,0

31,0

2,2

           

Maroc

32,6

4,100

104,8

31

2,2

Algérie

38,1

6,200

215,7

20

2,8

Nous allons considérer que l’Afrique du sud (pour le continent africain), l’Iran (pour  l’Asie), le Brésil, l’Argentine et le Mexique (pour l’Amérique latine) sont des pays émergents de référence pour l’Afrique. Sur l’indicateur 1 : le niveau de population est une ressource économique considérable. Des pays émergents, pris pour référence pour l’Afrique, totalisent entre 42,6 millions pour l'Argentine à 201 millions d’habitants pour le Brésil. En Afrique, certains pays au-delà de 40 millions d’habitants pourraient y prétendre, mais sûrement pas les pays de moins de 20 millions d’habitants, car le marché intérieur duquel on puise les ressources humaines pour entretenir l’activité des secteurs variés du développement, ainsi que pour la consommation intérieure comme l’un des piliers de l’économie, n’est pas suffisant. Aucune puissance économique conquérante ne pourrait développer des activités stratégiques dans un pays à faible niveau de consommation. Elle en constitue un territoire "périphérique" associé. En comparaison avec les nouveaux pays émergents les plus actifs dans la mondialisation,  Chine-Inde-Brésil-Russie-Mexique, les pays africains ne seraient significativement présents dans la compétition qu’à partir de des ensembles de 100 millions d’habitants au minimum, soit environ la taille du Mexique. C’est dans cette même logique que l’Union européenne se consolide avec ses 500 millions d’habitants face aux Etats-Unis avec 316,7 millions d’habitants, la Chine avec 1.349,6 millions, l’Inde avec 1.220,8 millions, la Russie avec 142,5 millions ou le Japon avec 127,2 millions qu’aucun pays européen isolé ne peut nullement atteindre. D’où, l’Afrique du sud, seul pays véritablement émergent, devra s’appuyer sur l’Afrique australe pour confirmer sa présence durable dans l’économie mondiale. L’indicateur 2 fait apparaître l’insuffisance de l’aménagement du territoire. Si un pays concentre plus de 30% de sa population dans une seul agglomération, il crée lui-même un handicap au développement. Il serait amené à concentrer ses maigres ressources à cette agglomération, créant lui-même les déséquilibres dans la distribution de l’offre publique d’éducation, de santé, d’infrastructures de communication, de logement, et des équipements économiques de production. Les pays tels que la Côte d’Ivoire, le Gabon ou le Congo se distinguent dans ce handicap de développement économique régional par la déconcentration des populations et leur redistribution dans le pays. Néanmoins, la population d'Abidjan, la principale ville de la Côte d'Ivoire, est équivalante à celle de tout le Sénégal. Les pays de l'Afrique occidentale n'ont d'avenir qu'en se constituant en "Espace économique et monétaire régional".  L’indicateur 3 pointe à la fois l’insuffisance d’exploitation et de valorisation des ressources naturelles des pays et la taille modeste des pays riches. Aussi, la première économie africaine en 2013, le Nigeria n’atteint que 502 milliards de dollars avec 174,5 millions d’habitants, lorsque l’Iran vient se placer entre ce pays et l’Afrique du sud, réalisant 411,9 milliards avec seulement 79,8 millions d’habitants. L’argentine avec ses 42,6 millions réussit à produire 484,6 milliards contre la deuxième économie africaine, l’Afrique du sud avec ses 48,6 millions produisant moins que l’Argentine pour 353,9 milliards de dollars en 2013. L’on comprend ainsi que l’insertion de l’Afrique du sud dans les BRICS est un arrangement géopolitique pour apaiser la colère des Africains face à la mondialisation. L’indicateur 4  s’adresse à la population et à la capacité du pays à développer la prévention médico-sanitaire et à préserver la population contre les épidémies, l’insalubrité, les conditions de vie et d’alimentation, le suivi médical des populations, et en particulier les mères et les enfants. Il se traite avec l’indicateur 5 assurant le taux de remplacement des générations. Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans (TMM5) indique les conditions médico-sanitaires du pays. Aussi, dans de véritables pays émergents, sans évoquer les pays industrialisés historiques où la mort d’un enfant est déjà un drame national, ce taux est inférieur 30 enfants sur 1000 de cette catégorie d’âge.  L’Afrique du sud est encore à un taux de mortalité de 45. Le Maroc atteint le niveau de l’Indonésie avec 31 pour 1000 enfants de moins de 5 ans. Mais dans les pays qui prétendent se classer dans le groupe de pays émergents, tels que l’Angola (164), le Nigeria (124), la Côte d’Ivoire (108), ils sont déjà disqualifiés sur cet indicateur. Le Congo (96), le Cameroun (95), le Kenya (73), le Ghana (72), l’Ouganda (69), le Gabon (62) ou le Sénégal (60), ils se placent encore largement au-dessus de 50 enfants qui meurent sur 1000 de moins de 5 ans. La logique naturelle d’assurent la croissance par les naissances plus importantes comme le montre l’indicateur 5 sur le taux de fécondité n’est pas une solution. Au-delà de 3 enfants par femme en âge de procréer (15 à 49 ans), il se pose un autre problème de scolarisation de ces enfants. C’est le cas d’un très grand nombre de pays africains. Tous les pays émergents pris pour exemple dans ce document présentent un TMM5 inférieur à 30 et un taux de fécondité inférieur à 3, à l’exception de l’Afrique du sud, située en zone frontière pour le TMM5. Que l'on ne considère surtout pas que, si le taux de mortalité infantile est trop élevé, il faille produire plus d'enfants par femme pour assurer le remplacement. En raisonnant ainsi, on alourdit le poids des familles, souvent très pauvres. On rajeunit vertigineusement la population avec d'importants besoins médico-sanitaires, scolaires, alimentaires, d'encadrement et d'emploi. L'on aggrave ainsi le problème d'éducation, de soins et d'encadrement de la jeunesse, et l'on accélère mécaniquement la mortalité des jeunes enfants par insuffisance alimentaire et de soins médico-sanitaires.

Sur les cinq indicateurs des comparaisons  internationales, seule l’Afrique du sud atteint le niveau des pays émergents comparables, tels que l’Iran ou l’Argentine. Pour les autres, il convient de travailler d’abord sur ces fondamentaux indiqués qui constituent des éléments du socle du développement économique et social. Enfin, la taille de ces pays, en comparaison avec les compétiteurs mondiaux, ne leur permet pas de se projeter dans une compétition isolée dans la mondialisation. Chacun doit se projeter dans un espace plus large et plus important pour constituer des espaces économiques régionaux, pesant plus de 100 millions d’habitants et plus de 1000 milliards de dollars, pour se faire entendre par les autres véritables puissances. A ce titre, les monnaies nationales des pauvres petits pays seront toujours faibles et donc inopérantes dans l’économie mondiale ; les armées nationales n’ont  aucune capacité à défendre les territoires nationaux en cas d’attaque extérieure. Seules les armées régionales et les monnaies uniques au sein des espaces régionaux, bénéficiant de la mise en commun des ressources humaines, matérielles et financières, auront la capacité à long terme de faire émerger les pays africains. Les crises au Mali, en Côte d’Ivoire et en Centrafrique sont des démonstrations actuelles de ces incapacités nationales à faire face à des crises locales consécutives à des violences armées. Les questions d'émergence par le développement économique et social sont très sérieuses pour les confiner à des postures électoralistes de quelques dirigeants à la recherche de notoriété, et des petites actions isolées en oubliant des fondamentaux. En conclusion, les espaces émergents en Afrique devront :

  • Compter plus de 100 millions d’habitants ;
  • Se doter des grandes agglomérations ne dépassant pas 20% de la population totale de l’espace régional ;
  • Atteindre une richesse globale d’au-moins 1000 milliards de dollars comme objectif ;
  • Atteindre un taux de mortalité infantile des enfants de moins de 5 ans comparable à celui des autres pays émergents, c’est-à-dire un TMM5<20 pour 1000 enfants ;
  • Organiser un planning familial et des efforts médico-sanitaires pour abaisser le taux de fécondité à moins de 3 enfants par femme en moyenne.

Parmi les pays usant du slogan de pays émergents, seule l’Afrique du Sud constitue une base pour se constituer un espace africain pouvant prétendre à intégrer le groupe des pays émergents. Il ne suffit pas d'annoncer que l'on devient un pays émergent, pour attirer quelques investisseurs, mais il convient par priorité de s'attaquer aux véritables handicaps qui freinent le développement économique et social local. Etre un pays émergent ne se décrète pas  c'est une observation au regard des comparaisons internationales du niveau de développement économique et social, et de la capacité à peser sur les grands équilibres mondiaux.

 

Emmanuel Nkunzumwami

Analyste économique et politique.

LES PAYS EMERGENTS EN AFRIQUE : UNE COMMUNICATION  POLITIQUE SANS STRATEGIE GLOBALE (Partie I)
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