Par Emmanuel Nkunzumwami
Auteur de « La Nouvelle Dynamique Politique en France »,
Editions L’Harmattan, Paris, Novembre 2007.
Une étude réalisée par le cabinet américain Boston Consulting Group (BCG) et rendue publique mardi 4 décembre 2007 alerte sur la conquête internationale des Grandes Multinationales appartenant aux entreprises des pays émergents. En restreignant l’étude sur la liste des TRENTE pays émergents (à développement rapide en fonction des critères macro-économiques de PIB, Exportations, Balance des paiements, Investissements réalisés à l’Étranger), QUATORZE émergent effectivement. Ce sont : en Asie : la Chine, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande et la Turquie. En Amérique latine : le Brésil, le Mexique, l’Argentine et le Chili. En Europe : la Hongrie, la Pologne et la Russie. Et en Afrique : l’Égypte.
Dans ces pays retenus, le Cabinet choisit les entreprises ayant réalisé en 2006 une chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard de dollars (680 millions d’Euros) et ayant une activité à l’international à travers les réseaux de distribution, les centres de recherche et développement. Le Cabinet en retient donc 100 premières entreprises à vocation internationale qui vont modifier le paysage de la mondialisation des échanges économiques et commerciaux. Sur ces 100 entreprises multinationales appartenant aux pays émergents, 41 sociétés sont Chinoises ; 20 sont Indiennes ; 13 sont Brésiliennes ; 7 sont Mexicaines ; 6 sont Russes ; 13 appartiennent aux neuf autres pays émergents retenus. Ces 100 premières multinationales des pays émergents ont réalisés ensemble 1200 Milliards de dollars en 2006, une rentabilité opérationnelle (rapport du résultat opérationnel sur le chiffre d’affaires) de 17% et affichent une croissance annuelle moyenne de 29% entre 2004 et 2006. Ces entreprises couvrent tous les secteurs d’activités, de l’extraction des matières premières (des minerais, du pétrole et du gaz) aux constructions électromécaniques, à l’agro-alimentaire, à la chimie, à l’automobile, aux télécommunications et aux services informatiques. Les plus mondiales reconnues sont : CEMEX (dans la cimenterie, Mexique), CIMC (dans la navigation, Chine), COTEMINAS (dans le textile, Brésil), KOÇ (dans les équipements de la maison, Turquie), TCL (dans le matériel électronique, Chine), GERDAU STEEL (dans la sidérurgie, Brésil), LUKOIL (dans le pétrole, Russie), THAI UNION FROZEN PRODUCTS (dans l’agro-alimentaire, deuxième fabricant mondial de thon en boîte, Thaïlande), PETROCHINE (dans le pétrole et le gaz, Chine), BHARAT FORGE (dans la métallurgie et les pièces automobiles, Inde). Ainsi ces 100 premières multinationales des pays émergents se répartissent à 34% dans l’Industrie, 17% dans l’exploitation des matières premières, 14% dans les industries agro-alimentaires et cosmétiques, 14% dans les biens de grande consommation et 21% dans des activités diverses. On comprend leur importance dans la compétition économique mondiale dans leur choix de 65% de leur positionnement dans le secteur industriel amont (matières premières) et aval (fabrications industrielles). Seuls 21% sont constitués d’entreprises opérant hors secteur industriel. Ils confirment notre vision héritée du 19ème siècle et renforcée par l’économie du 20ème siècle qu’il n’y a d’économie solide d’un pays qu’industrielle : de la matière première à sa transformation et à la fabrication de produits industriels, de laquelle découle les activités de services. Notons que l’activité agro-alimentaire occupe 14% de ces multinationales : elles ont compris que plus de 6,3 milliards d’êtres humains sur la planète auront toujours besoin de se nourrir ; c’est le besoin élémentaire premier de tout être vivant.
Dès lors que nous remarquons que le Monde se désoccidentalise à une très grande vitesse, que doit-on retenir ?
1°) Tous les pays du Monde renforcent leurs capacités industrielles pour asseoir une base solide et durable de leur économie devenue mondialisée. Les nouveaux rythmes de croissance économique mondiale viennent alors de l’Asie : Chine, Malaisie, Indonésie, Singapore, Inde, Thaïlande, Turquie principalement. ; de l’Amérique Latine : Brésil, Mexique, Argentine, Chili et de l’Europe de l’Est : Hongrie, Pologne, Russie. En Afrique, on peut inclure l’Égypte, le Maghreb et l’Afrique du Sud. Ainsi le Monde économique est devenu MULTIPOLAIRE.
2°) La compétitivité mondiale est de plus en plus assise sur les coûts de revient de mise à disposition des produits aux clients finaux. La rotation technologique vertigineuse inconnue dans l’histoire de l’Humanité, à la quelle nous assistons, amène le client final –donc le consommateur- à arbitrer sur trois critères de choix : le Prix, la Qualité, la Longévité. Dans tous les cas, le juge de paix est la durée de vie de la technologie. Ce phénomène est observé quotidiennement sur les produits technologiques tels que les téléphone portables (dont la durée de vie est d’environ 3 mois aujourd’hui en Occident), les téléviseurs (longtemps préemptés par les écrans de tube cathodique, ils évoluent tous les ans avec les nouveaux types de technologies d’écran : LCD, Plasma, HD, etc.), les automobiles (la durée du vie des voitures est d’environ deux ans, avec de nouvelles offres commerciales de leasing permanent permettant d’acquérir une voiture neuve tous les deux ans !), les ordinateurs (dont les technologies et les mémoires évoluent tous les six mois, autant sur les unités centrales que sur les écrans de visualisation intégrant les contraintes croissantes de l’internet à très haut débit, à la réception des images de télévision à haute définition et à la gestion des transactions multimédias). Cette rotation technologique influe directement sur les Prix : le client achète de moins en moins cher car il est convaincu que son achat est de courte durée et que son produit n’a qu’une petite durée de vie ; sur la Qualité : le client compare la qualité offerte par rapport à ses usages personnels, si bien que le produit se personnalisent de plus en plus avec le choix offert sur certains produits de composer soi-même les éléments de son produit dans l’automobile, dans l’informatique, etc. ; et enfin dans sur la Longévité des produits qui n’a qu’une valeur relative, dès lors que le client est convaincu ou est informé par la presse spécialisée que le produit acheté n’est qu’un modèle en cours d’amélioration et que les produits de substitution sont derrière, dans les usines ou dans les centres de recherche et développement. Alors pour répondre l’équation : Produits vendables = Produits (bas prix, haute qualité, durée de vie moyenne), les industriels des pays émergents travaillent sur les « Coûts de Revient au Client Final », c'est-à-dire le coût de revient à la distribution du produit entre les mains du client. Plusieurs choix sont offerts : réduction des coûts de revient de production et de logistique, notamment en jouant sur les prix dérisoires des matières premières et de la main-d’œuvre, et en rapprochant les centres de production au client final et éviter ainsi les coûts de logistique et les coûts de rupture de stock. La société indienne Bharat Forge s’est hissé au deuxième rang mondial des pièces forgées de l’automobile en disposant ses centres de production près de ses clients en Inde, en Allemagne, en Suède, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Chine et bientôt en Haute-Marne en France pour servir Peugeot-Citroën et Renault via sa filiale SIFCOR. Dans d’autres domaines, on réduit les « coûts de revient au client final » en externalisant le stock mutualisé et en personnalisant les commandes. C’est le choix de certains fabricants d’ordinateurs qui gèrent les commandes par internet, tel que Dell Computer, ou les accessoiristes de la téléphonie qui adaptent les modèles aux commandes reçus de leurs clients opérateurs mutualisant leurs stocks externalisés.
3°) La compétitivité par les coûts induit des problèmes sociaux en Occident. Dès lors que les multinationales des pays émergents imposent le rythme de la compétitivité, sachant que les coûts de matières et de main-d’œuvre sont très bas dans leurs pays d’origine, comment adapter le coût de la main-d’œuvre occidentale. Entre un smicard chinois qui se contente de 30€ par mois pour travailler 10 heures par jour et un smicard français qui exige 1400€ par mois pour travailler 8 heures par jour, l’industriel aura vite fait son choix de la délocalisation, selon la nature de son activité et la densité de son marché. Plus le client dispersé dans le grand public à travers le monde, plus l’industriel aura tendance à localiser ses centres de production à des endroits qui lui assurent les plus bas coûts possibles pour vendre le moins cher possible face à ses concurrents. Et s’il peut atteindre ses clients par internet, il n’hésitera pas à recevoir leurs commandes directement par ce média et ainsi se dispenser de constituer des stocks avec des risques de coûts de gestion supplémentaires et d’obsolescence. Le salaire ou la rémunération des ressources humaines devient une composante stratégique mondiale des multinationales. Elle devient d’autant plus pertinente que les multinationales des pays émergents envahissent progressivement et très rapidement le paysage économique et commercial mondialisé.
4°) Le Monde est de plus en plus soumis aux dumpings. Après le dumping social connu des pays d’Afrique et du Sud-est asiatique, où les salaires des employés sont très dérisoires, on assiste une nouvelle forme de compétitivité par le dumping monétaire et diplomatique. Le dumping monétaire est pratiqué par les pays qui « laissent » volontairement se dévaluer leur monnaie par rapport au dollar, institué comme monnaie de référence dans des échanges internationaux. Ainsi les exportations deviennent compétitives sur les marchés extérieurs par la baisse corrélative des prix de vente à leur monnaie sans que le comptable et les salariés du pays d’origine enregistrent une quelconque modification des valeurs de leurs rentrées d’argent. Le dumping diplomatique est la nouvelle et très dangereuse déstabilisation du Monde. A qui sert de sanctionner économiquement l’Iran, si les pays qui le soutiennent, la Russie et la Chine, continuent de l’aider dans ses aventures nucléaires en échange du pétrole à bas prix. A quoi servent les sanctions internationales contre le Soudan dans le soutien à la guerre du Darfour, puisque ce pays achètera des armes dans les pays émergents à bas prix, y compris des armes d’occasions qui prolifèrent sur le marché mondial, et les paiera avec les recettes de son pétrole exploité par les Chinois. Enfin, le Président Nicolas Sarkozy, dans son discours à Alger le 4 décembre 2007, confirme les contrats de 5 milliards en faveur des entreprises françaises pour « aider l’Algérie à se diversifier et à sortir de la monoculture du pétrole et du gaz et à créer plusieurs milliers d’emplois ». C’est le comportement habituel des grandes multinationales occidentales : créer de la valeur ajoutée dans le pays d’accueil, exporter la technologie et le savoir-faire occidental, et créer des emplois pour des millions d’habitants des pays du Sud. Mais les entreprises chinoises qui s’installent en Afrique n’apportent que de l’argent alors que la Chine fournit un soutien politique et militaire au pouvoir local. Pas d’accroissement de valeur ajoutée dans les pays fournisseurs de matières premières où elle s’installe, pas d’apport de technologie et de nouveaux savoir-faire distinctifs, pas de créations d’emplois. La Chine s’exporte avec ses Chinois dans tous les pays où elle opère. La main-d’œuvre est donc chinoise, et la valeur ajoutée retourne en Chine pour créer de l’avantage compétitif par les prix à l’exportation. Cela risque de déséquilibrer l’ensemble des échanges économiques, en appauvrissant davantage les pays du Sud et en enrichissant les actionnaires des entreprises des pays émergents, tout en détruisant la valeur des entreprises des pays industrialisés historiques. Car les Multinationales des pays émergents compriment les coûts de revient au client final au maximum mais se rapprochent des prix du marché pour vendre leurs produits en Occident, réalisant ainsi les plus grosses marges commerciales brutes du marché mondial, au profit des dirigeants et des actionnaires de ces entreprises. Les États peuvent alors se saisir de ces revenus et des excédents commerciaux ainsi créés pour financer des politiques dangereuses, des guerres, des déstabilisations des pays producteurs de matières premières, et créer des déséquilibres du Monde d’aujourd’hui. De ce point de vue, l’Occident et l’ensemble des pays démocratiques on un devoir salutaires se veiller à ce que les « pays émergents non démocratiques » ne profitent pas de leur puissance économique pour perturber l’ensemble de la paix du monde, toujours fragile, et soutenir des régimes dangereux pour l’équilibre de la planète. Enfin, ils doivent veiller au respect de l’équilibre écologique. Le développement industriel rapide des pays émergents ne doit par se faire aux dépens de l’équilibre de l’environnement. C’est une forte exigence pour la survie des vies sur cette planète où la pollution et les gaz à effet de serre n’ont pas de frontières. Un Monde multipolaire n’est sous contrôle de personne, donc est sous contrôle de tout le monde.
Trois principaux Pôles économiques mondiaux devraient ressurgir pour REGULER l’état du Monde et empêcher sa dérive : destruction de l’environnement et des espèces vivants sur la planète, dégradation des conditions de vie des habitants, prolifération des guerres et des conflits armés grâce à la circulation de l’argent et à la dissémination des armes dans le Monde, enrichissement excessif des détenteurs de capitaux et appauvrissement mortel d’une majorité des habitants de la planète. Il faut donc des puissances de moralisation dans la mondialisation. La puissance économique et militaire des États-Unis lui confère la responsabilité de l’avenir de la planète. La puissance économique industrielle historique de l’Union Européenne et de la Russie leur assure une place de « sage » et de régulateur des évolutions du Monde moderne. La formation du nouveau pôle en Asie doit permettre de distribuer les puissances sur les continents et responsabiliser davantage la Chine dans sa conquête du Monde. Le pôle multiforme : Japon, Corée du Sud, Chine, Inde doit s’investir de ce devoir de contribution à l’équilibre et à la distribution des richesses dans le Monde pour lui éviter des catastrophes. Les autres pays ne peuvent que s’inscrire dans le sillage des ces pôles. L’un des devoirs économiques et sociaux immédiats est l’équilibre écologique mondial qui doit s’accompagner de l’évolution générale des conditions de vie des habitants de la planète. Ils doivent donc tirer le niveau des revenus des populations vers le haut, plutôt que de jongler sur les coûts en tirant tous les revenus salariaux vers le bas dans la compétition de la main-d’œuvre dans le monde à travers le jeu des délocalisations.
Un autre domaine de contrôle dans le nouveau désordre économique mondial est l’armement. En 2006, la France est restée 4ème exportateur de matériels d’armement dans le monde, derrière l’Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie. Il conviendra que, dans ce domaine comme dans celui des voies qui conduisent les Etats « pas sûrs » à se doter des armes de destruction massive, où la vie des êtres humains est en danger, le devoir de vigilence soit accru de la part des exportateurs et des fournisseurs de technologies d’armements. Pendant dix dernières années, de 1996 à 2006, les quatre principaux exportateurs d’armement représentaient 85% du marché mondial. Si on rajoute l’Allemagne et Israël, la part de marché devient 90%. Nous approchons 100% en intégrant les derniers « petits » fornisseurs d’armes que sont la Chine, l’Italie, l’Espagne, la Suède, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Corée du Sud. De ces derniers fabricants et exportateurs d’armes et fournisseurs de technologies d’armements, seule la Chine n’a pas encore choisi la voie de la Démocratie et de l’ouverture de ses marchés. Mais le marché des armements est très attractif et de nombreux pays émergents voudraient y prendre leurs parts. En effet, il pesait 55 Milliards d'Euros par an jusqu'en 2005 et il a bondi à 65 Milliards d'Euros en 2006. Les Etats-Unis s'adjugent 55% du marché mondial et l'Europe ne représente que 30% dont la France (avec 5,74 Milliards de commandes en 2006). Néanmoins, tant que ce marché demeure fermé sur un nombre restreint d'exportateurs responsables, les régulations se font par des refus de ventes à certains pays jugés dangereux : la France qui reçoit entre 4000 et 6000 contrats d'armements en a refusé 85 en 2006. Si le marché des armes se mondialise comme toutes les marchandises, les nouveaux pays émergents, qui ont besoin d'argent pour se développer, pourront-ils garder les mêmes exigences d'éthique sur ce marché aussi lucratif que dangereux pour la planète ?Les Grandes Puissances économiques et Politiques mondiales ont le devoir de veiller à ce que ce groupe fermé de contrôle des armements ne se disperse et ne s’atomise sur la planète pour maitenir la Paix dans le Monde.