Le PartenariatLe continent africain a été et reste une terre de contradictions. Terres riches en ressources naturelles diverses (minières, pétrolières, gazières, forestières) et en terres agricoles fertiles, les pays qui en sont dotés crient souvent pauvreté, guerres et famines. Les ethnologues, les anthropologues et autres spécialistes du passé, du présent et de l’avenir de notre humanité ont longtemps expliqué les liens de ces contradictions par une multiplicité de tribus et d’ethnies éparpillés dans chacun des pays, comme des mines anti-personnelles et des mines anti-développement pour l’Afrique. Et voici que les extrémistes musulmans s’y mettent également. Ils ciblent les Etats jugés faibles sur ce continent meurtri. Mais où est vraiment le problème de la stabilité, de la sécurité intérieure et du développement de ces pays ?

 

I. La diversité ethnique n’est pas un frein au développement

 

Les Africains savent-ils que la France est une mosaïque de peuples venus de différentes parties du monde : celtes, latins, slaves, germaniques, maghrébins, noirs africains, indochinois et basques. Cela ferait au-moins huit groupes ethniques. Et l’on pourrait compter les langues régionales, que l’on appelle des patois ou des dialectes en Afrique, mais qui deviennent des langues en Europe ou dans d’autres pays développés. Les Corses, les Alsaciens, les Provençaux, les Picards, les Bretons, les Basques, les Catalans, les Flamands, les Corses, etc. ne pourraient pas se comprendre si chacun parlait dans sa propre langue : une véritable tour de Babel… Mais la France a résolu ce problème dans sa Constitution : la France est une République indivisible, démocratique, sociale et laïque.  La langue de la République est le français. Ce sont les deux premiers articles de la constitution française. Dès lors que ces fondations ont été jetées, les Français ont suivi. Et les problèmes ethniques, de dialectes locaux et de particularismes régionaux se sont aplanis, même s’ils n’ont pas disparu. Le développement économique et social du pays a été et reste l’objectif général auquel s’attachent tous les dirigeants pour assurer l’unité et la cohésion nationales. Ensuite les institutions nationales stables en assurent solidement le maintien.

De même le Royaume-Uni est une fédération apaisée de l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galle et l’Irlande du nord. Sait-on que cette fédération est une multitude de langues (anglais, gallois, scots, gaélique, manxois, etc.) parlés par des Anglais, des Ecossais, des Irlandais, des Gallois, des Amérindiens des Caraïbes, des Indiens, des Pakistanais, et des Noirs africains… Autant de groupes socio-ethniques au sein du Royaume-Uni. Les principales religions au Royaume-Uni sont alors également diversifiées : Anglicans, Catholiques, Autres protestants, Musulmans, Sikhs, Hindouistes, etc. Mais ces différents groupes ethniques et ces diverses pratiques religieuses n’ont pas empêché le Royaume-Uni de rester la troisième puissance économique de l’Union européenne, derrière l’Allemagne et la France. Il en est de même en Allemagne et en Italie, pour ne retenir que les principales puissances économiques de l’Union européenne. L’Afrique serait donc le seul continent qui est tombé dans le piège ethnique, tribal et religieux (animisme, diverses pratiques traditionnelles et le nouvel intégrisme musulman radical animé par les narco-trafiquants et contrebandiers des armes), et ce piège est devenu un redoutable obstacle au développement ! Néanmoins, dans de nombreux pays africains, le nombre d’ethnies et de langues n’est pas aussi important que les caricatures de l’Afrique tendent à l’affirmer.

 

II. Une comparaison entre l’Afrique orientale et l’Afrique centrale

 Le tableau suivant indique que de nombreux pays d’Afrique orientale et de l’Afrique centrale sont structurés en moins de dix groupes ethniques, et ont souvent adopté une à quatre langues africaines les plus répandues qui s’ajoutent à la langue internationale de l’ancien colonisateur. L’anglais domine en Afrique orientale et le français est présent en Afrique centrale. Par ailleurs, les pratiques religieuses reprennent les composantes du christianisme qui cohabitent avec les religions traditionnelles. L’Islam est peu répandu en Afrique centrale et marque une existence substantielle dans les territoires côtiers proche de l’Océan indien et de la péninsule arabique. Il s’entend alors que tout extrémisme religieux des pratiques importées de l’Islam ou du christianisme ne peut être que relevant des instigations et des manipulations extérieures à ces régions de l’Afrique. Aussi, en Afrique orientale, la Somalie et Djibouti sont nettement les seuls pays musulmans. L’Ethiopie a toujours été partagée entre le christianisme orthodoxe et copte, d’une part, et l’Islam qui n’a réellement pas réussi à dominer cet héritier du vaillant royaume ouvert et cosmopolite d’Aksoum, d'autre part.

 

Afrique orientale

Principales langues nationales et officielles pratiquées

nombre de principaux groupes Ethnique/ Tribaux

Pratiques Religieuses
(en % de la population)
Prot= Protestants ; Cath = Catholiques ; Chret = Chrétiens ; Trad = Traditionnels ;  Musul = Musulmans ; Kimb = Kimbanguistes ; Orth = Orthodoxes

Kenya

Swahili/Anglais

7

prot=38 ; cath=28 ; trad=26 ; musul=6%

Ethiopie

Amharique/anglais

7

musul=45 ; orth=40 ; trad=12

Tanzanie

Swahili/Anglais

130

chret=45 ; musul=35 ; trad=20

Ouganda

Swahili/Anglais

12

prot=33 ; cath=33 ; trad=18 ; musul=16

Soudan-Sud

Anglais/Dinka/Arabe

4

chret=75 ; trad=20 ; musul=3

Rwanda

Kinyarwanda/Anglais/Français

3

cath=53 ; prot=35 ; trad=25 ; musul=1

Somalie

Somali/Anglais/Arabe

2

musul=90

Erythrée

Tigrinya/Arabe

4

coptes ; musul ; cath ; prot

Burundi

Kirundi/Français

3

cath=60 ; trad=30 ; prot=9 ; musul=1

Djibouti

Français/Arabe

3

musulm=94 ; chret=6

Seychelles

Anglais/Français

3

cath=90 ; prot=8 ; trad=2

Afrique centrale

 

 

 

Cameroun

Français/Anglais

200

chret=40 ; trad=40 ; musul=20

Guinée Equato

Français/Espagnol

2

chret=60 ; trad=40

Gabon

Français

4

chret=75 ; trad=24 ; musul=1

R D Congo

Français+250 langues (dont les principales sont : Lingala, Swahili, Kikongo, Tchiluba)

200

cath=50 ; prot=20 ; kimb=10 ; trad=10 ; musul=10

Congo Brazza

Français

4

chret=50 ; trad=48 ; musulm=2

Tchad

Français/Arabe

14

musulm=50 ; chret=25 ; trad=25

Répub. Centrafricaine

Français/Sango

6

prot=25 ; cath=25 ; trad=35 ; musulm=15

Sao Tome

Portugais

3

chret=80 ; trad=20

 

 

Il apparaît ainsi, à travers ce tableau, que les pays africains ne sont pas plus « ethnicisés » ou « tribalisés » que les autres grandes nations du monde. En revanche, ils ont longtemps été sensibles aux affirmations des « africanistes » extérieurs qui leur ont plaqué le « fait ethnique » et « les divisions tribales » comme le principal frein à la constitution des nations et au progrès économique et social. C’est dans l'ambition et la stratégie de développement économique et social que se trouve le moteur de l’unité nationale et de la solidité des nations. La Chine est un excellent exemple des temps modernes. Les pays africains ont un formidable héritage colonial : les langues dans lesquelles se construisent les technologies et les principaux savoirs scientifiques. Il leur appartient d’exploiter ces richesses culturelles à leur profit, notamment dans l’éducation et la formation, et dans la transformation industrielle de leurs ressources naturelles. Enfin, la nette domination du christianisme est un lien culturel puissant avec l’Occident et une arme contre le radicalisme des Islamistes qui tentent de prendre les Africains en otage. En éduquant les peuples et en s’attachant à consacrer toutes les énergies au développement économique et social, le radicalisme ne pourra pas s’implanter en Afrique orientale et en Afrique centrale.  

 

III. Les freins au développement conditionnés par les choix économiques et sociaux

Les pays africains souffrent, depuis leurs indépendances, du manque de stratégies de développement. En Afrique centrale, les ressources sont immenses, mais l’industrie n’a pas suivi pour les transformer et les valoriser. En Afrique orientale, les ressources naturelles sont restées longtemps rares, mais les pays ont mieux géré cette pénurie que leurs voisins du centre. De nombreuses prospections promettent des ressources minières, pétrolières et gazières en Ouganda, en Tanzanie notamment. Une sérieuse gestion de ces Etats ne pourra qu’accélérer le développement de ces pays pour le profit partagé de l’ensemble politique, économique et social de l’East African Community. Pour préparer un développement viable et durable, les pays de l’Afrique de l’Est investissent dans l’éducation de leur jeunesse, avec des dépenses de plus de 3% du PIB (sauf pour l’Erythrée et certains pays qui ne communiquent sur le sujet). L’Ethiopie et la Somalie, ainsi que le Burundi sont des pays qui ont traversé des années de guerre civile, et qui connaissent un remarquable retard dans l’éducation ; ce retard se répercute dans le faible taux d’alphabétisation des adultes. C’est également en Ethiopie, en Somalie et à Djibouti que le taux de participation aux institutions parlementaires est le plus faible en Afrique orientale. En Afrique centrale, seuls le Cameroun et le Tchad font un effort comparable, mais celui-ci reste modeste par rapport aux immenses besoins d’éducation et de formation.

 

Afrique orientale

croissance PIB 2011 (%)

dépenses pour l'éducation (% PIB)

Taux de fécondité (enfants/ femme)

Taux d'Alphabétisation

(>15 ans)

Taux Femmes au Parlement
en 2011

(en %)

Kenya

5,3

6,7

4,0

 

10,0

Ethiopie

7,5

6,0

5,4

39,0

28,0

Tanzanie

6,1

7,0

5,0

73,0

36,0

Ouganda

6,4

3,3

6,1

73,2

35,0

Soudan-Sud

 

 

 

 

 

Rwanda

7,0

 

4,8

71,1

56,0

Somalie

2,6

 

6,3

38,0

7,0

Erythrée

8,2

2,5

4,4

67,8

22,0

Burundi

4,9

8,3

6,1

53,0

32,0

Djibouti

4,8

9,0

2,6

70,0

14,0

Seychelles

5,0

 

1,9

 

24,0

Afrique centrale

 

 

 

 

 

Cameroun

3,8

3,5

4,1

68,0

14,0

Guinée Equatoriale

7,1

1,0

4,8

86,0

10,0

Gabon

5,6

 

4,6

87,0

15,0

R D Congo

6,5

 

5,1

52,0

10,0

Congo Brazza

5,0

2,0

5,6

92,0

7,0

Tchad

2,5

3,2

4,9

49,0

13,0

République Centrafricaine

4,1

1,3

4,6

56,0

13,0

Sao Tome

5,0

 

4,9

 

18,0

  En Afrique centrale, aucun pays n’affiche 20% de participation des femmes au Parlement. C’est un des indicateurs fort de la mal-gouvernance dont souffre l’Afrique en général. Cependant, le taux de fécondité se stabilise entre 4 et 6 enfants par femme, sauf en Ouganda, en Somalie et au Burundi où un effort de planning familial est indispensable pour mieux réussir l’éducation et le progrès social. 

IV. L’indispensable développement des infrastructures

Il ne pourra jamais y avoir de développement équilibré des territoires en Afrique sans investissement dans des infrastructures indispensables au développement économique régional. En effet, comment imaginer des territoires tels que le Kenya, l’Ethiopie, la Tanzanie, le Soudan-sud, la Somalie, la RD Congo, le Tchad et la République centrafricaine qui sont de très loin plus étendus que le plus grand pays de l’Union européenne, sans les infrastructures de communication (routes, chemin de fer, liaisons aériennes, liaisons fluviales). Même les pays dotés des voies ferrées sont sous-équipés. Il convient alors, à tous les pays du continent, de repenser les structures de leurs importations dont les valeurs dépassent 30% de leur PIB. Que fait-on des importations aussi importantes sans développer l’industrie, les infrastructures, l’éducation, la santé publique ? Les peuples sont maintenant informés pour réagir et contrôler l'action de leurs gouvernements.

Afrique orientale

Superficie  (km²)

Réseau ferroviaire (km en 2008)

Import 2011 (Mrds $)

Solde 2011 (Mrds $)

Import/PIB en 2011 (%)

Kenya

         582 650  

        2 778  

-16,79

-7,77

46,5%

Ethiopie

      1 127 127  

           681  

-9,151

-5,44

30,0%

Tanzanie

         945 087  

        3 689  

-9,989

-2,83

43,1%

Ouganda

         236 040  

        1 244  

-7,535

-3,51

47,1%

Soudan-Sud

         644 329  

 

 

 

 

Rwanda

          26 338  

 

-2,158

-1,49

36,0%

Somalie

         637 657  

 

-0,034

-0,03

0,6%

Erythrée

         121 320  

           306  

-0,51

-0,38

19,6%

Burundi

          27 830  

 

-0,628

-0,48

36,9%

Djibouti

          23 200  

 

-0,663

-0,11

51,0%

Seychelles

               455  

 

-1,181

-0,14

118,1%

Afrique centrale

 

 

 

 

 

Cameroun

         475 440  

           987  

-8,451

-2,68

32,8%

Guinée Equatoriale

          28 051  

 

-5,297

3,15

27,3%

Gabon

         267 667  

           814  

-5,712

4,95

34,2%

R D Congo

      2 345 410  

        4 007  

-5,786

-1,39

37,8%

Congo Brazza

         342 000  

           795  

-7,843

4,76

51,9%

Tchad

      1 284 000  

 

-6,773

-3,79

70,6%

République Centrafricaine

         622 984  

 

-0,451

-0,08

19,6%

Sao Tome

            1 001  

 

-0,144

-0,13

96,0%    

 

Ci-dessous, nous établissons des référentiels entre l’Afrique et l’Europe.

Union européenne

Superficie  (km²) / (habitants/km CdF)

Réseau ferroviaire

(km en 2009 / soit sur 1000 km²)

Import 2011 (Mrds $)

Solde 2011 (Mrds $)

Import/PIB (%)

Allemagne

357 021 / (1 938)

41 981 /117,5

-1627,78

184,15

44,9%

France

547 030 / (2 218)

29 640 /54,2

-836,08

-78,44

29,8%

Royaume-Uni

244 820 / (3 832)

16 454 /67,2

-817,71

-53,32

33,0%

Italie

301 230 / (3 104)

20 254 /65,5

-666,81

-34,38

29,7%

Espagne

504 782 / (3 076)

15 292 /30,3

-459,39

-7,65

29,9%

Pays-Bas

41 526 / (5 951)

2 896 /67,7

-586,33

71,70

68,3%

 

Au sein de l’Union européenne, la distribution des chemins de fer (CdF) n’est pas uniforme car elle est liée à l’histoire économique de chaque pays, à sa superficie et à l’importance de sa population. Aussi, l’on pourrait dire que l’Allemagne est le pays le mieux doté de l’Union européenne car 1.938 habitants peuvent se regrouper sur 1km de chemin de fer et la France arrive derrière avec 2.218 habitants. En revanche, la densité de population très élevée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas augmente également le nombre d’habitants au km de chemin de fer, de 3.832 au Royaume-Uni à 5.951 habitants. Les pays africains les plus étendus et les plus peuplés en Afrique pourraient au-moins se fixer un objectif d’au plus 10.000 habitants au km de chemin de fer. Cela nous conduirait à 4.300 km au Kenya (+55% de lignes à construire) ou seulement 4.360 km en Tanzanie (soit +18% de nouvelles lignes). Mais au Cameroun, cet effort devient de 2.010 km minimum (soit +104% par rapport à la capacité actuelle manifestement insuffisante) et de 7.360 km en République démocratique du Congo (soit un accroissement indispensable de 84% par rapport à l’offre actuelle). Ces objectifs sont tout à fait à la portée de ces pays. A cet effort de longueur des lignes de chemins de fer dans les pays pour le transport des biens et des personnes, et le désenclavement des territoires, s’ajoute la qualité des infrastructures, de l’entretien et des matériels répondant aux besoins des utilisateurs. Les dirigeants africains doivent désormais s’enrager d’ambitions pour développer leurs pays et les pousser vers le progrès économique et social pour tous. Les querelles ethniques, tribales ou du radicalisme religieux sont une des expressions de pauvreté, de misère, de désespérance des peuples.

Il découle de ce tableau et des préconisations que de nombreux pays africains de l’est et du centre, très vastes au-delà de 50.000 km² et de plus de 5 millions d’habitants, devraient investir dans les infrastructures pour dynamiser le développement économique régional. La circulation des biens et des personnes, dans le commerce national, intra-régional ou interrégional, ne pourra contribuer au progrès économique et social sans l’investissement dans l’éducation et dans les infrastructures. La sécurité, la bonne gouvernance, l'éducation, l'alimentation, la santé publique, les infrastructures sont les socles du développement économique, social et culturel, et contre tous les radicalismes ethniques, tribaux et religieux.


Emmanuel Nkunzumwami

Auteur de "Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation", Editions L'Harmattan, 2013.

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