LA TRAGEDIE CENTRAFRICAINE EST UNE PROFONDE BLESSURE DE L'AFRIQUE
18 févr. 2014
La République centrafricaine est aussi appelée "La Centrafrique". Ce pays recouvre le territoire que les colons français appelaient l’Oubangui-Chari et a fait partie de l'Afrique équatoriale française (AEF) de 1910 à 1960. C’est un pays d’environ 4,500 millions d’habitants, répartis sur un territoire d’une superficie d'environ 627.000 km². Il est entouré par le Cameroun à l'ouest, le Tchad au nord, le Soudan au nord-est, le Soudan du Sud à l'est, la République démocratique du Congo (RDC) et la République du Congo au sud. Après l’accession à l'indépendance en 1960, la Centrafrique a connu différents régimes autoritaires à sa tête, en commençant par celui d’un capitaine de l’armée française Jean-Bédel Bokassa, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, le 31 décembre 1965. Il s’autoproclame maréchal-président, puis président à vie, puis empereur de Centrafrique en 1976, avec la complaisance du président Valéry Giscard d’Estaing. Mais en septembre 1979, un soulèvement populaire, accompagné par l’opération « Barracuda » menée par l’armée française, pousse Jean-Bedel Bokassa à l’exil et à son installation en France ; celle-ci n’avait pas apprécié son rapprochement avec le colonel Muhammar Khadafi, président de la Libye, menant une politique de déstabilisation de son pré-carré au Tchad. Bokassa avait arraché le pouvoir à son cousin David Dacko qui avait dirigé ce spacieux pays après l’indépendance à la suite du père de l’indépendance Barthélémy Boganda, décédé dans des conditions non encore élucidées en 1959.
Le pays devient la « République centrafricaine » le 1er décembre 1958 et proclame son indépendance le 13 août 1960 en adoptant le sango comme langue nationale d’unification du pays, à côté du français adopté comme langue officielle. Le premier chef de l'État, Barthélemy Boganda, est ainsi considéré comme le père de la nation centrafricaine. Auparavant Parlementaire à Paris, il demande le maintien de tous les droits français au peuple d'Afrique équatoriale française. Il prône également depuis longtemps l’indépendance des colonies en leur proposant la création d'un État d’Afrique centrale unique, regroupant Gabon, Congo, Cameroun et République centrafricaine. La France, qui se débat avec le problème algérien, n’est pas de cet avis à cette époque des indépendances car trop de grandes puissances en Afrique entameraient sa puissance. La multiplication des micro-Etats est une stratégie de domination pour garder la main sur ses anciennes colonies. Pourtant, déjà visionnaire, Barthélémy Boganda considère cette union comme la seule solution permettant d'éviter l'éclatement de la région en territoires trop petits, non viables, et sans rôle à jouer sur la scène internationale. Opportunément pour la France, il meurt le 29 mars 1959, peu après son élection. C’est David Dacko qui lui succède à la présidence d’un Etat quasi vide, mais qui reste sous contrôle et soutien administratifs de la France, jusqu’à son renversement par Bokassa.
1- Les crises centrafricaines sont très anciennes
La mort du visionnaire Barthélémy Boganda signe la première crise d’un Etat à peine né. En divergence de stratégie avec la métropole (constitution d’un seul pays en Afrique équatoriale française, transferts de droits français aux africains après l’indépendance), le premier dirigeant centrafricain perd la vie avant l’indépendance. David Dacko est docile, coopératif avec la France, sans envergure de contestataire. Il est appelé à coopérer avec l’ancien capitaine de l’armée française, Jean—Bedel Bokassa, promu colonel par la France pour créer et encadrer une armée d’un nouvel Etat centrafricain. Mais le 31 décembre 1965, le général Bokassa s’empare lui-même du pouvoir et se constitue en dictateur jusqu’à s’autoproclamer « Empereur de Centrafrique » en 1976 et veut s’émanciper de la France. Et en septembre 1979, la France sonne la fin de la partie et le jeu est terminé pour Jean-Bedel Bokassa. Après son départ, David Dacko est reconduit à nouveau par la France à la tête pays jusqu’au 1er septembre 1981, avant d’en être chassé par le coup d’Etat du général André Kolingba, qui s’installe confortablement dans le fauteuil du pouvoir à Bangui jusqu’aux premières élections multipartites en 1993. Ces élections ferment temporairement la parenthèse des aventures militaires sur dix ans, avec l’élection d’un civil Ange-Félix Patassé à la présidence. Mais le 15 mars 2003, après quelques tentatives ratées, notamment en 2001, le général François Bozizé parvient à s’emparer du pouvoir par un coup d’Etat arrangé entre le Tchad et la France.
Cependant, cette accession à la présidence de François Bozizé est violemment contestée par les Centrafricains qui venaient de respirer l’air de la démocratie et une première guerre civile impliquant plusieurs rébellions est lancée. Elle ravage plusieurs régions du pays entre 2004 et 2007. Un accord de paix est négocié à la hâte proposant notamment un programme DDR et les financements internationaux pour la reconstruction du pays. Mais les rebelles dénoncent le non-respect de ces accords par le président Bozizé et son entourage ; ils reprennent les armes au début de décembre 2012. Ils lancent ainsi la deuxième guerre civile de Centrafrique sous le même président François Bozizé. Pourtant, des simulacres d’élections l’avaient reconduit en 2005 et en 2010. Mais l’accord de paix n’avait rien arrangé et la situation sécuritaire du pays avait commencé à se dégrader dès le constat d’échec du programme DDR (Démobilisation-Désarmement-Réintégration) en 2007-2008. Les financements alloués à cet effet ont disparu dans les coffres des dignitaires du pouvoir. La pauvreté s’est littéralement commuée en misère absolue à travers tout le pays. L’Etat s’est décomposé, l’armée professionnelle a progressivement disparu au profit d’une armée politico-militarisée (armée plus de miliciens militants pour le pouvoir que de militaires, une situation chronique connue depuis l'arrivée au pouvoir par Ange-Félix Patassé en 1993) occupée par des troupes claniques, régionalisées et politisées proches du président Bozizé, sa famille et ses proches, comme cela s'était produit tout au long de la présidence de Angle-Félix Patassé (1993-2003). L’administration s’est décomposée, les institutions de la nation centrafricaine se sont affaissées, l’armée s’est affaiblie et l’insécurité s’est accrue.
C’est dans ce contexte que de nouvelles troupes, sous l’appellation « Séléka », composées de groupes hétéroclites de Centrafricains, de Tchadiens et de Soudanais, mélangeant des Islamistes fondamentalistes radicaux et des Musulmans modérés mais tous attirés par les gains financiers pour l’essentiel, ont fait mouvement en début décembre 2012 pour prendre le pouvoir à Bangui. L’ « armée fantôme de la Centrafrique » des FACA, formée des proches ethniques et régionalistes du pouvoir de Bozizé pour partager les maigres ressources du pays, est rapidement défaite et vaincue sans avoir véritablement engagé les combats. Le 24 mars 2013, un homme encore inconnu Djotodia, musulman mais communément se prénommant Michel, s’autoproclame « président de Centrafrique » avec ces troupes à majorité musulmanes et étrangères. Mais de nombreuses exactions commises par les miliciens de la Séléka, au cours de leur avancée du nord – nord-est de Centrafrique vers la capitale Bangui en plein sud du pays, intensifient et généralisent l'insécurité dans toute la Centrafrique. C’est ainsi que des milices chrétiennes d'auto-défense, les anti-balaka se forment pour pallier à l’impuissance criante du nouveau pouvoir à instaurer la sécurité. Pire encore, des éléments extrémistes au sein du pouvoir, proches de Michel Djotodia, alimentent et entretiennent les massacres dans le pays. La dissolution des milices séléka ne fait qu’amplifier la tragédie et les malheurs. Le conflit débouche sur une situation qualifiée de « pré-génocidaire » selon la France, les États-Unis, l’ONU et de nombreuses organisations humanitaires internationales sur le terrain. Les crises sécuritaire, sanitaire, alimentaire, médicale et politique se superposent dans un pays déjà à terre. En septembre 2013, le pays ne compte que sept chirurgiens alors que la seule capitale Bangui possède plusieurs hôpitaux dont l’hôpital de l'Amitié et l’hôpital communautaire. La plupart des centres de santé sont fermés, en raison de l’insécurité généralisée, et 60% des écoles sont également fermées. La Centrafrique, déjà dotée d’un Etat et des institutions déliquescents, n’a même plus d’Etat, plus d’administration, plus de justice, plus d’institutions, plus d’armée… plus rien. C’est une véritable coquille vide du point de vue de l’exercice du pouvoir. Des populations fuient en masse par centaines de milliers vers les camps de déplacés sous protection des Humanitaires, vers Bangui pour échapper aux massacres dans les villages éloignés ou par dizaines de milliers vers les pays voisins au Cameroun à l’ouest et en République démocratique du Congo au sud. La France parvient à obtenir la résolution des Nations-Unies autorisant l’usage de la force pour ramener la sécurité dans le pays, protéger les populations civiles prises entre les feux croisés des miliciens séléka et des anti-balaka, et désarmer les belligérants.
Aussi, le 5 décembre 2013, cette résolution de l'ONU permet à la France d'envoyer des troupes armées en République centrafricaine sous le code opération « Sangaris ». Mais le pouvoir inexistant du tandem Michel Djotodia (président) et Nicolas Tiangaye (Premier ministre) continue d’alimenter les massacres à grande échelle malgré la présence des troupes françaises de Sangaris et africaines de la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique). Des protestations de la « communauté internationale » et des Centrafricains poussent le président autoproclamé de transition Michel Djotodia et son premier ministre Nicolas Tiangaye à la démission forcée le 10 janvier 2014, lors d'un sommet extraordinaire des Chefs d’Etat de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC). Le Conseil national de transition, pourtant lui aussi installé auparavant par le tandem Michel Djotodia-Nicolas Tiangaye, est sommé de trouver une nouvelle équipe de transition. Ainsi, le 20 janvier 2014, ce Conseil national de transition élit Catherine Samba-Panza comme chef de l'État de transition de la Centrafrique. Cette transition est destinée à ouvrir les élections générales libres, transparentes et multipartites dans un délai d’un an au plus tard.
2- La position géostratégique de la Centrafrique
La situation géographique de Centrafrique en fait un maillon faible au cœur du continent africain mais au carrefour des territoires à dominante musulmane au nord (par le Tchad) et au nord-est (par le Soudan), et des terres chrétiennes au sud (République démocratique du Congo et République du Congo). Au sud-est, les territoires ont été colonisés par la LRA (Lord Resistance Army, une rébellion venue de l’Ouganda), alors que le sud a été longtemps un terrain de repli militaire des combattants et des multiples rébellions sévissant en République démocratique du Congo. Tous ces mouvements rebelles ont toujours prospéré en Centrafrique, compliquant le contrôle de cet énorme territoire plus vaste que la France (environ 627.000 km²) et provoquant des guerres civiles et des rébellions à répétition depuis le départ de Bokassa en septembre 1979.
La Centrafrique est également une terre riche habitée par des populations pauvres. Les richesses naturelles de Centrafrique sont assises sur le bois poussant dans les savanes et la forêt équatoriale, le potentiel touristique grâce à la grande étendue de ses parcs d’animaux, l’uranium, l’or, le diamant, le potentiel d’énergie hydroélectrique et bientôt le pétrole. L’activité minière (notamment pour l’or et le diamant) devrait constituer une importante ressource de la Centrafrique. Mais la production officielle — principalement artisanale — de diamants alluvionnaires de très bonne qualité de joaillerie s'établirait à environ 500.000 carats par an, alors que la production réelle serait estimée au double environ. La Centrafrique a donc attisé l’appétit des contrebandiers, des criminels et des brigands qui prospèrent sur les crises à répétition pour capter cette richesse. Le pouvoir n’est jamais parvenu à réguler ce secteur minier pour créer une industrie locale afin de valoriser ses ressources. D’une façon générale, même quelques industries nées au cours des années 1970 (industries légères agroalimentaires, manufactures de tissus, de chaussures…) ont disparu. Il ne subsiste plus qu’une production locale de bière et une modeste transformation d'aluminium, employant une petite dizaine de milliers de salariés. Les crises politico-militaires ont régulé la pauvreté vers la misère pour les populations en Centrafrique.
La position géographique au milieu de la forêt équatoriale, doublée d’une pauvreté et de l’incompétence chronique des dirigeants, occasionne souvent d’importantes inondations en raison du manque d'entretien des fleuves et d’importants débits d’eau qu'engendre la saison des pluies équatoriales. Par ailleurs, malgré la déforestation dans les zones de brousse où les paysans utilisent le bois pour la cuisson de leur nourriture et les constructions sommaires des habitations, la forêt gagne sur la savane ; ce qui est un cas exceptionnellement rare dans le monde. Néanmoins, des efforts doivent être poursuivis pour la protection de la faune et de la flore pour l’équilibre écologique et la biodiversité rare de cette région équatoriale. En effet, on trouve en Centrafrique une flore et une faune très diversifiées ; notamment une population d’éléphants de forêt d’Afrique, visibles par troupeaux de plusieurs dizaines de membres, notamment dans les salines de Bayanga. Mais ces animaux sont en situation de fragilité en raison du braconnage pour l'ivoire et de la consommation importante de viande de chasse. Le tourisme reste alors encore inexistant, autant du fait de la faiblesse des dispositifs d'accueil, des infrastructures de communication, que de l'insécurité permanente dans le pays. Le retard du développement se lit également dans l’état des routes dans des provinces en Centrafrique. Elles sont trop dégradées et restent archaïques sans mesure de sécurité routière adéquate, d’entretien ou de renouvellement des chaussées. Il convient de noter également des difficultés de transport urbain et interurbain (dans Bangui la capitale et de Bangui vers les provinces). En 2010, l’Etat s’est réveillé pour créer un réseau de transport urbain sous l’appellation SONATU, exploitant les transports urbains à Bangui et dans ses environs, mais le pouvoir a dû constituer une société d’État avec un très modeste capital social de 480 millions de francs CFA (soit 732.090€) et une flotte de cent autobus de fabrication indienne offerts en dotation par une société indienne Jaguar. Enfin, pour une ensemble de 627.000 km², la Centrafrique ne dispose principalement que d’un modeste aéroport de Bangui, l'aéroport Bangui M’poko.
S’agissant de la climatologie et de la situation géographique naturelle de la Centrafrique, la température moyenne relevée à Bangui, la capitale, avoisine 26°C. L’humidité est entretenue par une pluviosité abondante de 5mm (en période de saison sèche) jusqu’à 226 mm (en période de pluie). De par sa situation géographique, sa climatologie et le manque d’infrastructures industrielles, l'agriculture représente plus de 55 % du PIB. Les principales cultures sont alors le manioc (cassave), les bananes, le maïs, le café, le coton et le tabac. Cependant, les progrès de l’agriculture ne profitent qu’à certains grands exploitants disposant des moyens mécanisés. Les paysans ne bénéficient pas de formation adéquate, travaillent toujours « à la houe », sans mécanisation, ni attelage, ni utilisation des moyens de traitement des parasites ; ils sont exposés à de faibles productions et souvent de qualité moyenne.
L'exploitation forestière contribue également très largement au PIB, avec d'importantes essences en bois tropicaux. Depuis les temps coloniaux, la Centrafrique exploite l'hévéa pour son latex. Aujourd'hui, ces essences sont de plus en plus diversifiées. Les moins nobles sont transformées localement par une petite industrie de contreplaqués, tandis que les plus précieuses sont exportées sans transformation, sous forme de grumes. La Centrafrique, comme de nombreux autres pays de l’Afrique centrale, ne valorise donc pas industriellement ses ressources agricoles et forestières.
La Centrafrique est un pays très pauvre qui n’a véritablement pas de villes en dehors de la capitale de Bangui. Celle-ci concentre aujourd’hui près de 25% de la modeste population estimée à 4,5 millions d’habitants. Les autres dix bourgades comprennent entre 20.000 habitants pour Bimbo et 50.000 habitants pour Berbérati, la deuxième ville du pays. La Centrafrique est donc un immense territoire dont une grande partie est vide de population. L’organisation administrative du pays s’articule autour de sept régions, quatorze préfectures (Bamingui-Bangoran, Basse-Kotto, Haute-Kotto, Haut-Mbomou, Kémo, Lobaye, Mambéré-Kadéï, Mbomou, Nana-Mambéré, Ombella-M'Poko, Ouaka, Ouham, Ouham-Pendé, Vakaga), deux préfectures économiques (Nana-Grébizi et Sangha-Mbaéré), 71 sous-préfectures et 175 communes, dont six communes d’élevages, et environ 10.000 villages ou quartiers de villes. La ville de Bangui, la capitale, est dotée d’un statut spécial de septième région et de commune urbaine avec 8 arrondissements. Une décentralisation sur 627.000 km² (soit 1,14 fois la superficie de la France) d’une population équivalant à 1,8 fois seulement la population de la ville de Paris, ne sera pas une affaire simple. La Centrafrique a donc un urgent besoin de population pour rentabiliser ses ressources naturelles. Il convient de constater également que de crises en crises depuis la destitution de Jean-Bedel Bokassa en septembre 1979, l’insécurité et la pauvreté croissantes ont poussé une part importante de près de 40% (selon le recensement général de la population et de l’habitat de 2003) à fuir la campagne pour les modeste zones urbaines.
3- Le piège religieux instrumentalisé par la Séléka au pouvoir
Selon le recensement général de la population et de l’habitat de 2003, effectuée sur une population d’environ 3,8 millions d’habitants, la répartition des croyances serait la suivante : les Chrétiens représentent 80,3% (dont les Protestants estimés à 51,4% et les Catholiques à 28,9%). Les Musulmans représentent 10,1% et les animistes ou autres croyances traditionnelles constituent 9,6% de la population. Aujourd’hui, ces estimations n’ont pas beaucoup varié, mais les experts, notamment américains, estimeraient la population musulmane à environ 15% de la population. Dans tous les cas, ils sont loin de constituer une majorité, d’autant que dans ce recensement des « experts » qui se fonde sur les populations résidant en Centrafrique, il y a un mélange entre les Etrangers installés en Centrafrique (Soudanais et Tchadiens majoritairement musulmans) et les ressortissants de Centrafrique. Ce qui conduit à se rapprocher du RGPH de 2003, avec une estimation raisonnable de 10% de Centrafricains ayant adopté la confession islamique. La coalition séléka arrivée au pouvoir par le coup d’Etat du 24 mars 2013 a donc surestimé la représentativité de l’Islam en Centrafrique afin de justifier son plan d’islamisation du pays. Victimes des massacres perpétrés par les Islamistes fondamentalistes radicaux au sein de la Séléka, refusant la domination du pouvoir et des orientations islamistes de l’équipe de Michel Djotodia, avides de revanche contre des troupes rebelles qui avaient défait la modeste armée centrafricaine des FACA, constatant que la majorité des troupes Séléka installées au pouvoir et dans la nouvelle armée nationale sont des Etrangers attirés par le pouvoir et l’argent en Centrafrique en y faisant régner la terreur, quelques anciens militaires des FACA, proches du président déchu François Bozizé et des partis politiques partenaires, ont mobilisé les Jeunes pour combattre les rebelles Séléka, les troupes de Michel Djotodia et mener des représailles violentes contre les Musulmans en Centrafrique considérés comme des complices des rebelles Séléka. Les raisons de la haine étant trouvées, les cibles souvent innocentes et étrangères aux racines du conflit politico-militaro-crapuleux en Centrafrique étant identifiées, les Anti-balaka (ant-machettes mais massacrant les populations civiles à la machette !) se sont mis à l’œuvre. Les anti-balaka, sous contrôle des anciens militaires de l’armée de François Bozizé, ont massivement recruté dans les milieux de la jeunesse, profitant d’une situation d’abandon du pouvoir évanescent et de 60% des écoles fermées à la rentrée scolaire de septembre 2013. Michel Djotodia et ses troupes ont allumé le feu de « la haine confessionnelle » et ils ont été incapables de l’éteindre. L’incendie a alors ravagé tout le pays ; ils devraient en répondre devant la justice internationale. Mais les anti-balaka qui poursuivent les massacres contre les Musulmans dans le pays devraient également répondre de leurs actes de barbarie devant la justice. L’une des erreurs d’inexpérience du pouvoir de transition de Madame Catherine Samba-Panza a été de remettre en circulation les militaires des anciennes FACA. Des soldats vaincus, démoralisés, abandonnés à eux-mêmes dans le dénuement, ne percevant plus de salaires depuis six mois reprennent les armes pour défendre le pays. Au lieu de passer par la case « camp d’entraînement et de redressement » pour un grand nombre d’entre eux, ils sont lâchés dans la population. La plupart ont perdu aussi leurs proches, leurs collègues, leurs familles dans les massacres des séléka. Le premier réflexe de ces hommes, réarmés et réinjectés dans la défense nationale, est la vengeance. Une vengeance aveugle sur toute personne soupçonnée de participation aux exactions de la Séléka ou de complicité avec les Séleka. D’où des lynchages aveugles, hors de toute déontologie militaire et de toute discipline qui sied à une véritable armée nationale. Au début de cette année 2014, après la désignation du gouvernement de transition sous la présidence de Madame Catherine Samba-Panza, les violence se poursuivent. La fracture ouverte par les Islamistes emmenés par Michel Djotodia reste ouverte. Les miliciens Séléka (se définissant comme défendant les Musulmans) s'opposent aux miliciens Anti-balaka (se définissant comme défendant les Chrétiens). Certains anciens FACA battus et démoralisés par la Séléka retrouvent du souffle et se joignent aux Anti-balaka. Le désarmement de ces groupes armés est compliqué par le sentiment d'impossibilité de se défendre pour les tenants de chaque camp, en cas d'attaque du camp adverse. La communauté internationale a proposé de ne trouver sur le terrain que des soldats internationaux (Français, Européens, Africains), les seuls autorisés à assurer la sécurité et l'ordre, y compris par la force du feu. Mais le pouvoir de transition, sans s'assurer du contrôle de l'efficacité et de la discipline des anciens FACA, les ressort, les réhabilite et les renvoie dans la nature. Ils risquent ainsi de renforcer les miliciens anti-balaka ou les miliciens séléka, et compliquer davantage les opérations de désarmement initiées par les troupes internationales sous le contrôle de l'ONU.
4- Vers la refondation d’une nouvelle Centrafrique
La crise qui s’intensifie malgré la présence de 1.600 militaires français (auxquels on pourrait ajouter les troupes des forces spéciales et du renseignement militaire) et les 6000 militaires des forces africaines présentes sur le terrain. Le pays est très vaste et les populations bougent de Bangui vers les provinces et des provinces vers Bangui. Pour encadrer efficacement la sécurité à Bangui et dans les zones de tension en provinces, il convient de disposer des troupes bien entraînées, bien équipées, bien coordonnées, et plus importantes en nombre. La France vient de relever ses effectifs à 2.000 militaires combattants en charge de ramener, par la force s’il le faut, la paix et la sécurité en Centrafrique, de participer au désarmement et d’apporter le soutien de la France aux forces africaines de la MISCA. Les autres pays de l'Union européenne devraient également apporter leur soutien de 1.000 hommes en armes au minimum pour compléter le dispositif français. Ainsi, l’Union européenne aura apporté sa contribution attendue d’au-moins 3.000 hommes indispensables au retour à la paix et à la sécurité durables dans ce pays. La complication de la situation sur le terrain pourrait conduire à plus d’effectif, mais l’on peut considérer que, en raison de la faible population à protéger malgré l’énorme étendue du territoire, ces effectifs européens devraient remplir leur mission.
S’agissant de la participation des Etats africains, ceux-ci devraient réunir au-moins 8.000 hommes. Il n’est pas souhaitable que les Européens soient plus nombreux pour mener des opérations de pacification et de sécurisation de la Centrafrique, car il est impérativement du devoir des Etats africains d’accroître les capacités d’intervention sur leurs propres territoires. L’Europe apporte son soutien, mais elle ne doit pas se substituer aux efforts des Africains eux-mêmes. La France qui dispose d’environ 6.000 hommes sur l'ensemble du continent africain n’a plus d’autres réserves pour rallonger les effectifs en Centrafrique. Or elle ne peut pas déshabiller totalement le Mali, le Tchad, Djibouti, le Cameroun, et d’autres positions stratégiques de projection car les crises africaines ne sont pas terminées. L’on sait que les opérations de type « Mali » en 2013 ou de type « Centrafrique » actuellement vont se multiplier dans de nombreux autres pays fragiles en Afrique dans les temps qui viennent. Les fondamentalistes islamistes radicaux, financés par quelques groupuscules idéologisés du Jihad dans des pétromonarchies du Moyen-Orient -mais qui restent au chaud dans leur luxueux confort-, ont trouvé un terrain d’entraînement en Afrique -pour sacrifier les Africains par des guerres fratricides en Afrique, moyennant quelques dollars jetés aux combattants pour se substituer aux Etats défaillants- avant d’envahir l’Europe. Déjà Boko Haram, une nébuleuse d’intégristes musulmans sévissant au nord du Nigéria, vient de publier un communiqué en Tchétchénie pour déclarer la guerre afin de venger le sang des Musulmans en Centrafrique. Un étrange comportement des Africains, qui prétendent aimer leurs frères en Afrique, et qui ont besoin d’aller dans les fins fonds de la Russie pour envoyer des menaces de mort aux Africains par d'autres Africains ! Et si, comme les Anti-balaka, les Chrétiens ouvraient les vengeances massives pour le sang des leurs, on entrerait dans un cercle vicieux sans fin. Il appartient aux Etats d'arrêter ces folies et ces barbaries. L’Afrique a alors besoin de se constituer une véritable armée anti-terroriste et de résolution des crises par la force militaire. Les 8.000 à 10.000 hommes, recrutés dans des pays bien organisés et entraînés aux combats depuis de longues années (Burundi, Rwanda, Ouganda, Kenya, Tanzanie, Éthiopie, Angola, etc.) pourront ainsi former le noyau de la « Force Africaine d’Intervention rapide » dans des crises politico-militaro-islamistes en Afrique. Et s’il y a un besoin d'accroissement des effectifs en Centrafrique, il appartient aux Africains eux-mêmes d’y répondre : c’est une occasion d’entraînement pour la future force africaine d’intervention rapide, en Afrique et dans le reste du monde. L’Afrique ne peut exister dans la mondialisation qu’à travers sa propre contribution à la sécurité et à la stabilité du monde. Les Etats-Unis, qui ont sous-traité la sécurité en Afrique et la lutte contre le terrorisme sur ce continent à la France et aux Africains eux-mêmes, fournissent les avions de transport de troupe, les ravitailleurs aériens, les drones de contrôle et de renseignement, les informations issues de leur propre dispositif mondial de renseignement et une grande partie du financement des opérations. Il convient de rappeler que les Etats-Unis fournissent 25% du budget de maintien de la paix des Nations-Unies dans le monde, quand l'Europe apporte 40% et le Japon complétant avec 15%, soit 80% du financement venant des puissances industrielles historiques. L'on sait également que la sécurité de l’Afrique est indispensable à celle de l’Europe, qui constitue la prochaine étape du terrorisme international… par ailleurs, tout déséquilibre sécuritaire ou économique en Afrique se répercute en Occident (Europe et Amérique du Nord) par des vagues de réfugiés et par les pertes des activités économiques occidentales en Afrique. Celle-ci est devenue le coeur et la principale réserve des ressources naturelles d'approvisionnement des industries dans le monde.
Enfin, le volet politique devrait rapidement se mettre en mouvement pour accompagner les efforts militaires et asseoir une solution longue à cette tragédie centrafricaine, dont nous connaissons tous les origines et les auteurs depuis bien longtemps. Les blessures ont été très profondes et la fracture interconfessionnelle est trop ouverte pour procéder à des élections générales sans passer par la thérapie générale des Centrafricains. La Centrafrique ne fera donc pas l’économie d’une conférence nationale souverain pour « vider le sac de la haine » avant de repartir sur de nouvelles bases plus solides. Elle devrait se doter d’un « Haut-Commissariat à la Réconciliation et à la Réhabilitation », autonome, indépendant, dirigé par des personnalités compétentes, libres de toutes les injonctions politico-militaires, et intégrant les représentants politiques, religieux, sociaux, des Jeunes et de tous les acteurs des couches de la société centrafricaine. Ce Haut-Commissariat serait chargé d’apporter des pistes de solutions de sécurité et de paix durables avant l’ouverture des élections générales et accompagnerait le refondation de la nouvelle Centrafrique. Interlocuteur des bailleurs extérieurs, des organisations d’experts en réconciliation, des organes spécialisés des Nations-Unies, des organisations nationales et internationales des droits de l’homme, ce Haut-Commissariat serait ainsi le dispositif central de la renaissance d’une nouvelle Centrafrique. En cas d'échec de cette initiative intégrant tous les Centrafricains à la recherche d'une solution interne durable à leurs crises à répétition, une dernière carte serait le recours à la mise sous tutelle internationale effective de la Centrafrique.
Emmanuel Nkunzumwami
Ecrivain-Essayiste
Analyste politique sur Radio Africa n°1
Auteur de "Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation" (Ed. L'Harmattan, 2013)
Et de "La montée de l'extrême droite en France" (Ed. L'Harmattan, 2012).
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