LA MONTEE DE L'EXTREME DROITE EN FRANCE
19 juin 2013
La montée de l’extrême droite en France est très remarquée depuis la dernière élection présidentielle de 2012.
Le Front national avait été réduit à son socle d’inconditionnels lors de l’élection présidentielle de 2007 lorsque Nicolas Sarkozy avait emporté la victoire en détournant une partie des électeurs du Front national. Non pas que Nicolas Sarkozy intégrait les thèses du Front national, mais il avait su comprendre les attentes de ses électeurs pour leur élargir son offre politique en partage avec le reste de la communauté nationale. Il apportait une offre sociale, en parallèle avec une réponse aux préoccupations exprimées par les électeurs du Front national. En 2012, l’exercice n’a pas réussi car ces électeurs étaient plus préoccupés par les effets de la crise internationale et leurs incertitudes dans un monde qui change trop vite et devenu trop complexe pour une grande partie des Français. De nombreux électeurs se sont alors réfugiés vers le Front national, comme pour « faire le gros dos » en attendant le passage de l’orage de la crise. C’est ainsi que dans de nombreux départements en France, le Front national est devenu la deuxième force politique électorale, et même la première comme dans le département du Gard en Languedoc-Roussillon.
Le Front national devient l’arbitre des résultats électoraux en France
Depuis le premier tour de l’élection présidentielle de 2012, le Front national a acquis le statut d’une force nationale incontournable parmi les trois principaux animateurs de la vie politique en France : l’alliance Parti socialiste-Parti radical de gauche, l’alliance Union pour un mouvement populaire-Union des démocrates et indépendants, et le Front national. Ainsi, au 1er tour de l’élection présidentielle du 22 avril 2012, l’ensemble des six forces de gauche n’atteignait pas 50%. Très souvent elles totalisaient entre 30% et 45% dans de nombreux départements. Le tableau suivant présente les situations dans les régions au nord (Lorraine et Alsace) et au sud de la France.
1er Tour du 22 avril 2012 | |||||||
Régions | Départements | Total Gauche | FN | FdG | PS-PRG | MoDem | UMP-NC |
LORRAINE | Meurthe et Moselle (54) | 44,0 | 21,2 | 12,1 | 27,9 | 8,7 | 24,2 |
Meuse (55) | 36,4 | 25,9 | 8,9 | 23,4 | 9,2 | 26,6 | |
Moselle (57) | 38,2 | 24,7 | 9,5 | 24,5 | 9,3 | 25,9 | |
Vosges (88) | 38,7 | 24,2 | 9,7 | 24,7 | 9,4 | 25,3 | |
ALSACE | Bas-Rhin (67) | 31,5 | 21,2 | 7,2 | 19,6 | 11,9 | 33,6 |
Haut-Rhin (68) | 31,2 | 23,4 | 7,4 | 18,9 | 11,4 | 31,9 | |
LANGUEDOC-ROUSSILLON | Aude (11) | 47,3 | 23,2 | 13,2 | 30,4 | 6,0 | 21,6 |
Gard (30) | 41,3 | 25,5 | 13,3 | 24,1 | 6,9 | 24,9 | |
Hérault (34) | 44,1 | 22,3 | 13,3 | 26,7 | 6,9 | 25,3 | |
Lozère (48) | 42,2 | 17,3 | 12,4 | 25,2 | 11,0 | 27,8 | |
Pyrénées orientales (66) | 42,8 | 24,2 | 12,8 | 26,0 | 6,3 | 25,3 |
Tableau 1 : Forces relatives au 1er tour des principaux acteurs.
A l’issue du 1er tour, le Front national parvient se hisser soit en tête des résultats dans le Gard (30), soit s’impose comme la deuxième force électorale devant le PS-PRG dans la Meuse (55), la Moselle (57), le Bas-Rhin (67) et le Haut-Rhin (68), et même devant l’UMP-NC dans l’Aude. L’effet Marine Le Pen, la crise économique et sociale durable, l’entrée tardive de Nicolas Sarkozy en campagne, le rejet global de la personne de Nicolas Sarkozy assisté par les médias auprès des électeurs de droite, l’environnement international perturbé se sont conjugués pour pousser la montée du Front national. Ce refus de la droite républicaine s’est même traduit par les transferts de voix des électeurs du Front national vers le candidat socialiste François Hollande, comme on l’aperçoit dans le tableau suivant :
1er tour | 2nd tour / 6 mai 2012 |
| |||||
Régions | Départements | Total Gauche | Hollande | Sarkozy | Ecart F.H | MoDem | Contri extrê-droite |
LORRAINE | Meurthe et Moselle (54) | 44,0 | 53,1 | 46,9 | 9 | 8,7 | 4,7 |
Meuse (55) | 36,4 | 46,2 | 53,8 | 10 | 9,2 | 5,2 | |
Moselle (57) | 38,2 | 46,5 | 53,5 | 8 | 9,3 | 3,7 | |
Vosges (88) | 38,7 | 49,1 | 50,9 | 10 | 9,4 | 5,6 | |
| |||||||
ALSACE | Bas-Rhin (67) | 31,5 | 36,6 | 63,4 | 5 | 11,9 |
|
Haut-Rhin (68) | 31,2 | 36,7 | 63,3 | 5 | 11,4 |
| |
| |||||||
LANGUEDOC-ROUSSILLON | Aude (11) | 47,3 | 56,3 | 43,8 | 9 | 6,0 | 6,0 |
Gard (30) | 41,3 | 48,8 | 51,2 | 8 | 6,9 | 4,1 | |
Hérault (34) | 44,1 | 51,3 | 48,7 | 7 | 6,9 | 3,7 | |
Lozère (48) | 42,2 | 50,0 | 50,1 | 8 | 11,0 | 2,2 | |
Pyréenées orientales (66) | 42,8 | 50,6 | 49,4 | 8 | 6,3 | 4,7 |
Tableau 2 : François Hollande gagne jusqu’à 10 points au 2ème tour.
Les électeurs de Nicolas Sarkozy au premier tour ont gardé leur choix au second tour. Le taux de participation du second tour est relativement comparable à celui du 1er tour. Il en découle que lorsque le candidat socialiste gagne plus de voix que le réservoir du Modem, entre le total des voix de la gauche du 1er tour et le score du candidat socialiste au second tour, ces voix ne peuvent que provenir des électeurs de l’extrême droite. Il en est ainsi de la Meuse et des Vosges (10 points gagnés contre 9% du Modem), de l’Aude (9 points gagnés contre 6% du Modem), des Pyrénées orientales (8 points gagnés contre 6% du Modem). Il convient de signaler que le Modem est un parti de centre droit et que moins de la moitié de ses électeurs ont joint leurs voix à celles des électeurs du parti socialiste. Le tableau précédent nous montre clairement que l'extrême-droits est devenu l'arbitre incontournable des élections en France. Ausecond tour de l'élection présidentielle du 6 mai 2012, le candidat du parti socialiste et de la gauche a obtenu la victoire dans la Meuse (53%, grâce au minimum de 6% des voix de l'extrême-droite), dans l'Aude (56%, grâce au minimum de 6% des électeurs de l'extrême-droite), dans le Hérault (51%, grâce au minimum de 4% des électeurs de l'extrême-droite), dans les Pyrénées orientales (51%, grâce au minimum de 5% des électeurs de l'extrême-droite).
Conclusion
Les résultats de cette analyse indiquent que le Front national et l’extrême apparaît de plus en plus comme un parti ordinaire et acceptable pour plus de 20% d’électeurs en moyenne dans les départements indiqués dans cette publication. C’est cette normalisation qui lui permet d’éliminer de plus en plus de candidats socialistes (et parfois de la droite républicaine) du second tour des élections législatives. Et le phénomène ne fait que commencer. Il convient de distinguer les électeurs sensibles aux thèses de l'extrême-droite, qui se réfugient dans le vote protestataire des extrêmes et le rêve d'une France protectrice des identités fragilisées d'une part, et les militants "idéologisés" de l'extrême droite qui capitalisent sur les peurs et les angoisses des électeurs qui ont perdu la confiance dans l'avenir avec les partis de gouvernement de droite et de gauche. Les partis républicains de droite et de gauche ont le devoir d’apporter des réponses concrètes rapides et des engagements clairs aux électeurs de l’extrême droite pour éviter la rupture entre une partie des citoyens et les responsables politiques. S’attaquer aux privilèges de certains salariés de l’Etat, combattre le chômage, imposer la transparence dans la gestion publique, rassurer les masses populaires fragilisées par la crise, etc. sont des solutions indispensables pour endiguer les dérives vers les votes des extrêmes. Les prochaines élections municipales de mars 2014 donneront une réponse sur l’amplification de cette montée de l’extrême droite en France.
Emmanuel Nkunzumwami
NERES
Auteur de « La montée de l’extrême droite en France », Ed. L’Harmattan.
E-mail : emmankunz@gmail.com ou emma.nkunz@orange.fr