IMMIGRATION ET IDENTITE NATIONALE : LE DEBAT
27 mars 2007Il est un sujet d’actualité qui défraie la chronique et que Monsieur Nicolas Sarkozy a eu le courage d’initier : la création d’un « Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale ». Plutôt que de chercher à l’éviter par peur de susciter des réactions variées ou de l’interpréter avec moquerie comme le fait l’extrême-droite, c’est un vrai sujet de débat et qui mérite une attention de la part de tous les français, et même de tous les immigrés candidats à l’intégration et à la naturalisation. Au-delà des manipulations d’extrême-droite et d’extrême-gauche, il convient de constater que la France traverse une crise économique majeure et dont le retard d’importantes réformes, longtemps ajournées, rend quasiment structurelle. Comment expliquer que parmi les douze États de la zone Euro depuis le début de l’an 2000 (treize depuis le 1er janvier 2007) , la France soit le pays dont la croissance de 2% en 2006 soit la plus faible (avant dernier sur douze États !), où le chômage peine à baisser (avec 8,9% de taux de chômage et plus de 7 millions de pauvres dont certains ont même un emploi), où la crise du logement dans les agglomérations urbaines atteint le seuil de l’indécence pour une nation riche comme la nôtre, où les tensions sociales et les violences qui en découlent, empruntent les couloirs des discriminations raciales, de la pauvreté, du communautarisme regroupant tous les exclus économiques et sociaux dans les ghettos, etc.
L’extrême-droite a vite fait de désigner le coupable : c’est la faute à l’immigré. Et elle oublie que la France du 21ème siècle est multicolore. Au lieu de mobiliser les français autours des valeurs partagées de la République pour l’ensemble des citoyens de France, elle attise les peurs, encourage le racisme, livre de fausses analyses sur les difficultés de la France dans un monde où la compétition économique est de plus en plus vive.
Ainsi donc, se faufilant derrière l’idée de Nicolas Sarkozy de créer un ministère de l’immigration et de l’identité nationale, l’extrême-droite française en fait une lecture xénophobe et raciste digne des sombres périodes de la pureté ethnique des nazis et de l’épuration en France sous la pression allemande, pendant que Ségolène Royale en fait un thème de résistance à demandant aux français de sortir le drapeau tricolore comme étendard pour se prouver que l’on est français et de se réunir autour de la Marseillaise… Mais la France serait-elle en danger aujourd’hui ? La France a-t-elle peur de l’immigration ? Ségolène Royale ne risque-t-elle pas d’alimenter involontairement l’océan du nationalisme et du racisme de l’extrême-droite par le réflexe identitaire suscité par la banalisation de la Marseillaise et du drapeau tricolore au balcon ? Comme si la France était à nouveau assiégée et qu’il fallait sortir toutes les armes patriotiques pour se défendre contre l’envahisseur ? Tout se passe donc comme si Nicolas Sarkozy imposait ses thèmes de campagne et que les autres candidats se déterminaient par rapport à lui. Pourtant l’idée de Nicolas Sarkozy apparaît simple et fondée même si l’on peut discuter des contours. Les hommes politiques français ont toujours agi pour ou contre les étrangers et des français issus de l’immigration sans prendre la mesure de l’ampleur de leur situation et sans écouter leur parole. Donc, ceux-ci ont été amenés à ne se parler qu’entre eux et se serrer les coudes pour faire face à la haine et à l’exclusion. Certains parlent alors de repli de ces populations sur elles-mêmes, d’autres évoquent le communautarisme, d’autres avancent même le refus des immigrants à s’intégrer à la communauté nationale française, etc. alors que ces populations tentent de se regrouper pour mieux s’exprimer comme vient de le réaliser le Conseil Représentatif des Associations de Noirs en France (CRAN), et sans doute d’autres organisations apparaissent ici ou là pour défendre les opprimés. Il ressort d’une étude du Bureau Internationale du Travail en collaboration avec le Ministère français de l’Emploi et de la Cohésion Sociale, rendue publique le 15 mars 2007, que dans quatre-vingts pour cent des cas (80%) où un(e) français(e) noir(e) se présente à un emploi avec un français « blanc » à formation et compétences équivalentes, le candidat noir est rejeté. Cette situation se renouvelle à 75% lorsqu’il s’agit d’un « français d’origine maghrébine » et à 67% à l’encontre d’une « française d’origine maghrébine ». L’égalité des chances est totalement en panne et l’ascenseur social n’a jamais fonctionné en réalité… Les quelques « success stories » racontent les aventures des rescapés de la discrimination. Bien entendu, à chaque fois qu’une enquête ressort la situation « désastreuse » dans laquelle se trouve une grande partie des français issus de l’immigration, les politiques feignent de découvrir une France « xénophobe et raciste ». Pourtant, d’importantes réformes à engager concernent également l’obligation de réussite dans l’intégration républicaine des étrangers qui ont choisi d’unir leur destin à celui de la France.
Alors, des constats simples s’imposent, au-delà des slogans conjoncturels :
1°) Plus de 8 millions de citoyens français sont issus d’une immigration récente, dont plus de 3 millions issus de l’Afrique Noire. Mais les statistiques officielles interdisant l’inscription de la mention ethnique de la population, ces français venus d’ailleurs ont entrepris de se compter eux-mêmes pour mieux peser sur leur sort au lieu de le subir « ad vitae aeternam ». La discrimination raciale actuelle en France contre les français issus de l’immigration est une honte qui nous rappelle les temps douloureux de la colonisation. Il est honteux de voir que les taux de chômage moyens dans les populations de jeunes français noirs atteignent 25% en moyenne alors que le taux moyen du chômage en France est de l’ordre de 8,9%. Cela est d’autant plus honteux que ce sont les jeunes « formés » en France, ayant des qualifications comme leurs camarades « blancs » qui en sont victimes. Comment alors motiver les jeunes à étudier lorsque les modèles parentaux et des frères sont totalement cassés ?
2°) De nombreux dirigeants des pays d’origine traitant leurs populations –comme leur développement économique, par ailleurs- avec tellement d’irresponsabilité et d’incompétence, souvent doublées d’une criminalité rare pour s’enrichir ou se maintenir au pouvoir que des millions d’enfants, de femmes et d’hommes sont jetés sur les routes de l’exil pour se garantir une survie en Occident, en Amérique et même en Asie. La France n’est donc pas seule bénéficiaire de toute la misère du monde en souffrance.
3°) La construction et l’édification de la France, comme cela a été depuis la création du Royaume et au cours de son expansion géographique à travers les siècles, se sont faites par des intégrations successives des peuples de nouveaux territoires unissant leur destin à la France. Aujourd’hui, cette capacité d’intégration semble s’essouffler…
4°) La mondialisation a fragilisé et continue de miner la France de l’intérieur. Le retard pris dans les réformes profondes du pays, y compris les luttes efficaces contre les discriminations et la promotion de l’équité de traitement des populations issues de l’immigration, se répercute sur la montée de la xénophobie et du racisme. De nombreux immigrés chercheront d’autres cieux plus cléments où ils pourraient mieux exercer leurs talents. Par ailleurs, la France n’est plus le seul partenaire de choix de nombreux pays africains. Forts de leurs matières premières, certains pays s’engagent dans une coopération économique, industrielle et financière avec le mieux offrant du moment. La Chine démontre chaque jour ses capacités à ouvrir la brèche et réorienter les politiques internationales africaines. De 10 milliards de dollars d’investissements sur le continent noir en 2000, la Chine va passer à 55 milliards en 2008 et n’entend pas s’arrêter en si bon chemin : les matières premières et l'énergie sont si rentables à acheter à la source et indispensables à son développement industriel mondial qu’elle investit tous azimuts là d'où elle veut s’approvisionner : en Afrique et au Moyen-Orient principalement. La géopolitique a changé et certains politiques français ne semblent pas le voir.
5°) Enfin, on peut critiquer certaines pratiques communautaristes des pays anglo-saxons, mais ce n’est pas en France que nous rencontrons le cardinal noir à Marseille, à Lyon ou Paris ; ni le président noir d’un des plus grands symboles de la France. Pourtant, le Royaume-Uni a réussi à installer à l’Archevêché Anglican de York, Most Reverend Dr John Sentamu, arrivé d’Ouganda, son pays natal dans les années 70 après des études à l’université de Makelele et une première expérience professionnelle en Ouganda. Il est maintenant la deuxième autorité de l’Église Anglicane après l’archevêque de Canterbury. Ce n'est pas en France non plus que nous verrons demain Colin Powell ou Condy Rice ou d'autres grandes figures politiques et du monde des affaires aux Etats-Unis mais d'une couleur qui "fait faire du bruit" en France. Parce que dans des pays anglo-saxons, les compétences sont reconnues et valorisées alors qu’en France, la hauteur du plafond des responsabilités est déterminée par la couleur de la peau. Il suffit de parcourir les entreprises, les établissements publics, les Etats majors des partis politiques, etc... pour s'en rendre amèrement compte. Et lorque Nicolas Sarkozy propose la diversité dans la Police pour qu'elle ressemble mieux à la population qu'elle a la charge de servir, il est taxé de communautariste. Et lorsqu'il nomme un préfet "d'origine immigrée récente", la presse l'appelle immédiatement un "préfet musulman". Il est marqué au fer rouge. A-t-on dit d'un autre préfet qu'il était juif, catholique, protestant, etc. Non. Ce n'est ni la religion, ni la couleur de peau qui déterminent les limites des compétences des individus. Demain, s'il nomme un ambassadeur "français d'origine noire africaine", la presse dira encore "un ambassadeur noir" ou un "préfet noir". Oui, c'est cela aussi l'expression du racisme en France. Et cela justifie, au besoin encore, la création d'un ministère de l'Immigration et de l'intégration qui nous aidera à "gommer" ces visions de strabisme sur la Société Française dans sa dynamique d'évolution. Les immigrés intégrés récents ne souhaitent pas non plus un traitement différencié.
Dès lors que plus de 10% de la population française sont abandonnées au bord de la route de l’intégration, pourquoi s’étonner qu’un homme politique courageux propose qu’un ministère leur soit consacré. Bien sûr que l’immigration d’aujourd’hui dessine le visage de la France dans trente ans. Bien sûr que la France « purement blanche » n’existera plus, pour autant qu’elle ait déjà existé dans son histoire ! Bien sûr qu’il faut se dire des vérités pour mieux préparer la France de demain. Les discours généraux et démagogiques ont déjà vécu, il faut s’attaquer aux vrais problèmes de la France, si besoin au cas par cas puisque le Monde a changé et que la France n’est plus au centre du Monde. Nicolas Sarkozy a raison de soulever ces questions. Et si l’identité nationale constitue un sujet sensible pouvant se prêter à plusieurs interprétations, nous proposons un « Ministère de l’Immigration et de l’Intégration » rattaché si besoin au Premier ministre. Son rôle serait alors de :
- Coordonner la politique nationale de l’immigration et de l’intégration. Et si ralentir les flux migratoires peut garantir un traitement humain et digne des immigrants installés en France, c’est une voie qu’il ne convient pas de négliger. Le but est d’installer une politique « gagnant-gagnant » pour la France et pour les immigrés.
- proposer et suivre des actions d’intégration efficace incluant l’éducation, les formations, les actions sociales, les naturalisations et les luttes contre toutes formes de discriminations. Nous devons être acteurs de notre avenir commun pour mieux le maîtriser.
- mener des actions préventives contre la formation des communautarismes et pour la mixité culturelles. S’inscrit dans cette mission, la promotion de l’identité française. Eviter les traitements différenciants et humiliants, comme des pratiques communautaristes. Il n'y a pas une France pour les musulmans, une France pour les noirs, une France pour les autres groupes socio-ethniques... mais une France pour tous les Français.
- conduire la politique française en direction des pays d’origine des immigrants pour responsabiliser les dirigeants, coordonner l’aide au co-développement avec l’Union Européenne, lutter contre les trafics des êtres humains et promouvoir les droits de l’Homme dans les pays d’origine.
Certes, l’immigration est une formidable chance pour la France dans la bataille mondiale de la globalisation des économies, à condition toutefois de réussir l’intégration des français issus de l’immigration et de maîtriser les flux pour mieux intégrer les nouveaux arrivants.