Le débat Benoît Hamon-Manuel Valls pour le second tour de la primaire de la gauche du 29 janvier 2017
26 janv. 2017Le débat du second tour entre Benoît Hamon et Manuel Valls était promis pour être un temps de clarification sur des "gauches irréconciliables". Il l'a été en partie. Chacun a expliqué les atouts de ses positions dans la gauche.
D'emblée, Benoît Hamon a eu le privilège d'ouvrir le débat. Il attaque directement François Fillon (sur la prétendue régression sociale de son projet) et Marine Le Pen (sur ses position nationalistes et xénophobes). Et il se lance pour la fondation de la VIème République. Mais, on ne sait toujours pas ce que l'on reproche à la Ve République, et ce qu'est censée corriger cette VIe République ! Pour Benoît Hamon, et selon des hypothèses glanées dans plusieurs études, 10% des emplois actuels vont disparaître en France (et même 47% aux Etats-Unis) sous la pression de Révolution numérique. Donc il faut changer de modèle social et de modèle économique. Et comme il n'y aurait plus de croissance dans les années à venir, alors il faut garantir un Revenu Universel d'existence pour tous (750 euros pour toute personne de plus de 18 ans !), et réduire la durée de travail à une moyenne de 32h hebdomadaires. Il relève le constat d'un intervalle allant jusqu'à 5 ans entre la sortie d'école et la signature d'un premier CDI pour un jeune. Mais, pour lancer son Revenu Universel d'existence, il préconise déjà et tout de suite 600 euros par mois à tous les jeunes de 18 ans à 25 ans (notamment pour poursuivre leur cursus scolaire ou universitaire), pour un coût évalué à 45 milliards d'euros chaque année. Lorsque les journalistes lui rétorquent que la France souffre déjà des dépenses publiques qui atteignent 57% du Produit intérieur brut, le plus fort taux de dépenses publiques en Europe, Benoît Hamon se rabat sur le retrait des financements aux entreprises à travers le CICE (Crédit d'impôt pour la compétitivité des entreprises) d'environ 40 milliards d'euros, et le transfert de l'impôt sur la fortune pour payer ces 45 milliards nécessaires destinés aux jeunes. Sur les 2.170,6 milliards de dette publique actuelle (97,6% de la richesse de la France - PIB), et des déficits budgétaires chroniques, Benoît Hamon assume qu'il faudra augmenter davantage l'endettement (donc vers plus de 100% du PIB ?) et augmenter des impôts pour payer le Revenu Universel d'existence.
Le raisonnement de Benoît Hamon peut paraître séduisant pour les personnes éloignées durablement du marché du travail (près de 6 millions de chômeurs) et des catégories de personnes pauvres (soit plus de 14% de la population française). Mais, pour financer 45 milliards d'aides aux jeunes de 18 à 25 ans, il démunit l'Etat de l'impôt sur le patrimoine et prive les entreprises des ressources de compétitivité. Il peut le faire sur un an et il assèche ces ressources. Et après ? Il actionne ensuite le levier de la dette publique, déjà très élevée (97,6% en France contre 90,1% pour l'ensemble des pays de la zone euro !). Or qui accroît la dette, alors que la croissance de la richesse du pays est très faible, doit penser à rembourser par de nouvelles taxes et de nouveaux impôts, alors que les Français ont déjà atteint la saturation des impôts. Or si les entreprises manquent de marges de manœuvre pour la compétitivité internationale, via le CICE actuel, elle licencieront, et donc accroîtront le chômage et la précarité, et donc accroîtront la pauvreté dans le pays, et donc priveront l'Etat des recettes fiscales et des cotisations, et donc aggraveront le déficit budgétaire et le déficit de la sécurité sociale, et donc entraîneront de nouveaux impôts à des Français qui n'ont plus de revenus... et précipiteront la France dans la faillite assurée.
Manuel Valls, démarre son intervention en rappelant les valeurs et les combats communs partagés avec Benoît Hamon, nous instruit que la gauche est utile aux Français, alors que ceux-ci n’en veulent plus, mais de différencie de son concurrent par la défense de la société du travail qui confère la dignité à tout humain. Tout en reconnaissant les transformations induites par la révolution numérique, il explique que le travail ne disparaît pas, mais qu’il mute sous d’autres formes. Et pour y faire face, il faut de la formation tout au long de la vie et profiter des nouveaux outils de la sécurité professionnelle ! Et que la révolution numérique créera de nouveaux emplois. On pourrait être d’accord avec lui que la révolution numérique crée de nouveaux modes de travail, une sorte d’ "horizontalisation" des relations entre les acteurs économiques. Ce n’est pas la révolution numérique qui supprimera des usines car il faudra produire des biens de consommation. Elle ne réduira pas la logistique, car il faudra bien faire parvenir les biens physiques produits à l’adresse des consommateurs. La révolution numérique ne remplacera pas le chirurgien à l’hôpital pour intervenir sur le patient, mais elle lui simplifie les moyens d’intervention. La révolution numérique n’abritera pas les familles, car il faudra bien des logements construits des mains d’hommes, avec l’aide des machines et des données numériques pour concevoir les habitations. Néanmoins, la plus belle image du logement en 3D ne constitue pas un appartement ou une maison pour se loger. Une partie du travail, notamment dans les secteurs secondaires et tertiaires, mutera dans les facilités offertes par la digitalisation, mais d’autres activités connexes se développeront également. Manuel Valls insiste alors que ces nouveaux métiers qui naissent et pour lesquels il va falloir préparer les Français pour leur avenir. Il réfute les arguments de Benoît Hamon sur le Revenu Universel, qui serait trop coûteux pour les finances publiques, qui en envoie en mauvais signal que les Français pourraient se dispenser de travailler pour percevoir un revenu sans contrepartie de l’effort et du travail. Sachant bien qu’il faut des personnes qui travaillent pour produire ce revenu à distribuer. Il confirme qu’il souhaite rétablir des heures supplémentaires non taxées pour les salariés et non chargées pour les entreprises, une pratique instaurée sous la présidence de Nicolas Sarkozy et supprimée par la gauche dès son arrivée au pouvoir en 2012. Manuel Valls insiste sur le « Revenu décent » regroupant toutes les allocations sociales actuelles revalorisées, avec un minimum de 800 euros par mois, mais permettant une réintégration dans le travail. Ce revenu est donc individualisé, au cas par cas, et soumis aux conditions de ressources. Il termine en se déclarant attaché à la fiche de paie et non à la feuille d’impôt comme son concurrent.
Au cours de ce débat, Benoît Hamon expose ses vues, son modèle économique et social, clairement populiste pour se rapprocher de la demande sociale des plus démunis, et lance les sujets de débat. Manuel Valls défend ensuite ses différences avec les positions de son concurrent. Alors qu’il se déclare plus proche de Jean-Luc Mélenchon en grande partie sur son programme, tout en retenant certaines positions d’Emmanuel Macron, Manuel Valls se déclare dans l’ouverture pour couvrir et rassembler la gauche depuis Jean-Luc Mélenchon jusqu’à Emmanuel Macron, en vantant son expérience comme un atout pour diriger la France.
La gauche dépensière, utopique, prête à appauvrir les riches sans enrichir les pauvres, de l’accroissement de la dette publique et de tous les déficits, et donc de l’accroissement des impôts de la minorité qui travaille, de rêve du travailler moins pour gagner plus, est du côté de Benoît Hamon.
La gauche de la valeur travail, de l’aide aux entreprises pour créer la richesse et des emplois, de l’application de la laïcité selon la loi et sans compromission, de la garantie des acquis sociaux et de la conquête des droits nouveaux, de la rigueur budgétaire pour alléger l’endettement et maîtriser les déficits budgétaires, est du côté de Manuel Valls.
Dimanche, le 29 janvier 2017, le second tour de la primaire de la gauche désignera l’un de ces concurrents comme candidat de l’Union de la gauche, face à Emmanuel Macron et à Jean-Luc Mélenchon, pour défendre les couleurs de la gauche à l’élection présidentielle du 23 avril 2017.
Emmanuel Nkunzumwami
Analyste politique et économique
Ecrivain-Essayiste