Le score du Front national dans le Doubs, lors de l’élection législative partielle pour le siège de Pierre Moscovici, ancien ministre de l’économie parti rejoindre le poste de Commissaire européen à Bruxelles, interroge toute la classe politique. La situation socioéconomique et les difficultés de rassemblement à droite en France deviennent des opportunités électorales pour le Front national.

     Les électeurs du Parti socialiste se sont mobilisés dans la continuité de la grande Union nationale réussie par le président François Hollande, le 11 janvier 2015, à la suite des horribles attentats survenus les 7, 8 et 9 janvier 2015. Néanmoins, la candidate du Front national, Sophie Montel, sa candidate dans la quatrième circonscription du Doubs est arrivée en tête (32,60 % des suffrages) dimanche 1er février lors du premier tour de l'élection législative partielle. Elle devra affronter en duel le candidat socialiste Frederic Barbier, arrivé en deuxième position (28,85 %) devant Charles Demouge (UMP), longtemps donné favori de ce scrutin mais éliminé de la course à l'issue du premier tour (26,54 %).

 

Mais où en est le Front national dans cette région de Franche-Comté ?


     « Dans la région de Franche-Comté, le Front national marque sa forte présence dans les départements de la Haute-Saône (70) avec une moyenne de 34,2%, et dans le petit Territoire de Belfort (90) où il franchit le seuil de 30%. Cette région, longtemps connue comme la capitale française de l’horlogerie et de la micromécanique, en plus de sa gastronomie fromagère et vinicole (célèbres vins jaunes et vins de paille du jura), affronte la crise liée à la mondialisation de l’industrie. Les grandes industries automobiles (Territoire de Belfort et Doubs), ferroviaires et électrotechniques (Belfort), horlogères (Doubs) et du jouet (Jura) rencontrent une rude concurrence à l’export sur le marché international, notamment des entreprises asiatiques (chinoises, pour l’essentiel). La consommation intérieure est atone pour absorber la production et soutenir la croissance. La crise pousse progressivement les électeurs vers l’extrême droite, pour sanctionner le gouvernement.

 

 

Région : Franche-Comté

Circonscription :

Est de la France

Doubs

Jura

Haute-Saône

Territoire

de Belfort

(N° du département)

(25)

(39)

(70)

(90)

Font national

26,8

26,7

34,2

30,2

UMP

24,4

22,1

22,4

21,5

Union du centre

7,9

8,5

6,8

8,9

Union de la gauche

14,1

13,0

13,2

13,2

LVEC

7,2

7,0

5,0

6,4

Debout la République

3,7

4,6

4,0

3,8

Front de gauche

5,7

7,4

5,7

5,8

INSCRITS

362 256  

188 592  

180 549  

95 355  

VOTANTS

166 874  

89 583  

88 741  

42 008  

Participation

46,1

47,5

49,1

44,1

EXPRIMES (%)

44,0

45,1

46,3

42,0

VOTES EXPRIMES

159 242  

85 048  

83 616  

40 044  

Répartition des suffrages (en %) dans la Franche-Comté par département,

 et par famille politique aux élections européennes du 25 mai 2014"

 

Extrait de « La conquête de l’extrême droite » (p.353-354).

 

« Dans le territoire de Belfort, la commune de Beaucourt a pesé avec 33,4% de ses 1.490 voix exprimées sur les 40.044 du département pour élever le score du Front national. Le résultat de 30,2% est ensuite apporté par des contributions de très nombreuses petites communes, d’autant que les deux autres grandes villes, Belfort (23%) et Delle (29,8%) n’atteignent pas la moyenne du département.

Territoire de Belfort (90)

FN

UMP

UC

UG

LVEC

FdG

Partic.

Belfort

23,0

24,6

9,9

15,1

7,7

6,2

38,5

Beaucourt

33,4

26,6

6,1

13,6

4,1

4,8

40,7

Delle

29,8

20,3

5,9

17,7

4,1

8,1

35,1

Scores comparés des principales formations politiques aux élections européennes du 25 mai 2014 dans le territoire de Belfort (90), proche de Montbéliard, dans le Doubs (25). »

Extrait de « La conquête de l’extrême droite en France » (p.355).

 

     A cette élection partielle, la gauche parvient à se qualifier pour le deuxième tour, après une séance de dépouillement très serrée avec l'UMP. Elle réunit 28,8 % des suffrages exprimés. Son candidat, Frédéric Barbier, suppléant de Pierre Moscovici, perd néanmoins douze points par rapport au score de son prédécesseur, qui avait réuni 40,81 % des suffrages exprimés au premier tour en juin 2012.

     Mais, le saut est tout à fait spectaculaire pour le FN, qui gagne dix points par rapport à la législative de 2012, se fait sur fond d'une abstention élevée. Cependant, pour l'analyse, il faut relativiser : le taux de participation à cette élection législative partielle est de 39,6% et il n'est éloigné que d'environ 6 points par rapport aux élections européennes de mai 2015 où le Front national s'est révélé comme première force électorale du département du Doubs (avec une participation de 46,1%) comme dans celui du Territoire de Belfort voisin. Le FN est donc le premier bénéficiaire de la faible participation des électeurs. La qualification de candidat PS pour le second tour serait à corréler avec la grande mobilisation des Français pour le 11-janvier. C'est le Premier ministre, Manuel Valls, qui s'est déplacé et a battu le rappel des électeurs en faisant ce parallèle : «Mobilisez-vous! Soyez fiers de cette France du 11 janvier», avait lancé mardi, lors d'un meeting à Audincourt. Il a donc nationalisé cette élection ; le parallèle avec les européennes du 25 mai 2014 devient ainsi clair dès lors que les élections locales prennent un symbole de victoire ou de défaite nationale. Mais, cette pression nationale aura également servi à neutraliser le risque de division dû aux cinq candidats de gauche, dont les Verts.

La position de l'UMP est l'un des enjeux déterminants de ce duel inédit : PS contre FN sous l'arbitrage de l'UMP

Dans cette bataille du premier tour, la droite a voulu jouer l'union derrière son candidat UMP, Charles Demouge. Mais, celui-ci arrive en troisième position, avec seulement 26,5% des voix, à peine mieux que les 23,8% obtenus lors du premier tour de l'élection législative de 2012, toujours derrière la candidate du FN. Avec cet échec, l'UMP connaît l'interruption de la succession de plusieurs victoires obtenues dans les élections partielles depuis l'automne 2012. La domination du scrutin par la candidate du Front national est donc un signe d'une réelle conquête des électeurs par ce parti qui est devenu le centre d'attraction de tous ceux qui rejettent la droite et la gauche. Du vote contestataire, le risque fort d'un vote d'adhésion de plus en plus marqué pour le FN devient réel. Ce phénomène interroge les pratiques politiques en France, le rôle même des élus de la nation et leur capacité à se mettre à l'écoute des citoyens, l'écart entre les dirigeants politiques "professionnels" et le peuple, et la perception que les électeurs français portent sur la France dans les compétitions économiques mondiales.

 

Emmanuel Nkunzumwami

Essayiste,

Auteur de "La Conquête de l'extrême droite en France" (Editions L'Harmattan, 2014).

Le Front national arrive en tête de l'élection législative partielle dans le Doubs, la droite est éliminée (1er février 2015).
Le Front national arrive en tête de l'élection législative partielle dans le Doubs, la droite est éliminée (1er février 2015).
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