La France et l'Europe auraient-elles quelques difficultés à intégrer quelques centaines de milliers de ressortissants non-occidentaux sur leur sol, épartpillés dans chacun des pays de l'Europe ? Pourquoi cette tentation du jihad des Jeunes, sortis des collèges, des lycées, des petits emplois, etc. pour rejoindre le chaudron de la mort en Irak (Etat Islamique d'un prétendu dernier khalife du prophète) et en Syrie (contre le régime de Bachar Al-Assad) ? Qu'est-ce qui n'a pas marché en Europe pour que les Jeunes désespérés se livrent ainsi au suicide collectif au service des Barbus ? Qu'est-ce donc l'intégration pour eux et pour nous ?
L'intégration est un processus par lequel un nouvel arrivant dans une collectivité humaine ou animale essaie de s'approprier les us et coutumes de cette collectivité, et de partager la vie quotidienne de celle-ci. Lorsqu'un animal, élevé dans un zoo, est laché dans le parc pour retrouver ses congénères de même espèce, il procède à son intégration. Il intègre la troupe et suit les moeurs de cette troupe. Lorsqu'un individu arrive sur un territoire, il essaie de comprendre le mode de vie de cette nouvelle collectivité, mesure l'écart éventuel entre ses pratiques anciennes et les nouvelles découvertes, met en parallèle son passé culturel et la nouvelle vie, et s'inscrit dans un destin commun avec sa nouvelle communauté de vie.
Pour les humains comme pour les animaux, ce processus est permanent, et il demande un double effort : celui des habitants accueillants et celui de la personne accueillie pour l'aider à intégrer son nouvel environnement. Il ne s'agit donc pas de nier l'identité de la personne accueillie, ou que cette nouvelle personne impose ses règles de vie à ses hôtes. C'est un ajustement mutuel permanent. Néanmoins, la collectivité accueillante étant relativement stabilisée sur un socle de valeurs implicites ou explicites, c'est à la personne accueillie d'accepter d'y trouver sa racine ou de s'en faire une sur ce socle commun.
Les déterminants suivants interviennent dans le processus régulier d'intégration :
1°) le logement: dès l'accueil des nouveaux, ceux-ci sont hébergés, à proximité ou au milieu des habitants historiques. Cela s'appelle la "mixité" en France. Des logements décents, identiques à ceux des habitants historiques, entretenus selon les mêmes règles, facilitent l'intégration des nouveaux arrivants, qui alors se sentent réellement accueillis. Mais en contrepartie, les nouveaux arrivants appliquent les mêmes règles de vie en communauté : entretien, propreté, respect des rituels sur la circulation et le bruit, échanges avec les autres habitants, participations aux rituels locaux (fêtes, réunions de voisinage, etc.). Le logement est donc la première étape du processus de l'intégration.
2°) l'éducation : lorsque les groupes de nouveaux arrivants comprennent les enfants, il est primordial que ces enfants rejoignent les enfants du même environnement. Les jeux entre des enfants sont une porte d'entrée pour cette tranche d'âge. Ensuite, l'école pour les enfants (scolarisation) et les centres d'apprentissage à la langue et à la culture pour les adultes (alphabétisation) accélèrent le processus. Plus vite les enfants et les adultes intègrent les lieux d'éducation ou de formation, plus rapide sera l'intégration dans la nouvelle communauté. Les enfants assimilant plus rapidement les paramètres du nouvel environnement, entraînent souvent les parents : rencontres avec les voisins, réunions de parents d'élèves, fêtes de l'école, fête des quartiers, rencontres culturelles pour mieux se connaître et se comprendre. L'éducation est la deuxième marche de l'intégration.
3°) le revenu : c'est le passeport de l'autonomie. L'on peut comprendre que les nouveaux arrivants ne parlent pas la langue du pays d'accueil, n'écrivent pas dans cette langue, n'utilisent pas les codes de la langue locale dans leurs activités quotidiennes. L'école et les centres de formation sont ouverts pour cela. Il faut une réelle volonté d'apprendre pour les parents comme pour les enfants. Pendant l'initiation à la langue et aux métiers, les adultes sont pris en charge par la collectivité. Mais pour cette collectivité, comme pour les apprenants nouveaux arrivants, au même titre que pour les habitants historiques de ce territoire, les aides financières à l'installation et à l'intégration s'entendent de courte durée. L'objectif est alors de mener les nouveaux arrivants intégrés à l'autonomie financière par le travail. Nul ne peut retrouver ou conserver sa dignité dans l'assistanat permanent, à vie, pour la famille, les enfants, et les enfants des petits-enfants... L'accès à l'autonomie économique et financière des nouveaux arrivants contribue à une réelle intégration par la contribution à l'utilité collective.
4°) Le territoire : c'est le socle d'enracinement dans le pays. Nous appartenons tous à une terre, d'origine ou d'adoption, car nous faisons corps avec les autres habitants de ce territoire. En y regardant de près, nous sommes tous des migrants à diverses époques de notre histoire. Paris n'a pas toujours été habité par les habitants de Paris historiques, il en est de même de toutes nos communes, tous nos départements et toutes nos régions. Les mouvements humains des migrations ont peuplé progressivement nos territoires. Les nouveaux arrivants intègrent le territoire en partagent le destin, participant à sa construction, à sa structuration, à ses commerces, et à la vie quotidienne du territoire. Aussi, les différentes vagues d'immigrations s'enracinent sur le territoire et constituent les "habitants" du territoire. Le territoire est notre lieu d'identification et d'intégration sociale.
5°) l'engagement sociétal : ce point peut faire l'objet des débats houleux, des désaccords et même des contestations. Les couches successives d'immigrations ont fabriqué un territoire. Il a alors une identité culturelle (fêtes locales, habitudes installées, etc.), une identité sociale et une pratique spirituelle historiques partagées. Tel village se définit comme majoritairement catholique, tel se définit comme territoire ouvrier, telle quartier est plutôt dominé par la pratique du culte protestant, tel secteur s'est construit autour de la pratique juive, etc. La dernière vague religieuse arrivée en Europe de façon sédentaire, est constituée des pratiquants de l'Islam. Celui-ci devrait donc s'accomoder de l'espace que veulent bien lui laisser les habitants historiques. Nul doute que, avec le temps de quelques siècles comme cela s'est déroulé pour d'autres religions et confessions, il finira par se constituer un espace, pacifiquement et progressivement. Tout mouvement de précipitation et d'intégration par la force entraîne le rejet des occupants historiques. Ensuite, s'intégrer dans l'engagement sociétal, c'est être sûr de ce que l'on apporte à la collectivité et non de ce que l'on gagne pour soi-même. Ces engagements peuvent être politiques (militant au sein d'une formation politique, élu au sein du conseil municipal, du conseil général, du conseil régional ou même à l'assemblée nationale ou au sénat pour représenter le territoire), religieux (au sein de l'équipe paroissiale, diocésaine ou presbytérale), associatifs (activités locales, sportives, culturelles, éducatives, etc.). Un engagement actif, personnel et volontariste est donc indispensable. L'on ne peut pas prétendre vivre sur un territoire dans le but de profiter des ressources de la collectivité, sans y apporter sa propre contribution. Enfin, l'on arrive pas sur le territoire pour imposer ses coutumes, ses pratiques, ses rites, sa religion, y compris sous les menaces de violence. La France n'a pas traversé huit guerres de religion, entre Catholiques et Protestants, jusqu'en avril 1598, puis connu des turbulences jusqu'en juillet 1789 suivies de la terreur, et aboutir à la loi sur la laïcité en décembre 1905, après de longues et dures négociations, pour se laisser dominer ensuite par quelques Islamistes radicaux, obscurantistes et intolérants 100 ans plus tard. La laïcité est le ciment constitutionnel de la République française, et n'est plus négociable. Les engagements sociétaux, et non fanatiques religieux, sont multiples ; à chacun de choisir son domaine de compétences pour servir son territoire dans la paix et le respect de la croyance de chacun des autres habitants de ce territoire. Les nouveaux arrivants s'intègrent alors aux anciens pour défendre leur territoire, et faire corps avec les autres habitants sur ce territoire, et non pour y créer des désordres.
Malgré toutes ces marches vers une intégration, pourquoi autant de décrochages et de tentations au suicide collectif dans le jihad d'une partie des Jeunes aujourd'hui ? L'échec à l'intégration serait la principale cause. Le rejet de l'Occident sous l'embrigadement des mouvements occultes islamistes radicaux et le manque de repères d'un nombre de Jeunes se sentant rejetés par les sociétés occidentales offrent des occasions de ces dérapages. Le manque d'exemplarités des réussites longues des Noirs, des Arabo-musulmans en Europe a brouillé des repères. Certes, des individus issus de l'immigration commencent à faire surface depuis le dernier quinquennat de Jacques Chirac. Un essai qui a été amplifié brièvement par Nicolas Sarkozy, et repris par François Hollande. Mais, alors pourquoi quelques "femmes symboles musulmanes" ? Dans l'imaginaire collectif et les pratiques arabo-musulmanes accordant l'autorité aux hommes, ceux-ci ne se retrouvent pas... Quant aux autres Français issus de l'immigration "récente" (car de nombreux Français issus de l'immigration moins récente ont tendance à oublier très vite qu'ils sont également issus de l'immigration), on ne les retrouve ni dans la haute administration, ni dans la diplomatie, ni dans le haut encadrement des entreprises... Ils se sont évanouis dans la nature après de hautes études que certains "Blancs" bien placés n'ont même pas atteintes. Bien entendu, l'on connaît les arguments : "il est plus facile de s'intégrer en Europe, et surtout en France, quand on est Polonais, Hongrois, Bulgare, Italien, Epagnol, Portugais, Grec, etc. Blanc et Catholique, qu'Arabo-musulman ou pire encore, que quand on est Noir". Et c'est dans cet esprit que la France et l'Europe entrent dans la mondialisation. Mais alors, n'est-ce pas un peu tard pour rattraper de nombreux déçus ? L'intégration mondiale commence par celle de nos voisins, de nos collègues, de nos camarades, au seuil de nos portes.
Emmanuel Nkunzumwami
Analyste politique et économique
Auteur de "Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation".