LA REDISTRIBUTION DES SALAIRES EN FRANCE ET EN EUROPE
01 mai 2011Les résultats publiés par Eurostat le 19 avril 2011 sur les salaires en Europe révèlent que le salaire mensuel moyen brut est de 3 118 euros au Royaume-Uni contre 688 euros en Bulgarie. Les écarts de salaires sont énormes en Europe.
Les écarts de salaires entre pays européens sont conséquents. En moyenne, à équivalent temps plein, les habitants du Royaume-Uni gagnent par mois 3.118 euros soit quatre fois plus que les Bulgares, qui eux sont rémunérés à hauteur de 688 euros. A l’exception de la Finlande, les pays du Nord et de l’Ouest de l’Europe affichent tous des salaires mensuels supérieurs à la moyenne européenne, estimée à 2.395 euros. Les disparités entre les pays sont tout aussi conséquentes lorsqu’on tient compte du salaire horaire. En moyenne, les Danois bénéficient du taux horaire le plus élevé de 22,32 euros, contre 4,71 euros seulement pour les Bulgares.
Pays | Salaire moyen par mois, équivalent temps plein | Rapport au Salaire en France | Salaire moyen par heure, équivalent temps plein | Rapport au taux horaire français | Volume des heures travaillées par mois | Rapport à la durée de travail en France |
Royaume-Uni | 3 118 | 1,27 | 17,75 | 0,95 | 176 | 1,34 |
Pays-Bas | 3 007 | 1,22 | 21,29 | 1,14 | 141 | 1,07 |
Allemagne | 2 980 | 1,21 | 21,63 | 1,15 | 138 | 1,05 |
Danemark | 2 947 | 1,20 | 22,32 | 1,19 | 132 | 1,00 |
Belgique | 2 784 | 1,13 | 21,83 | 1,17 | 128 | 0,97 |
Autriche | 2 736 | 1,11 | 18,55 | 0,99 | 147 | 1,12 |
Irlande | 2 639 | 1,07 | 21,41 | 1,14 | 123 | 0,94 |
Suède | 2 576 | 1,05 | 18,41 | 0,98 | 140 | 1,06 |
France | 2 462 | 1,00 | 18,73 | 1,00 | 131 | 1,00 |
Union européenne | 2 395 | 0,97 | 16,46 | 0,88 | 146 | 1,11 |
Finlande | 2 364 | 0,96 | 17,22 | 0,92 | 137 | 1,04 |
Italie | 2 344 | 0,95 | 17,39 | 0,93 | 135 | 1,03 |
Espagne | 2 260 | 0,92 | 15,61 | 0,83 | 145 | 1,10 |
Grèce | 2 161 | 0,88 | 15,14 | 0,81 | 143 | 1,09 |
Portugal | 1 712 | 0,70 | 11,97 | 0,64 | 143 | 1,09 |
Pologne | 1 320 | 0,54 | 9,22 | 0,49 | 143 | 1,09 |
Hongrie | 1 213 | 0,49 | 8,17 | 0,44 | 148 | 1,13 |
Roumanie | 880 | 0,36 | 5,71 | 0,30 | 154 | 1,17 |
Bulgarie | 688 | 0,28 | 4,71 | 0,25 | 146 | 1,11 |
Source de données : Eurostat. Année des données : 2008 |
Les comparaisons de ces données brutes sont à prendre avec précaution, notamment parce que les niveaux de prélèvements diffèrent d’un pays à l’autre. Ces prélèvements offrent des protections (chômage, maladie, retraite, etc.) inégales selon les pays. Bien entendu, ces écarts ne préjugent pas des inégalités qui existent à l’intérieur de chaque pays.
Dans ce tableau, on constate que :
- le niveau salarial brut moyen français se situe à la moyenne de l’Union Européenne, calculée sur les 27 pays, dont les faibles économies des anciens pays de l’Europe de l’Est. La France n’est donc pas performante.
- les pays de l’Europe au nord de la France, à part la Finlande, présentent des salaires bruts plus élevés qu’en France avec des protections sociales comparables à celles dont nous disposons en France.
- le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Allemagne, comparables à la France, proposent des salaires bruts respectivement équivalents à 1,27 ; 1,22 et 1,21 fois supérieurs à ceux de la France. Même la Belgique est à 1,13 fois.
- comparée aux rémunérations horaires, la durée de travail moyenne du Danemark (132 heures), de la Belgique (128 heures) et de l’Italie (135 heures) est comparable à celle de la France d’une valeur moyenne de 131 heures par mois. L’Allemagne présente 7 heures de plus en moyenne, soit 1,5 heure de travail de plus par semaine que la France. Les performances de l’Allemagne et des pays du Nord de l’Europe (sauf au Royaume-Uni) par rapport à la France ne peuvent donc pas s’expliquer seulement par une très légère différence de la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail.
- l’écart de salaire avec la France est supérieur de 27% avec le Royaume-Uni, de 22% avec les Pays-Bas, de 21% avec l’Allemagne et de 20% avec le Danemark.
Il existe un sérieux paradoxe en France : un pays industrialisé très riche, une cinquième puissance économique mondiale par le poids de son Produit Intérieur Brut (PIB) en 2010 de 2.550 milliards de US$ derrière les Etats-Unis (14.660 milliards de US$), la Chine(*) (5.745 milliards de US$), Ie Japon (5.075 milliards de US$), I’Allemagne (3.352 milliards de US$), et devant le Royaume-Uni (2.183 milliards de US$), I’Italie (2.118 milliards de US$) et le Brésil(*) (2.023 milliards de US$) dans l’ordre de succession de la puissance de leur production intérieure brute. Il semblerait également que la France fait partie des pays où l’on vit bien (par l'Indice de Développement Humain -IDH- et l'Indicateur de Performance Ecologique -IPE- parmi les plus élevés du monde) mais les Français n’en sont pas satisfaits car ils constituent le peuple le moins heureux en Europe, le plus inquiet et le moins confiant dans son avenir. La redistribution des revenus est un sujet récurrent, auquel il conviendra d’ajouter un chômage endémique des Jeunes, une sortie précoce des Séniors de la vie active et un niveau d'accès au logement inadapté aux capacités économiques de la France.
Mais il apparaît que si la France arrive en neuvième position seulement (une comparaison dans l’Union Européenne) malgré sa puissance économique, c’est que la richesse n’est pas équitablement distribuée dans le pays. L’écart de salaire brut moyen avec le Royaume-Uni est de 26,6% alors qu’il est de 21% avec l’Allemagne, les champions comparables en Europe.
Dans les négociations salariales entre les entreprises et les partenaires sociaux, il conviendrait d’en tenir compte. Une marge de 20% d’augmentation salariale est nécessaire en France pour lutter contre la précarité des travailleurs pauvres, à condition de contenir l’inflation, notamment sur le logement, l'énergie, les transports et l’alimentation, et se rapprocher des pays industrialisés comparables.
Pour ce faire, deux opérations économiques deviennent indispensables pour corriger les inégalités, restaurer la confiance des Citoyens, combattre les crises sociales récurrentes, créer une rupture, et relancer l’investissement et la consommation intérieure :
1°) La hausse généralisée des salaires à un rythme annuel minimum de 5,5% hors inflation dès 2011. La reprise économique en cours pourrait fournir l’occasion du partage de l’effort, et la correction des souffrances et des injustices vécues ou ressenties. L'écart avec le plus proche voisin, auquel se compare régulièrement la France, est de 21%. En 2011, les analystes estiment que la croissance économique pourrait atteindre 3% en Allemagne. Il serait alors possible que les salaires connaissent une progression brute de 2,5% en moyenne. Pour se rapprocher de ce voisin comparable, la France devrait accepter au-moins 2% d'évolution salariale en 2011 auxquels il conviendrait d'ajouter + 5% de rattrapage annuel sur une période de 5 ans (2011-2015). Pour cela, il faudrait une croissance économique supérieure de 2% dès 2011. Et si l'inflation est contenue à 1,5%, cela nous ramenerait à une croissance salariale hors inflation de 5,5% sur la période 2011-2015. Dans leur mise en oeuvre, ces augmentations explorent les dimensions horizontale et verticale. Sur la dimension horizontale, l'on sait que les salaires peuvent varier considérablement d'un secteur d'activité à un autre. On conviendrait alors de rattraper certains secteurs peu valorisés par des augmentations salariales plus fortes que dans des secteurs favorisés. Sur la dimension verticale, on travaillerait sur la hauteur de la pyramide des salaires, en augmentant plus fortement les bas salaires et faiblement les très hauts salaires pour réduire la hauteur et arrondir les côtés de la pyramide. Dans tous les cas, le dialogue entre les Pouvoirs publics, les organisations syndicales des employeurs et des salariés, et l'ensemble de la collectivité nationale, est indispensable pour sortir de la logique des confrontations, du déni des réalités socio-économiques, des contestations et des revendications autour des oppositions systématiques qui pourrissent le climat social dans les négociations, pour entrer dans la maturité des négociations par des concertations, des coopérations pour le progrès et des compromis positifs. Pour relancer la croissance sur 5 ans, les augmentations de salaires au rythme annuel de 5,5% seraient une des clés pour rétablir la confiance, consolider l'équité et l'effort afin de stimuler l'investissement privé et la consommation intérieure.
2)° Une redistribution des richesses créées par les entreprises entre les actionnaires et les salariés. Au-delà des augmentations générales des salaires, les entreprises qui réalisent des bénéfices devraient évaluer leurs investissements pour la croissance et la part des bénéfices allouée à l’autofinancement. Après le paiement des charges sociales, des impôts et taxes et la part de l’autofinancement, le bénéfice distribuable devrait être partagé entre les actionnaires et les salariés. Un objectif de redistribution de l’ordre de 60% de cette part distribuable aux actionnaires et 40% dévolus aux salariés apparaît comme une nécessité pour l’équité dans le partage de la richesse et de la croissance. Mais à court terme, il faudrait partir d'un objectif 2011 de la répartition 3/4-1/4 pour un objectif de 2/3-1/3 à l'horizon de 5 ans entre les actionnaires et les salariés. Exemple : une entreprise de 30.000 salariés réalise un bénéfice net après impôt sur les sociétés de 500 millions d'euros. Après analyse et dotation selon ses besoins en autofinancement pour sa croissance et une mise en réserve, une épargne pour l'avenir, et après avoir payé ses dettes sociales et fiscales, et s'être acquittée de ses obligations d'intéressement et de participation aux fruits de l'expansion imposées par loi, le conseil d'administration vote une part des bénéfices distribuables de 120 millions d'euros (soit le 24% des bénéfices). Pour reconnaître et récompenser les salariés pour les résultats de leur entreprise, le Conseil d'Administration propose à l'assemblée générale d'appliquer la règle du 3/4-1/4 et affecte 90 millions d'euros à ses actionnaires et 30 millions d'euros à ses salariés. Chaque salarié reçoit alors un dividende de 1000€uros soit en actions, soit en virement bancaire. Ce revenu pour le salarié sera en faible partie affecté à son supplément d'épargne (pour un investissement ou une consommation différés) et en grande partie injecté dans la consommation intérieure. Un bon revenu du travail est un meilleur stimulant pour le travail et un soutien à la croissance économique de la nation.
Certains opposants à ces réformes sociales par les revenus prétendraient que l'Etat s'endetterait davantage pour augmenter les salaires des Fonctionnaires, soit environ 4,5 millions de salariés pour l'ensemble des fonctions publiques territoriales, nationales et hospitalières sur une population de 26 millions de salariés en France. Si l'Etat améliore la gestion publique par la réduction des dépenses de fonctionnement, les augmentations salariales et des revenus de la redistribution des dividendes du secteur privé apportent un supplément de recettes fiscales pour l'Etat et les collectivités pour améliorer les salaires d'un nombre optimal de Fonctionnaires. Combiné avec la réduction des effectifs de la fonction publique, ce supplément de recettes fiscales compense largement les augmentations salariales nécessaires dans la fonction publique. Par ailleurs, les cotisations sociales résultantes des salariés contribuent à améliorer les recettes pour les retraites et les prestations sociales diverses. Des conséquences vertueuses à court terme de ces diverses opérations conduisent à la réduction du taux de chômage. En accroissant les salaires par rapport aux aides et allocations diverses, on rend le travail plus attractif et le citoyen tenté d'arbitrer entre le salaire et les prestations, optera pour le salaire et donc pour le travail. Par ailleurs, l'accroissement de l'offre de l'emploi permet au Citoyen de pouvoir effectuer des mobilités professionnelles inter-branches et entre les secteurs public et privé. Mais pour réduire le chômage, il faut accroître la production et générer de nouvelles activités qui sollicitent de nouvelles ressources humaines. Il n'existe pas de "partage du travail" en économie. On crée d'autant plus facilement de nouvelles activités et on accroît des capacités des activités existantes en accroissant le "destockage" par la consommation et l'exportation... A défaut d'un dynamisme à l'export (une faiblesse de la France en comparaison avec les champions Allemands ou Chinois), il faut relancer par l'investissement et la consommation intérieure. Donc il faut accroître les revenus et les salaires pour y répondre. Dans tous les cas, on boucle sur le revenu disponible pour effectuer de nouveaux investissements et accroître la consommation. Pour plus de 26 millions de population active en France, les augmentations significatives des salaires et des revenus sont l'une des clés de la relance économique.
Dans son rôle cardinal, l’Etat donne l’impulsion sur les politiques publiques et les orientations générales dont le partage des richesses et de la croissance sur cette modalité, l’Etat assure des régulations en concertation avec les autres nations comme sur les évolutions économiques et sociales du monde, et il doit assurer tous les contrôles nécessaires à l’application de ses orientations. Les citoyens investiront efficacement et équitablement, consommeront pour soutenir la croissance, à partir des revenus significativement plus élevés. A inflation contenue, y compris et surtout dans le logement, l’alimentation, l’énergie et les transports, l’augmentation des revenus (salaires, primes et part des bénéfices de leurs entreprises) se répercutera sur la consommation intérieure et l’investissement, assurant ainsi le bien-être général.
(*) La Chine et le Brésil sont embarqués dans la locomotive des Pays Industrialisés Emergents et constituent aujourd'hui respectivement les 2ème et la 8ème Puissances Economiques dans le monde. Ils se sont réunis au sein du BRICS, un G5 réunissant le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud, et sont membres du G20. Pour connaître la composition et les objectifs du G20, voir l'article sur ce site : http://srv08.admin.over-blog.com/index.php?id=1228747058&module=admin&action=publicationArticles:editPublication&ref_site=1&nlc__=971305395293.
Emmanuel Nkunzumwami
Auteur de La Nouvelle Dynamique Politique en France, Editions L’Harmattan.
Chroniqueur sur Radio France Bleu et Radio Africa n°1
E-mail : emmankunz@orange.fr ou emmankunz@gmail.com
Site internet : www.nouvelle-dynamique.org