L’AFRIQUE FACE A SES ENJEUX DE DEVELOPPEMENT
29 avr. 2013Le continent africain a été et reste une terre de contradictions. Des terres sont très riches en ressources naturelles diverses (minières, pétrolières, gazières, forestières et agro-pastorales). L’on constate que plus les terres agricoles sont très fertiles, plus les pays qui en sont dotés crient souvent pauvreté, malnutrition, guerres et famines. Les ethnologues, les anthropologues et autres spécialistes du passé, du présent et les scruteurs de l’avenir de notre humanité ont longtemps expliqué les liens de ces contradictions par une multiplicité de tribus et d’ethnies éparpillés dans chacun des pays, comme des mines anti-personnelles et des mines anti-développement pour l’Afrique. Et voici que les extrémistes musulmans s’y mettent également et se font valider leurs projets par des divisionnistes et des sécessionnistes avides de pouvoir et de domination. Des individus en quête d’identité et d’existence politique ciblent les États jugés faibles sur ce continent profondément meurtri pour y semer des guerres, des destructions, des massacres, de la terreur… Des islamistes radicaux, obscurantistes et rétrogrades tentent d’y imposer des « républiques islamiques » : la « chose du peuple » (Res publica) devient ainsi une propriété de ceux qui se prétendent représenter l’Islam originel, inspirés ou manipulés par des idéologues des pétromonarchies de la péninsule arabique qui pilotent le salafisme, le wahhâbisme et leurs variantes en Afrique. L’Afrique occidentale et l’Afrique centrale sont clairement devenues aujourd’hui des cibles bien identifiées, tel un lion qui sème la panique dans le troupeau d’antilopes. Celles-ci se mettent alors à galoper pour fuir pendant que le roi de la forêt observe le rythme du troupeau pour repérer le coureur le plus faible qui lui servira de repas du jour ! Et il peut alors foncer dessus sans difficulté. Pourtant les besoins vitaux de l'Afrique ne sont pas un manque de religion, mais des ressorts solides pour créer son développement. Mais alors, où sont donc les maillons faibles en Afrique qui seront les prochaines victimes, parmi les pays où l’Islam est une confession majoritaire et où les économies sont tragiquement affaiblies, et les populations sont en totale déshérence ? En préambule, insistons que l’éducation et la formation professionnelle des populations et notamment des jeunes générations ; la sécurité sanitaire, alimentaire et énergétique des habitants ; la paix, l’unité et la sécurité du territoire national ; la bonne gouvernance politique, économique et sociale sont les principaux piliers du développement. Ensuite, ce développement doit être conçu et mis en œuvre avec le souci de l’équilibre et de l’égalité des droits d’accès des territoires à des composantes du progrès. Il n’y a de développement durable que porté par une économie prospère. Et il n’y a d’économie prospère que constituée sur le socle de l’économie industrielle. Ces principes présentent une portée universelle autant dans les pays industrialisés historiques que dans les pays émergents. Les pays africains ont le devoir de rassembler ces ingrédients pour prétendre au développement. Les piliers indiqués ne sont donc pas des options, mais des impératifs pour construire de véritables stratégies de développement durable et garantir une amélioration des conditions de vie des populations. Des indicateurs socioéconomiques par espace régional indiquent les niveaux d’effort à accomplir pour progresser significativement face à la pression de la mondialisation.
I. L’Afrique arabo-musulmane au nord.
Les indicateurs socioéconomiques de certains pays de l’Afrique du nord, arabo-musulmane, pourraient inspirer de nombreux pays subsahariens. En effet, le taux de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer) dans ces pays varie entre 4,2 pour la Mauritanie et le Soudan et 1,7 pour l’Algérie. Pour que ce taux soit un accélérateur de développement, il s’accompagne d’une amélioration significative des conditions sanitaires pour lutter contre les épidémies et des infections mortelles, des progrès médicaux pour assurer des soins appropriés aux enfants et réduire les taux de mortalité, et par la sécurité alimentaire pour garantir de bonnes conditions de lutte contre les malnutritions qui déciment les enfants en bas âge. Ensuite, il faut éduquer ces enfants, les former aux métiers et en faire des citoyens instruits, éveillés et des contributeurs au développement. Aussi, le taux d’alphabétisation prend le relai de l’éducation pour les jeunes de plus de 15 ans et les adultes pour assurer des capacités des populations à développer la maîtrise de l’information écrite, analyser les situations économiques et comprendre les évolutions politiques du monde et de leurs pays, être autonomes pour conduire leurs propres affaires, et développer leur propre jugement sur les différentes offres religieuses pour discerner le vrai du faux. Au-delà de 60% de taux d’alphabétisation, l’on peut considérer que le pays s’éveille et que les choix politiques et sociaux du pays ont requis l’examen attentif des citoyens éclairés. Les femmes représentant souvent plus de la moitié des populations nationales ; leur forte présence dans les institutions de décision est un gage d’éveil démocratique et de progrès social. Cette mesure passe par leur présence au Parlement. Une démocratie active ne peut être construite par les représentants d’une moitié des habitants : en règle d’équilibre, les Parlements devraient être constitués par des parités hommes-femmes. En Afrique du nord, la Tunisie et l’Algérie, suivies du Soudan et de la Mauritanie dépassent 20% de femmes au Parlement. L’Egypte et le Libye accusent un grand retard, qui peut s’expliquer par une poussée plus forte de l’Islam radical qui s’oppose à la libération et à la considération des droits des femmes. Enfin, les pays ayant un faible taux de fécondité (moins de 3 enfants par femme) avec une forte population et des ressources économiques conséquentes, ont l’avantage de progresser plus vite dans la mondialisation : le PIB par habitant dépasse alors 2000$. Seuls la Mauritanie et le Soudan n’avaient pas pu atteindre une richesse de 2000 $ par habitant en 2011. Ainsi, on peut observer que l’Algérie, la Tunisie et le Maroc sont bien armés pour entrer dans la compétition économique mondiale ; cependant, le Maroc doit améliorer rapidement l’alphabétisation des masses et accroître l’éducation des jeunes générations pour rattraper le niveau de l’Algérie et de la Tunisie, et participer activement au pilotage des économies de l’Afrique du nord, et de l'Afrique en général.
Afrique arabo-musulmane | Taux de fécondité (enfants/ femme) | Taux d'Alphabéti-sation (>15 ans) | Présence des femmes au Parlement | Population 2011/2012 | PIB 2011/ habitant |
Mauritanie | 4,2 | 58 | 22 | 3,36 | 1 191 |
Soudan | 4,2 | 63 | 26 | 34,21 | 1 850 |
Egypte | 2,9 | 72 | 2 | 83,69 | 2 771 |
Maroc | 2,2 | 56 | 17 | 32,31 | 3 151 |
Libye | 2,1 | 88 | 8 | 6,73 | 11 023 |
Tunisie | 2,0 | 78 | 29 | 10,73 | 4 556 |
Algérie | 1,7 | 73 | 31 | 35,41 | 5 180 |
Tableau 1. Les indicateurs socioéconomiques de l’Afrique arabo-musulmane.
II. L’Afrique occidentale devrait encore déployer des efforts.
De tous les espaces régionaux africains, l’Afrique occidentale rassemble des pays dont la moitié présentent des taux de fécondité moyens supérieurs ou égaux à 5 enfants par femme en âge de procréer. Les trois premiers pays : le Niger (7,2), le Mali (6,4) et le Burkina Faso (6,1) naviguent en peloton de tête du continent avec la Somalie (6,3), l’Ouganda et le Burundi (6,1) en Afrique orientale. Ces trois pays de l’Afrique occidentale battent également le record du taux d’alphabétisation le plus faible du continent, entre 29% et 31%. Le lien entre les faibles ressources allouées à l’éducation, le taux de fécondité très élevé tel que 50% seulement des enfants sont scolarisés, avec le faible taux d’alphabétisation qui en est une conséquence directe, est une réalité socioéconomique dans ces pays. Il convient également de remarquer que, parmi les pays au—dessus de 4,5 enfants par femme, seul le Nigéria atteint 61% de taux d’alphabétisation. La Guinée Bissau, le Ghana et le Cap Vert sont les seuls pays de l’Afrique occidentale ayant un taux de fécondité inférieur à 4,5 et dont les taux d’alphabétisation dépassent 60% (90% pour les îles du Cap Vert). L’Afrique occidentale est globalement en très grand retard dans les efforts d’éducation et de féminisation des instances démocratiques de décision (faible présence des femmes au Parlement). Seuls les Sénégal et son voisin du Cap Vert parviennent à dépasser 20% de présence des femmes au Parlement. De même, si cinq pays seulement parviennent à comptabiliser plus de 1000$ de richesse nationale par habitant (Nigeria, Sénégal, Ghana, Côte d’Ivoire et Cap Vert), six autre pays se trouvent entre 500$ et 1000$, alors que quatre pays n’ont même pas atteint 500$ par habitant en 2011 (Liberia, Niger, Sierra Leone, Guinée) alors que ces pays sont dotés de ressources minières importantes pour générer des financements. Il apparaît, selon ces données, que l’Afrique occidentale devrait déployer d’importants efforts pour assainir son économie, équilibrer le développement sur les territoires, bâtir un espace régional intégré mieux géré, dynamiser l’exploitation et la transformation de ses ressources naturelles afin d’améliorer ses indicateurs socioéconomiques de développement pour les peuples.
Afrique occidentale | Taux de fécondité (enfants / femme) | Taux d’Alphabéti-sation (>15 ans) | Taux Femmes au Parlement | Population 2011/2012 | PIB 2011/ habitant |
Niger | 7,2 | 29 | 13 | 17,08 | 381 |
Mali | 6,4 | 31 | 10 | 14,53 | 757 |
Burkina Faso | 6,1 | 29 | 15 | 17,28 | 585 |
Nigeria | 5,4 | 61 | 4 | 170,12 | 1 452 |
Bénin | 5,2 | 53 | 8 | 9,60 | 781 |
Guinée | 5,0 | 35 | 19 | 10,89 | 423 |
Liberia | 5,0 | 56 | 13 | 3,39 | 286 |
Sierra Leone | 4,9 | 39 | 13 | 5,49 | 383 |
Sénégal | 4,7 | 50 | 23 | 12,97 | 1 133 |
Togo | 4,6 | 57 | 11 | 6,96 | 517 |
Bissau | 4,4 | 65 | 10 | 1,63 | 614 |
Ghana | 4,2 | 67 | 8 | 25,24 | 1 529 |
Gambie | 4,1 | 50 | 8 | 1,84 | 598 |
Côte d’Ivoire | 3,8 | 52 | 9 | 21,95 | 1 084 |
Cap Vert | 2,4 | 90 | 21 | 0,52 | 3 626 |
Tableau 2. Les indicateurs socioéconomiques de l’Afrique occidentale.
III. Conclusion.
Il apparaît un écart significativement important entre l’Afrique du nord arabo-musulmane et l’Afrique occidentale voisine, autant dans les dynamiques économiques que dans les indicateurs socioéconomiques qui accompagnent ces dynamiques. Aux dirigeants des pays de l’Afrique occidentale, l’on ne pourrait que prodiguer ces conseils simples : lutter prioritairement et efficacement contre les corruptions, les détournements de fonds publics et l’enrichissement illicite ; les fonds publics doivent s’associer aux fonds privés pour développer les investissements en vue de construire le futur ; ces investissements doivent s’orienter prioritairement dans l’éducation, la formation professionnelle, les infrastructures de communication (routières, fluviales, aéroportuaires, ferroviaire et des technologies de l’information et de la communication) pour accélérer le développement économique régional décentralisé, les infrastructures sanitaires, médicales et sociales ; les industries de transformation ; l’agriculture et l’alimentation. Ce sont les produits de vos recettes d’exportation et de consommation intérieure qui viendront alimenter et renforcer de nouveaux investissements pour amplifier le cycle, dynamiser le cercle vertueux du développement et relancer le progrès économique et social pour tous.
Emmanuel Nkunzumwami
Auteur de « Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation », Editions L’harmattan, 2013.
Analyste politique et économique à la Radio Africa n°1
Paris, France.