COMPRENDRE LES DEFICITS PUBLICS ET LA DETTE DES PAYS DE L’UNION EUROPEENNE
25 août 2011 Tous les vingt-sept pays de l’Union Européenne traversent une crise économique qui s’est répercutée sur la dette et les budgets publics depuis 2007. Les déficits publics accroissent le recours à la dette et la dette publique alourdit les déficits budgétaires. En France, le budget général et le budget social des caisses nationales d'assurance maladie, vieillesse, allocations familiales, prestations sociales diverses de 2007 ont généré un déficit général de 51,6 milliards d'euros. Ce déficit, qui n'a pas pu être compensé par des recettes publiques équivalentes, a été couvert par le recours à la dette du même montant et ainsi la dette publique de la France a atteint 1.211,6 milliards d'euros à la fin de 2007. Chaque année suivante, en pleine violente crise économique mondiale, les dépenses publiques sont devenues plus importantes pendant que les recettes stagnaient. Le déficit s'est alors accru en 2010 pour atteindre 136,5 milliards d'euros financés par la dette qui s'est alors élevée à 1.591,2 milliards d'euros. L'accroissement du déficit a donc entraîné celui de la dette. Mais la dette doit être ensuite remboursée avec des intérêts, comme pour les ménages. Le remboursement de cette dette alourdit les dépenses dans les budgets publics et contribue ainsi à accroître les déficits publics (budget général et sécurité sociale). Trois sorties simultanées de ce cercle vicieux sont alors offertes : la diminution des dépenses publiques (réaliser les budgets proches de l'équilibre en ajustant les dépenses aux recettes et en éliminant les dépenses somptuaires), l'accroissement des recettes fiscales et sociales (réforme et équité fiscales, révision des dérogations fiscales et sociales, suppression des exonérations inefficaces, etc.) et la croissance économique (pour générer de nouvelles recettes fiscales et sociales affectées à la réduction de la dette, et lutter contre le chômage et la pauvreté par l'accroissement de l'activité, de l'emploi et du revenu).
A la fin de l’exercice de 2007 et au début de la crise que nous traversons, dix pays sur les vingt-sept de l’Union présentaient des excédents budgétaires : Espagne (20.066 M€) ;Suède (12.318 M€) ; Danemark (10.955 M€) ; Finlande (9.314 M€) ; Allemagne (6.550 M€) ; Luxembourg (1.374 M€) ; Pays-Bas (1.048 M€) ; Chypre (537 M€) ; Estonie (402 M€) et Irlande (128 M€). D’autres, au contraire, avaient déjà accumulé d’importants déficits tels que la France (51.557 M€) ; le Royaume-Uni (43.866 M€) ; l’Italie (23.541 M€) ; la Grèce (14.524 M€) ; la Pologne (5.290 M€). Globalement, la Zone Euro cumulait alors 60.206 M€ (soit 64% des déficits de toute l’Union Européenne totalisant 94.332 M€ en Euros courants). Mais à la fin de 2010, tous les pays de l’Union Européenne, à l’exception de l’Estonie, affichaient des déficits publics allant de 129 M€ pour la Suède à 172.836 M€ pour le Royaume-Uni. La seule Zone Euro totalisait alors 550.480 M€ (soit 71% du total des déficits de 779.827 M€ pour l’ensemble de l’Union Européenne). Que s’est-il passé ?
Le tableau ci-dessous révèle les évolutions de chaque pays :
Pays | PIB2010 (Millions d'Euros) | Evolution 2007-2010 (en %) | Déficit2010 (Millions d'Euros) | Evolution 2007-2010 (en %) | Dettes2010 (Millions d'Euros) | Evolution 2007-2010 (en %) | Déficit/PIB (2010) | Dettes/PIB (2010) |
Grèce (1) | 230 173 | 1,4% | -24 193 | 66,6% | 328 588 | 37,3% | -10,5% | 142,8% |
Italie | 1 548 816 | 0,2% | -71 211 | 202,5% | 1 843 015 | 15,0% | -4,6% | 119,0% |
Belgique | 352 324 | 5,1% | -14 355 | 1289,6% | 341 019 | 20,9% | -4,1% | 96,8% |
Irlande (2) | 153 939 | -18,7% | -49 903 | -39086,7% | 148 074 | 212,6% | -32,4% | 96,2% |
Portugal (3) | 172 546 | 1,9% | -15 783 | 195,9% | 160 470 | 38,8% | -9,1% | 93,0% |
Allemagne | 2 498 800 | 2,7% | -81 630 | -1346,3% | 2 079 629 | 31,7% | -3,3% | 83,2% |
France | 1 947 576 | 2,8% | -136 525 | 164,8% | 1 591 169 | 31,3% | -7,0% | 81,7% |
Autriche | 284 002 | 4,4% | -13 169 | 455,2% | 205 212 | 24,4% | -4,6% | 72,3% |
Malte | 6 246 | 14,4% | -226 | 76,6% | 4 248 | 25,5% | -3,6% | 68,0% |
Pays-Bas | 591 477 | 3,4% | -31 979 | -3151,4% | 371 028 | 43,3% | -5,4% | 62,7% |
Chypre | 17 465 | 10,0% | -926 | -272,4% | 10 619 | 14,7% | -5,3% | 60,8% |
Espagne | 1 062 591 | 0,9% | -98 227 | -589,5% | 638 767 | 67,8% | -9,2% | 60,1% |
Finlande | 180 295 | 0,3% | -4 427 | -147,5% | 87 216 | 37,9% | -2,5% | 48,4% |
Slovaquie | 65 906 | 7,1% | -5 207 | 367,0% | 26 998 | 48,4% | -7,9% | 41,0% |
Slovénie | 36 061 | 4,3% | -2 027 | 9113,6% | 13 704 | 71,7% | -5,6% | 38,0% |
Luxembourg | 41 598 | 11,0% | -710 | -151,7% | 7 661 | 206,2% | -1,7% | 18,4% |
Estonie | 14 501 | -8,4% | 18 | -95,5% | 951 | 60,6% | 0,1% | 6,6% |
Zone Euro17 | 9 204 316 | 1,8% | -550 480 | 814,3% | 7 858 368 | 31,3% | -6,0% | 85,4% |
Hongrie | 99 702 | 7,1% | -4 162 | -11,2% | 79 959 | 30,0% | -4,2% | 80,2% |
Royaume-Uni | 1 663 809 | 3,5% | -172 836 | 294,0% | 1 330 752 | 86,1% | -10,4% | 80,0% |
Pologne | 338 336 | 20,3% | -26 568 | 402,2% | 186 008 | 47,0% | -7,9% | 55,0% |
Lettonie | 17 954 | -13,8% | -1 387 | 1792,3% | 8 027 | 328,1% | -7,7% | 44,7% |
Danemark | 234 413 | 3,0% | -6 366 | -158,1% | 102 150 | 62,9% | -2,7% | 43,6% |
Suède | 360 458 | 5,6% | -129 | -101,1% | 143 328 | 4,4% | 0,0% | 39,8% |
Rép. Tchèque | 149 818 | 3,8% | -7 054 | 623,7% | 57 708 | 38,1% | -4,7% | 38,5% |
Lituanie | 27 407 | -4,1% | -1 942 | 569,8% | 10 460 | 116,3% | -7,1% | 38,2% |
Roumanie | 120 241 | 23,5% | -7 742 | 202,5% | 36 988 | 201,4% | -6,4% | 30,8% |
Bulgarie | 36 036 | 17,1% | -1 160 | -432,2% | 5 844 | 10,3% | -3,2% | 16,2% |
Hors Zone Euro 10 | 3 048 173 | 6,1% | -229 347 | 572,2% | 1 961 224 | 67,7% | -7,5% | 64,3% |
UE 27 | 12 252 489 | 2,8% | -779 827 | 726,8% | 9 819 592 | 37,2% | -6,4% | 80,1% |
La Grèce, l’Irlande et le Portugal cumulent toutes les fragilités économiques et financières.
Entre 2007 et 2010, la crise à frappé durement la croissance économique sur l’ensemble de l’Union Européenne qui n’aura connu que 2,8%. Mais la zone Euro n’a enregistré que 1,8% sur toute la période. En nous intéressant à la seule Zone Euro, établissons les repères correspondant aux moyennes réalisées dans cette zone : 2% de croissance économique ; 31% d’évolution de la dette ; 6% de déficit public et 85% de taux d’endettement public. A partir de ces repères, nous observons que : 7 pays sur les 17 de la zone Euro ont connu une performance économique inférieure ou égale à 2%. Ce sont : Irlande (-18,7%) ; Estonie (-8,4%) ;Italie (0,2%) ; Finlande (0,3%) ; Espagne (0,9%) ; Grèce (1,4%) et Portugal (1,9%). Lorsque la croissance économique est si faible, la consommation ralentit, la production baisse, le chômage augmente, l’investissement diminue et les recettes publiques liées aux impôts et taxes baissent. Mais les États continuent de faire face aux obligations de financements des dépenses publiques de fonctionnement (salaires des fonctionnaires, santé publique, éducation, défense nationale, prestations sociales, etc.) et doivent stimuler la croissance par des investissements publics importants. A recettes publiques amoindries par la crise et face aux impératifs des dépenses pour la vie de la nation, les États se sont endettés. Ils ont ainsi compensé les déficits budgétaires liés à la crise économique et à une certaine gestion publique pour certains pays par de nouvelles dettes publiques. Ainsi, parmi les grands pays de la Zone Euro, la dette publique s’est fortement accrue au-delà de la moyenne de 31,3% : Irlande (+213%) ; Slovénie (+72%) ;Espagne (+68%) ; Slovaquie (48%) ; Pays-Bas (+43%) ; Portugal (+39%) ; Finlande (38%) et Grèce (37%). La France et l'Allemagne se retrouvent à la moyenne avec respectivement 31,3% et 31,7%. L’augmentation de la dette génère des remboursements annuels plus importants et des intérêts dont les taux se sont accrus avec le temps lorsque les prêteurs (communément appelés : les marchés financiers, aidés par les agences de notation) ont intégré la prime de risque dans les taux d’intérêt pour se couvrir en cas de défaut de remboursement. Ainsi, à la fin de 2010, la charge de la dette publique dans les budgets des États a alourdi les déficits publics au-delà de la moyenne de -6% de la zone Euro et fragilisé certains pays lourdement endettés : Irlande (-32,4%) ; Grèce (-10,5%) ; Espagne (-9,2%) ; Portugal (-9,1%) ; Slovaquie (-7,9%). Le déficit de la France s'élève également à -7% et impose à la France des mesures vigoureuses pour le baisser. Cependant la France, comme l'Allemagne, dispose d'un fort potentiel de croissance et un endettement à moins de 85% pour faire face seule à ses déficits. Mais sans l’aide des autres pays de la Zone Euro et du reste de l’Union Européenne, les 5 pays (Irlande, Grèce, Espagne, Portugal et Slovaquie) ne pourront pas revenir rapidement aux critères de Maastricht de 3% de déficit public. Par ailleurs, comparées au repère de 85% d’endettement public, l’Italie (119%) et la Belgique (97%) rejoignent les pays les plus fragiles de la zone Euro. On constate alors que la Grèce, l’Irlande et le Portugal cumulent tous les critères de fragilité économique et financière sur toute la période 2007-2010 (faible croissance économique inférieure à 2% ; progression de la dette publique de plus de 35% entre 2007 et 2010 ; déficit public au-delà de -7% et un endettement public de plus de 85% en 2010) ; ils ne pourront donc pas s'en sortir seuls. Cependant, la Zone Euro ne peut pas se passer de ces 7 pays fragilisés par les déficits ou par l’endettement trop élevés. Elle doit alors exiger plus de rigueur de gestion, plus de respect des règles de gestion publique de l’Union, plus de clarté et de contrôle dans les présentations des comptes pour que la solidarité entre les Etats et la mutualisation de la dette puissent être assurées et suivies par la nouvelle structure de gouvernance de la zone Euro. L’objectif à moyen terme du retour à un maximum de 3% de déficit public et de 60% d’endettement pour chaque Etat membre de la zone Euro doit être maintenu, appuyé politiquement et rigoureusement contrôlé pour éviter de nouvelles dérives. Contrairement au dollar américain avec l'ambition de domination de la première puissance économique du monde, et au yuan chinois qui soutient la deuxième puissance économique et première puissance émergente du monde et qui s'assigne l'objectif de conquête de celui-ci, l’Euro n’est pas une « monnaie économique et politique ». Il n’avait pas à ce jour une autorité politique identifiée pour le défendre. L’Euro est une « monnaie technique » de soutien et d’accompagnement de la stabilité des prix (par la lutte contre l’inflation) et de la croissance économique (par la stabilité et le contrôle des taux d'intérêt) de la zone Euro. La Gouvernance Politique de la zone Euro, initiée par la France et l’Allemagne le 16 août 2011 à Paris, est un étage qui manquait à cette monnaie pour contrôler étroitement la gestion publique de chaque Etat membre.
Enfin, confrontés à un fort endettement global avec un PIB moyen supérieur de 20% seulement la dette moyenne par habitant, les Etats devront déployer des politiques vigoureuses avec des contrôles rigoureux pour ne pas léguer aux générations futures des dettes aussi importantes. Déjà, les cinq premiers pays les plus endettés de la zone Euro produisent une richesse inférieure ou égale à leur dette. Si la crise se poursuit et sans l'intervention de toute l'Europe et du FMI, il y aurait un risque que la dette continue de croître pendant que la richesse diminue.
Ci-dessous la situation comparée de tous les pays de l'Union Européenne :
Pays | Dettes/Hab (en Euros) | PIB/Hab (en Euros) | Ratio PIB/Dette 2010 | Pays | Dettes/Hab (en Euros) | PIB/Hab (en Euros) | Ratio PIB/Dette 2010 | |
Grèce (1) | 30 460 | 21 337 | 0,7 | Pays-Bas | 22 536 | 35 926 | 1,6 | |
Italie | 30 708 | 25 806 | 0,8 | Chypre | 9 630 | 15 838 | 1,6 | |
Belgique | 31 233 | 32 269 | 1,0 | Espagne | 13 890 | 23 105 | 1,7 | |
Irlande (2) | 32 321 | 33 602 | 1,0 | Finlande | 16 391 | 33 884 | 2,1 | |
Portugal (3) | 14 986 | 16 114 | 1,1 | Slovaquie | 13 168 | 32 145 | 2,4 | |
Allemagne | 25 526 | 30 671 | 1,2 | Slovénie | 2 533 | 6 665 | 2,6 | |
France | 25 202 | 30 847 | 1,2 | Luxembourg | 14 998 | 81 437 | 5,4 | |
Autriche | 24 383 | 33 744 | 1,4 | Estonie | 710 | 10 822 | 15,2 | |
Malte | 10 442 | 15 354 | 1,5 | Zone Euro17 | 23 912 | 28 008 | 1,2 | |
Pays | Dettes/Hab (en Euros) | PIB/Hab (en Euros) | Ratio PIB/Dette 2010 | Pays | Dettes/Hab (en Euros) | PIB/Hab (en Euros) | Ratio PIB/Dette 2010 | |
Hongrie | 8 072 | 10 065 | 1,2 | Rép. Tchèque | 5 524 | 14 342 | 2,6 | |
Royaume-Uni | 21 629 | 27 043 | 1,3 | Lituanie | 3 122 | 8 181 | 2,6 | |
Pologne | 4 881 | 8 877 | 1,8 | Roumanie | 1 718 | 5 586 | 3,3 | |
Lettonie | 3 570 | 7 985 | 2,2 | Bulgarie | 795 | 4 902 | 6,2 | |
Danemark | 18 464 | 42 370 | 2,3 | Hors Zone Euro 10 | 11 586 | 18 008 | 1,6 | |
Suède | 15 451 | 38 857 | 2,5 | UE 27 | 19 722 | 24 608 | 1,2 |
Emmanuel Nkunzumwami,
Auteur de « La Nouvelle Dynamique Politique en France », Editions L’Harmattan.
Chroniqueur sur Radio Africa n°1 et sur Radio France Bleu Picardie.