LES COMMUNAUTÉS ÉCONOMIQUES RÉGIONALES EN AFRIQUE : LA SÉCURITÉ ET LE DÉVELOPPEMENT EN 2023
02 juin 2023Depuis de nombreuses années, nous insistons sur l’importance des piliers solides pour bâtir le développement en Afrique. Le défaut de ces piliers ou la combinaison de leur absence est une source assurée du retard pour l’atteinte d’un niveau de progrès pour les Africains. Bien entendu, si les piliers constituent le socle solide pour bâtir le développement, il faut que le toit de ce bel édifice soit bien entretenu par la bonne gouvernance, les ambitions de dirigeants pour le progrès économique et social, la mise en œuvre des projets avec des feuilles de route claires pour les acteurs du développement et la mobilisation des énergies sur les programmes avec l’obligation de présentation des résultats concrets pour les populations. C’est notre modèle ORC, décrit dans « Le Partenariat Europe-Afrique dans la Mondialisation » (Editions L’Harmattan, 2013).
Au-delà de la Région de l’Afrique du Nord – Arabo-musulmane, relativement stable et en voie d'émergence avancée pour quatre des sept pays de cette Région, l’Afrique Sub-saharienne souffre encore de l’insécurité des territoires, des populations, des institutions et des investissements de développement. Pourtant, cette sécurité est le premier des piliers du développement. La sécurité des Africains doit demeurer constamment la priorité des gouvernants, le socle de la souveraineté internationale et l’axe principal des efforts des nations.
Rappelons les cinq autres piliers du développement, valables pour toutes les nations du monde. Vous retrouvez leurs contenus détaillés et des comparaisons entre les pays au sein de chaque Communauté Economique Régionale (CER), dans le livre « La Relance de l’Afrique » (Editions L’Harmattan, 2017). Les comparaisons internationales, entre l'Afrique et le reste du monde dans les dynamiques des évolutions entre 1990 et 2016, sont même présentées dans cet ouvrage.
2°- la sécurité alimentaire, sanitaire, médico-sociale et environnementale. Un peuple sous-alimenté, peu ou pas soigné, ou vivant dans l’insalubrité chronique ne peut accéder au développement. Les terres africaines sont richement fertiles pour nourrir durablement et aisément le milliard d’Africains, et exporter vers le reste du monde. La biodiversité de la flore lui permet durablement de produire l’essentiel des traitements des maladies spécifiques à l’Afrique.
3°- l’éducation de la jeunesse, l’alphabétisation des adultes, la recherche et le développement au sein des institutions africaines pour l’Afrique. C’est dans le devoir impératif des Etats d’organiser, bâtir, contrôler et développer l’éducation, du cycle primaire à l’enseignement supérieur et la recherche. Pour améliorer la performance, l’Etat peut faire appel à des partenaires intérieurs ou extérieurs, privés ou des familles, et mobiliser toutes les ressources indispensables à la réussite et à l’atteinte des résultats pour le progrès de la nation.
4°- l’accès à l’électricité pour la totalité des populations africaines. C’est une singularité africaine : plus du tiers des 54 pays du continent n’ont pas encore atteint 50% d’accès à l’électricité pour leurs populations. Or, les progrès actuels reposent pour l’essentiel sur l’utilisation de l’énergie électrique, tant au niveau domestique que professionnel. Le continent est irrigué par de nombreux cours d’eau et de nombreuses chutes pour produire de l’hydroélectricité et la transporter sur la plus importante partie du continent ; il est couvert par le soleil toute l’année pour produire de l’électricité avec des stations solaires. Il peut même opérer l’appoint ponctuel avec l’énergie à base d’hydrocarbures, au même titre que l’Allemagne produit encore aujourd’hui de l’électricité thermique à partir du charbon. La part de l’Afrique dans le dérèglement est inférieure à 5% ; elle ne pourrait donc pas être considérée comme un pollueur direct de la planète.
5°- la création, le développement et l’entretien des infrastructures de communication et des équipements de transports sur tous les territoires. C'est le cœur des investissements physiques de développement. Les voies fluviales, les routes et autoroutes, les chemins de fer qui doivent irriguer tout le continent et relier tous les pays, desservir les zones enclavées et relier les territoires de production et les espaces de consommation, permettre les mobilités entre tous les pays, toutes les régions et tous les territoires du continent. L’électricité devient alors indispensable au développement des chemins de fer du 21e siècle. D’énormes étendues de nombreux pays exigent l’intensification des moyens de transports rapides : les trains à grande vitesse et les avions. Les Communautés Economiques Régionales deviennent alors des instances incontournables de décision et de financements efficaces pour faire face à ces investissements vitaux pour les Africains.
6°- la transformation industrielle et la valorisation des ressources produites en Afrique (ressources agricoles, forestières, minières, énergétiques, etc.). De lourds investissements (matériels d'usines, maîtrise technologique, compétences en ressources humaines, etc.) liés à l'industrialisation peuvent dissuader certains pays pauvres. C’est au niveau de la CER que ces investissements deviennent pertinents. Produire à partir des ressources naturelles africaines, transformer pour créer de la valeur ajoutée, consommer les productions africaines en Afrique pour le développement, exporter les excédents sur les marchés internationaux, intégrer l’éducation et la recherche dans les besoins de l’industrialisation de l’Afrique... telles sont les clés de succès pour atteindre le développement économique et social à horizon 2040.
A - L’indispensable développement des Communautés Economiques Régionales (CER) en Afrique Sub-saharienne
Nous sommes tout à fait conscients que de nombreux pays n’ont ni assez de ressources naturelles, ni assez de ressources humaines, ni assez de compétences, ni assez de ressources financières et matérielles pour créer, transformer, valoriser et commercialiser leurs productions. Aussi, nous continuons d’appuyer fortement le développement et l’efficience des Communautés Economiques Régionales (CER). Chaque pays devrait se projeter dans une Communauté Economique Régionale de son espace géographique. Chaque CER, pour devenir attractive et performante en vue de répondre aux enjeux du 21ème siècle, doit s’articuler et se construire autour de quatre axes principaux :
1°- La sécurité globale des populations de la CER et l’entraide sécuritaire au sein de la CER. Une Force Armée Régionale, comprenant les unités des différents pays de la CER, à un niveau élevé de mobilisation et de disponibilité -Force de Réaction Rapide- doit garantir la sécurité de chaque pays membre. Il appartient alors à chaque Etat membre de détecter les sources de conflit, les foyers des tensions, les zones à fortes fragilités, les incursions extérieures de déstabilisation… pour anticiper la restauration de la paix, jauger de l’opportunité de pacification par ses ressources intérieures ou de faire appel à la Force Armée Régionale. La Sécurité des territoires, des populations, des institutions et des investissements de développement s’impose également au niveau de la Communauté Economique Régionale.
2°- Les coopérations économiques et les partenariats au développement au sein de la CER. Chaque pays de la CER aspire légitimement au bien-être de ses habitants, à la souveraineté internationale quant aux décisions de ses stratégies économiques et à la sécurité des entrées/sorties des produits (importations et exportations), ainsi qu'au bon équilibre entre les besoins et les approvisionnements de son marché intérieur. Nous l’avons déjà montré dans nos différents ouvrages, l’économie durable et solide repose sur les cinq socles bien connus : a) la formation de la jeunesse et des acteurs de l’économie à des technologies, des connaissances et des savoir-faire en perpétuelle évolution dans un monde en mouvement ; b) l’innovation, la recherche et le développement de nouveaux produits ou de nouvelles offres par et pour les populations des pays et du reste du monde ; c) la production à l’intérieur du pays ou l’intelligence de la sous-traitance qui maintient la connaissance et le savoir-faire dans le pays d’origine ; d) la consommation et l’investissement intérieurs qui renforcent la puissance d’une nation et le bien-être de sa population ; e) les échanges extérieurs (exportations et importations). En Afrique et au cours de ce 21ème siècle du Réveil africain, peu de pays ont la capacité de se maintenir seuls dans la course effrénée de la mondialisation. Les barrières à l’entrée sont très élevées. La mise en commun des forces des pays au sein de la Communauté Economique Régionale (CER) trouve alors sa pertinence. Chaque pays membre analyse ses forces et ses faiblesses, participe aux stratégies communes de la CER sur chacun des socles indiqués de l’économie, et organise ses contributions à la construction d’une économie régionale solide et durable. Selon ces stratégies : l’industrialisation par la transformation des ressources naturelles reçoit les contributions des pays membres, et se concentre dans le pays qui dispose des capacités et de la maîtrise de la transformation, ainsi que les compétences techniques et humaines les plus performantes. De même, les exploitations agricoles visent la sécurité alimentaire de la CER. Le pays disposant de terres fertiles et rentables produit en fortes quantités et exporte au sein de la CER. Chaque CER se dote des écoles, des instituts, des universités de niveau international et des centres de recherches et développement de très haut niveau pour l’ensemble des pays de l’espace géographique de la CER. La mise en commun des socles de l’économie et l’exploitation partagée des ressources est une clé de succès économique des pays et des populations au sein de la CER. Le partage des résultats est organisé selon la valorisation du capital de chaque membre. Enfin, les piliers du développement économique et social indiqués trouveront une mise en œuvre cohérente et des succès au sein des CER : les infrastructures de communication et des transports ; la production, le transport et la distribution de l’électricité ; l’excellence dans l'éducation, la recherche et les développements des technologies en Afrique ; la solidarité dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et médico-sociale ; et l’accélération de l’industrialisation en Afrique pour lutter contre la pauvreté et la désespérance des jeunes.
3°- Les solidarités sociales et la neutralité géographique des frontières intérieures au sein de la CER. Elles participent à la libre circulation et l’implantation des populations au sein de la CER. Les Africains se sont laissés enfermer dans les frontières physiques imposées par leurs anciens maîtres colonisateurs, ignorant les passés culturels, les déterminants démographiques ou ethniques, les migrations et les échanges historiques entre les populations. Certes, il ne s’agit pas de revenir à des redistributions démographiques. Cependant, nous avons constaté que le Sud-Soudan s’est détaché du reste du Soudan sur ces déterminants, car le Soudan s’était montré totalement incapable d’assurer la sécurité et le développement de l’ensemble de ses territoires. Le Soudan se retrouve aux côtés des pays arabo-musulmans de l’Afrique du Nord, alors que le Sud-Soudan retrouve son espace naturel et historique de l’Afrique Sub-saharienne auprès des pays de l’Afrique de l’Est. C’est également l’un des avantages des CER : permettre aux populations de se déplacer, de s’installer et de s’épanouir au sein de l’espace géographique de leur CER.
4°- Le partage de la souveraineté politique et monétaire au sein de la CER. Les pays membres de la CER acceptent la gestion partagée des entrées et sorties de leurs territoires au sein d’une politique commune des migrations internationales. Un passeport commun, un visa commun, un contrôle aux frontières extérieures de la CER accroissent la libre circulation des populations, des visiteurs extérieurs et des investisseurs. Quant à la souveraineté monétaire partagée, elle s’impose pour accompagner le développement économique et social des pays membres de la CER. Défendre économiquement chaque monnaie nationale dans la bataille de la mondialisation actuelle requiert une énergie et une vigilance de plus en plus fortes pour chacun des pays concernés. Par ailleurs, la monnaie unique pour le continent est une utopie qui n’a aucun fondement économique aujourd’hui. Les disparités sont trop élevées entre les pays africains. Il convient alors de bâtir une Afrique réaliste des CER, seule entité géographique, politique, économique et monétaire viable et cohérente. Le libre échange économique et commercial se construit alors et d'abord au sein de la CER. Certaines Communautés Economiques Régionales sont avancées : la CEDEAO dispose des capacités à se doter de sa souveraineté monétaire en composant avec les valeurs actuelles du CFA, du Naira nigérian, de la Cédi ghanéenne, du dollar libérien, du leone, de l’escudo cap-verdien, du franc guinéen, du dalasi gambien. Les économistes et les experts trouveront les dosages nécessaires du panier pour bâtir une « monnaie commune CEDEAO ». La SADC (Southern African Development Community) pourrait aussi se doter de son agenda monétaire, à partir du noyau de ses pays membres. Il en est de même pour les pays de l’EAC (East African Community). Une monnaie commune sera composée à partir des monnaies actuelles : le Shilling (kenyan, ougandais et tanzanien), le franc (rwandais et burundais), et la livre sud-soudanaise.
B- Le cas de l’EAC (East African Community) et de la RDC (République Démocratique du Congo)
La Communauté Economique Régionale (CER) de l’EAC est ancienne et nouvelle à la fois. Fondée d’abord le 1er décembre 1967 entre les anciennes colonies britanniques (Kenya, Ouganda et Tanzanie), elle avait été dissoute en 1977 à la suite du coup d’Etat d’Idi Amin Dada en Ouganda en 1971 et des dysfonctionnements internes. Une évolution politique en Ouganda contraire aux principes mêmes de la Communauté, et le manquement aux attentes de base de la sécurité et de la démocratie dans ce pays ont contribué à la dissolution de l’EAC. C’est dans ce contexte des évolutions dans l’insécurité en Ouganda pour des populations que Yoweri Kaguta Museveni a accédé au pouvoir en 1985, à la suite d’une longue guerre civile. Après une longue période également d’insécurité permanente au Burundi, et surtout l’horrible génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994, nous avons été nombreux à associer nos points de vue, y compris avec les dirigeants des pays de la Région : Daniel Arap Moi au Kenya, Yoweri Kaguta Museveni en Ouganda, Benjamin Mkapa en Tanzanie, Paul Kagame au Rwanda et Pierre Buyoya au Burundi. En proposant de rebâtir l’EAC sur les socles de 1°- sécurité mutuelle des Etats ; 2°- la solidarité sociale et la mobilité des populations au sein de la Communauté ; 3°- les échanges économiques privilégiés entre les Etats membres, nous avons contribué à relancer une Nouvelle East African Community incluant le Rwanda et le Burundi aux côtés des anciens membres : le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie. Celle-ci a été créée à nouveau le 7 juillet 2000 sur son format historique des trois pays fondateurs. Et le 30 novembre 2006, l’EAC a admis en son sein le Rwanda et le Burundi, devenus membres de plein droit le 18 juillet 2007. En 2016, soit 5 ans après son accession à l’indépendance, le Sud-Soudan entre au sein de l’East African Community. Au début des années 2020, l’EAC compte désormais six membres sur les onze potentiels constituant la Région de l’Afrique Orientale. Manquent alors l’Ethiopie, la Somalie, l’Erythrée, Djibouti et les Îles Seychelles. La Somalie est actuellement candidate à l’entrée dans l’EAC, mais la situation de gestion économique et politique interne de ce pays, l’insécurité chronique et une gouvernance fédérale défaillante devraient être traitées avant son entrée dans l’EAC. Il serait utile, voire recommandé, de maintenir des accords privilégiés entre l’EAC et les autres pays de l’Afrique Orientale. De même, les relations se poursuivent et s’intensifient dans les échanges inter-CER. L’Union africaine trouvera sa pertinence dans le développement des CER, et la coordination de leurs échanges, ainsi que se positionnant comme une tour de contrôle entre l’Afrique et le reste du monde.
Nous avons indiqué les six piliers du développement économique et social pour l’Afrique, les cinq socles qui soutiennent l’économie des nations et les quatre axes indispensables à l’efficience et la viabilité d’une Communauté Economique Régionale (CER). La CER de l’EAC est bâtie sur ces quatre axes indiqués. Cependant, la République Démocratique du Congo (RDC) est admise dans l’EAC le 29 mars 2022, signe le traité d’adhésion le 8 avril 2022 et ratifie son entrée comme membre à part entière le 11 juillet 2022. Elle constitue une surprise sur le plan géographique et sécuritaire.
Sur le plan géographique, la RDC est un pays de l’Afrique Centrale, déjà membre de la CEEAC, et également membre de la SADC. Or dans les quatre axes de développement de la CER, le partage de la souveraineté politique et monétaire exigera de la RDC qu’elle se détermine quant à son appartenance communautaire. Choisir, c’est renoncer. Elle ne pourra pas se répartir durablement sur trois Communautés Economiques Régionales. Par ailleurs, l’immensité de ce pays (2,350 millions de km²) et d’énormes difficultés du pouvoir central à assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire national posent des difficultés d’intégration opérationnelle.
Sur le plan sécuritaire et de l’intégration des populations, la RDC vit une guerre civile longue depuis 1996. Lors du génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994, le gouvernement qui s’est qualifié d’intérimaire a déménagé tous les attributs du souveraineté du Rwanda vers et dans l’est du Zaïre. Même la Banque Nationale du Rwanda (BNR) avait été entièrement pillée et installée dans les camps de Réfugiés Rwandais au Zaïre. L'Operation française dite "Turquoise" a conforté les génocidaires installés avec tous les moyens détournés de l'Etat Rwandais au Zaire. Une armée s’est formée pour terroriser le Rwanda : les FDLR (Forces de Libération du Rwanda) formées avec le reste des anciennes FAR (Forces Armées Rwandaises, copiées sur le modèle des Forces Armées Zaïroises) et des génocidaires installés au Zaïre. Le Nouveau Rwanda actuel s’est construit sur les ruines laissées par ces génocidaires. En 1996, le Rwanda s’est donné l’objectif de rapatrier les Rwandais innocents réfugiés dans tous les pays voisins, dont le Zaïre. Quelques milliers de militaires des anciennes Forces Armées Rwandaises (FAR) réfugiés au Zaïre se sont désolidarisés des FDLR, et sont rentrés au Rwanda, puis réintégrés dans la nouvelle Armée Rwandaise (RDF - Rwanda Defense Forces). En mai 1997, le régime du maréchal Mobutu Sese Seko du Zaïre est tombé, et Laurent Désiré Kabila, nouvel homme fort du pays, prend le pouvoir et rebaptise le Zaïre de son ancien nom du Congo, sous l’appellation de "République Démocratique du Congo (RDC)". Il recrée une nouvelle armée : les FAZ (pour le Zaïre) deviennent les FARDC (pour la RDC). Les militaires Rwandais des anciennes FAR, pourchassés des camps de réfugiés où ils prenaient les populations civiles en otage, vaincus par les nouvelles RDF du Rwanda, se sont alliés avec les FARDC. Dès 1997, l’est de la RDC connaît une insécurité permanente : de nombreuses milices armées, sur fond de pauvreté et de guerres de survie, prolifèrent et prospèrent dans les deux régions du Kivu (Kivu Nord et Kivu Sud). Les conflits ethniques éclatent et les populations « Kinyarwandaphones » du Kivu sont pourchassées et massacrées sur les terres de leurs ancêtres, et installées dans la région bien longtemps avant la colonisation européenne. En 2003, le Mouvement armé M23 s’organise et prend la défense de ces populations. Il organise une légitime défense face à l’incapacité des autorités de Kinshasa et des FARDC à assurer la sécurité dans les deux provinces du Kivu. La situation demeure très tendue à ce jour. Les autorités de la RDC accusent ouvertement le Rwanda de soutenir le M23, soutiennent les personnalités politiques et les extrémistes Congolais qui crient à la chasse à l’homme "kinyarwandaphone" en RDC, et en appellent à la médiation des pays voisins et à la force régionale d’interposition de l’EAC (EAC Regional Forces). Il apparaît clairement que la RDC a accéléré son adhésion à l’EAC pour lui déléguer la responsabilité de la gestion de sa sécurité intérieure. Cependant, la solution est politique (pour la reconnaissance des populations "kinyarwandaphones" de la RDC comme faisant partie intégrante et historique de la population de la RDC) et sécuritaire (garantir la sécurité et la liberté pour tous les habitants de la RDC sur l’ensemble de tout le territoire de cet immense pays). Prétendre que les populations étiquetées "tutsi" dans l’est de la RDC seraient à l’origine des massacres dont elles sont elles-mêmes constamment victimes est tristement anachronique. La RDC s’achemine vers la situation du Soudan que nous avons évoquée : les populations de l’est de la RDC pourraient choisir de se séparer de la RDC pour former leur propre pays, afin de garantir leur propre sécurité durable et viable. Le pays ne peut pas survivre avec près de 200 groupes armés qui sévissent et terrorisent les populations dans les territoires de l’est. Mais le Gouvernement de la RDC refuse toute négociation avec le M23 en vue de restaurer la paix dans les deux provinces du Kivu. Puisque les autres solutions sont devenues inopérantes, les habitants des provinces du Kivu seraient désormais fondés à créer leur propre pays en vue d’assurer et défendre leur propre sécurité. Le Sud-Soudan est un nouveau pays, créé à la suite d’une guerre très longue de plusieurs décennies. Il avait besoin de pays voisins forts et stables pour le sécuriser durablement au sein de l’EAC. La même situation s’était présentée en Erythrée lorsque ce pays a obtenu la séparation avec l’Ethiopie. Devenus indépendants, l’Erythrée et le Sud-Soudan ont pu construire leur propre avenir, en accord avec leurs peuples. A l’évidence, la RDC, qui n’est pas une création récente ayant besoin du concours des voisins pour sa construction, ne remplissait pas les conditions de sécurité intérieure pour entrer de plein droit au sein de l’EAC, si l’on soumet ce pays à l’analyse des quatre axes indispensables pour la viabilité, la performance et le développement d’une Communauté Economique Régionale, tels qu’ils s’imposent également au sein de l’East Africain Community. De même, l’EAC pourrait être amenée à suspendre la RDC de ses instances en attendant l’issue politique des deux provinces du Kivu. Enfin, si les deux Kivu se séparent de l’actuelle RDC, il appartiendra au reste de la RDC de choisir soit la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale), soit la SADC (Southern African Dévelopment Community), dans le cadre du partage de la souveraineté politique et monétaire de la CER. Mais, elle pourrait rester au sein de l’EAC et se soumettre à des conditions strictes de respect de la souveraineté des deux Kivu. La situation ne serait pas nouvelle dans le monde : certaines anciennes composantes de la Yougoslavie se sont constituées en Etats souverains et adhèrent à l'Union européenne en cette qualité. De même, l'ancienne Tchécoslovaquie s'est coupée en deux États souverains, la Tchéquie et la Slovaquie, qui ont adhéré séparément à l’Union européenne. Les deux Kivu pourraient se séparer de la RDC, accéder à leur indépendance, s’associer ou s’intégrer dans à un autre pays voisin, et adhérer à l’East African Community. Les Africains doivent devenir mûrs pour construire leur avenir sans se laisser guider par les puissances extérieures qui défendent chacune ses propres intérêts en Afrique. Les CER sont un véritable bouclier, une force dans des négociations internationales. Aujourd’hui, l’Occident se réveille et se relaie auprès des dirigeants africains, pris isolément, pour leur suggérer de se détourner de la Chine, de la Russie, de la Turquie, de l’Inde, et de toutes les autres puissances économiques et militaires émergentes. Or, il est bien conscient que le retard criant au développement, la pauvreté et la misère endémiques, les guerres civiles permanentes, le pillage des pays par leurs dirigeants en complicité avec les prédateurs extérieurs, etc. sont en grande partie imputables à la prédation des ressources du continent pour poursuivre la croissance et le développement en Occident.
C- L’Occident et l’Orient ont tous besoin de l’Afrique
Aujourd’hui, l’Orient a compris la mécanique utilisée par les Occidentaux : il leur emboîte le pas, et prospère sur le commerce triangulaire : exploiter toutes les ressources africaines à vil prix dans tous les pays d’Afrique (mines, terres agricoles, pétrole et gaz) ; les transformer dans des industries de l’Orient disposant de la plus forte base de production industrielle dans le monde et à très bas coût de revient ; vendre les produits finis en Occident riche pour capter de fortes marges financières ; revendre de la pacotille aux Africains à faible pouvoir d’achat ou négocier en position de force des projets que les Africains ne peuvent pas se payer avec le produit de la vente de leurs matières premières sans passer par l’endettement. Ce système enrichit fortement les pays riches industrialisés historiques, participe au développement rapide des nouveaux pays industriels émergents et appauvrit de plus en plus les pays pauvres d’Afrique malgré la surabondance en ressources naturelles et en matières premières pour l'industrie. En 2023, les pays les plus pauvres du monde se concentrent en Afrique, où 33% des pays du continent disposent d’un PIB nominal de moins de 1000$ par habitant et par an. C’est donc la guerre des ressources naturelles africaines entre l’Occident et l’Orient. En ce 21ème siècle, le développement de l’Afrique Sub-saharienne se construira désormais sur l’appropriation, l’exploitation et la valorisation de ses ressources dans des espaces des Communautés Economiques Régionales (CER), ou ne sera pas atteint. Plusieurs puissances extérieures ont tout intérêt à maintenir les pays africains riches de matières premières dans des insécurités permanentes, car elles en tirent d’importants profits, à commencer par l’exploitation des terres et des ressources naturelles contre les fournitures d’armes en vue d’alimenter ces insécurités et les guerres civiles à répétition. Ensuite les dirigeants et les populations africaines courent s’adresser à leurs propres maltraitants pour espérer trouver des solutions à leurs problèmes et leurs maltraitances. La gazelle peut hurler de douleur dans les griffes du lion qui la dévore, ce dernier n’en aura pas pitié car c’est la base de sa nourriture, et donc de sa survie.
Le Réveil et la Relance de l’Afrique par les Africains, c’est maintenant !
Le livre présente des analyses comparatives des pays au sein de chacune des cinq Régions de l’Afrique, rappelle les dynamiques des évolutions entre l’Afrique et le reste du monde sur trente années depuis 1990 et propose de solutions pour relancer l’Afrique.
Emmanuel Nkunzumwami
Analyste économique et politique
Ecrivain-Essayiste
Email : emmankunz@gmail.com