BIEN COMPRENDRE POUR MIEUX DÉCIDER : LES CLÉS DU DÉVELOPPEMENT AUTONOME DES PAYS EN AFRIQUE
05 sept. 2021Nous sommes en septembre 2021. C’est la période de la rentrée scolaire et universitaire, de la reprise économique et de la consolidation des budgets 2021/2022, de la revue des stratégies de développement des États et des entreprises. Chaque acteur, dans tous les secteurs, affute ses outils, rassemble les meilleures compétences et organise ses ressources pour affronter les dures compétitions nationales et internationales, pour mieux réussir les challenges divers. Le décor est solidement planté.
A - Bien comprendre les enjeux
En Afrique, le problème persiste dans la gestion harmonieuse des 54 États membres de l’Union africaine. Les dirigeants nous répètent à saturation qu’ils doivent gérer une double contrainte : la souveraineté internationale de chacun des États africains et la dépendance aux compétences des puissances extérieures pour assurer leur sécurité et leur développement. Mais, comment développer un pays lorsque les ressources sont dispersées entre les nationaux et les diasporas, lorsque la sécurité et la paix sont extrêmement précaires et dépendent des puissances extérieures, et lorsque les parts stratégiques de chaînes de valeurs demeurent extérieures à l’Afrique.
Dans les désordres savamment entretenus par les réseaux de corruptions et des détournements massifs des ressources publiques, les guerres et les conflits terroristes qui gangrènent de nombreux pays, les apprentis opposants armés par les puissances extérieures pour maintenir la pression sur les gouvernements, les puissances extérieures tentant d’imposer des modèles de démocratie et des mœurs sociétales inapplicables en l’état en Afrique, les nostalgies contrariées de la domination des anciennes puissances coloniales essayant de passer par toutes les portes et fenêtres pour perturber et désorienter les initiatives de développement des pays. L’Afrique reste le laboratoire en grandeur nature de toutes les saletés et de toutes les abominations des puissances de l’ombre. Au cours des soixante dernières années, l’Afrique a tout connu : des coups d’État à répétition, l’apartheid en Afrique du Sud, des guerres civiles pour l’accès à l’indépendance, la destruction de bourgeons de développement par les funestes programmes d’ajustement structurels (PAS) refusés dans tous les autres pays du monde (pour restructurer des économies détruites ou encore en gestation), le plus abominable des crimes contre l’Humanité par le génocide contre les Tutsi au Rwanda quand l’Homme a touché le fond de l’abime sous le regard passif de la fameuse théorique et inexistante « Communauté internationale », le terrorisme sans fin des Islamistes radicaux soutenus, entraînés et alimentés par des puissances extérieures, des corruptions massives des dirigeants et des hauts cadres des armées dans les pays assiégés par des conflits terroristes, et l’incapacité de nombreux dirigeants à étendre les compétences et les services de l’État à tous les habitants de tous les territoires du pays.
Alors certains se rabattent sur les halos de paix pour tenter de faire fortune. Mais, la paix et la sécurité ne tombent pas du ciel, ou ne sont pas apportées sur un plateau d’argent comme un cadeau aux pays. Le Rwanda, puisqu’il faut citer un exemple, a conquis sa sécurité intérieure et la paix sur l’ensemble de son territoire au prix d’immenses efforts des dirigeants et du peuple. C’est la base de la dignité des peuples de pouvoir assurer leur propre sécurité. Après plus de vingt-sept années de reconstruction d’un pays détruit et d’un peuple profondément meurtri, nous entendons parfois des individus extérieurs au pays prétendre avoir participé à la résurrection de ce pays en y implantant un modeste cabinet d’avocat, en y ouvrant une agence de tourisme, en passant quelques nuits dans un hôtel ou en y implantant un kiosque pour vendre de la pacotille importée de Chine. C’est sûrement utile et rémunérateur pour ces entrepreneurs, mais notoirement insuffisant pour assurer les fondements durables du développement et de la reconstruction du Rwanda. Les dirigeants de ce pays continuent de rassembler les matériaux pour bâtir de solides socles du développement. Aujourd’hui et dans un véritable élan de solidarité panafricaniste assumée, parce que le pays sait très bien d’où il vient, le Rwanda intervient au secours de la Paix et de la Sécurité dans de nombreux pays africains, dont le dernier est le Mozambique. Et parce qu’il ne peut jamais y avoir de développement économique et social sans la paix et la sécurité dans un pays. Ce duo constitue l’un des piliers de base, avec l’éducation et la formation de la jeunesse ; la sécurité alimentaire, médico-sanitaire et environnementale ; les infrastructures et les moyens de transport et des communications ; l’accès du plus grand nombre à l’énergie. Tous ces éléments ont déjà été présentés, détaillés et illustrés dans « La Relance de l’Afrique ». L’objectif clairement affiché à court terme dans ce livre, c’est l’état d’avancement de l’Afrique en 2025. Ensuite, chaque pays doit se doter des ambitions claires pour 2050, avec des points de passage et de contrôle par période quinquennal, et des étapes de consolidation décennale : 2030, 2040 et 2050.
B- Mieux décider en toute autonomie
Comment évaluer les apports aux défis du développement en Afrique ? Les pays dotés d’un « Bureau National d’Évaluation des Projets (BNEP) » disposent d’un instrument d’orientation des projets de développement à travers l’intervention sur les « chaînes de valeurs » pour apprécier « la valeur ajoutée » d’un projet dans le pays. Il faut donc savoir où l’on veut mener le pays. La première étape, ce sera l’évaluation de l’avancement sur les « six piliers du développement en 2025 ».
I- Dans le domaine de la sécurité alimentaire, sanitaire et environnementale, l’un des socles de base du développement, on peut citer quelques exemples de chaînes de valeur :
Puis l’on revient à la reprise du cycle indiqué. Cette chaîne est valide pour l’ensemble des éléments qui entre dans le circuit alimentaire.
Tout opérateur économique devrait être évalué selon cette chaîne de valeur et la valeur ajoutée qu’il apporte au pays. Entrepreneur national ou étranger, lorsque vous apportez votre projet dans le pays, vous devrez vous situer sur cette chaîne de valeur. Vous pouvez vous localiser sur un maillon de la chaîne ou sur une partie de cette chaîne. Le BNEP a donc le devoir de valider votre contribution au développement réel, pour écarter toute démarche de prédation, tout en évaluant la pertinence de l’apport.
C’est une chaîne de valeurs du même domaine. Où se situe le projet sur ce parcours de création de la valeur ajoutée pour les habitants, et donc pour le pays ?
II- Dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle, une attention particulière est apportée sur l’offre quantitative et la contribution qualitative à la préparation de la jeunesse. L’État, comme dans tous les domaines, définit les normes. Il est le garant du modèle ORC de la bonne gouvernance (Orientation et Organisation de la vie de la nation, Régulation et Réglementation des services aux habitants, et Contrôle et Correction avec l’application des sanctions en vue de la bonne marche des affaires publiques, parapubliques et privées). L’État étant le garant de l’éducation de sa jeunesse, tout intervenant s’associe à ses efforts : création des écoles et des centres de formation à finalités précisées dans le projet, création d’un centre de recherche et développement pour l’accroissement des connaissances et l’appui à l’industrie de transformation, formation des jeunes aux métiers définis et encadrés, tout apport à l’amélioration de la culture, des savoirs et des savoir-faire.
III- Dans le domaine des infrastructures et moyens de transport et des communications, les chaînes de valeurs sont également claires. Les apports peuvent répondre aux appels d’offres ou aux initiatives propres des entrepreneurs.
On ne s’improvise pas « opérateur des télécommunications » ou « opérateurs des autoroutes » ou « opérateur des chemins de fer » ou « gestionnaire des aéroports ». Dans le cas des télécommunications, le BNEP devrait veiller à l’offre des réseaux proposés (sachant que le monde connaît les réseaux mobiles 4G ou 5G, la collecte, le transport et la distribution en fibre optique de bout en bout, les services à valeur ajoutée de Mobile Money, avec des équipements de réseaux et des terminaux à haut niveau d’intégration de service digital), les capacités de maintenance et des services associés. Un opérateur des télécommunications rassemble tous ces éléments et doit se préparer à investir des milliards de dollars (ou d’euros) pour déployer les réseaux, les maintenir, assurer leur supervision, et déployer les services aux utilisateurs (clients). Des ressources techniques, matérielles, financières et humaines sont importantes, très largement au-delà de quelques dizaines de personnes. La création et l’entretien des voies de communication (routes, autoroutes, chemins de fer, voies navigables) relèvent de la même logique d’investissement et de qualité de service. Chaque opérateur économique dans ce domaine doit préciser sur quel maillon ou sur quelle partie de la chaîne de valeur, il projette d’intervenir. Il ne suffit pas de se désigner « opérateur des télécommunication » pour en avoir la qualité. De nombreuses compagnies internationales éprouvent des difficultés à couvrir tous les territoires des pays où ils se sont engagés à intervenir.
Nous l’avons vu dans les cas précédents : un opérateur peut choisir d’intervenir sur un maillon de la chaîne. La question première des pouvoirs publics : « qu’apporte le nouvel opérateur que l’État ou les acteurs présents ne parviennent pas à couvrir. Quelle est donc la valeur ajoutée apportée par un nouvel opérateur entrant ? ».
IV- Dans les domaines de l’énergie et de la transformation industrielle, les situations demeurent similaires.
Cette chaîne est valable pour toutes les productions de matières premières et leur valorisation en Afrique.
Dans le domaine de la production énergétique, l’on est constamment confronté à une autre complexité pour les pouvoirs publics. Néanmoins, la logique de la chaîne de valeurs demeure, avec une impérieuse contrainte d’assurer la sécurité tout au long des maillons de cette chaîne. Il est donc possible de sous-traiter entre opérateurs à au niveau de la gestion de la maintenance et des incidents et bien entendu dans la facturation et la gestion des réclamations qui sont ensuite adressées à l’opérateur principale de production, transport et distribution de l’énergie dans le pays.
C- Conclusion :
L’objet de cette publication est d’alerter sur l’importance de l’identification de réels projets qui contribuent au développement des pays africains. Il convient de rappeler que le taux de croissance (un indicateur composite des économistes) n’est pas un indicateur de développement. Les États doivent ainsi séparer des incantations et des opérateurs auto-proclamés des véritables acteurs de grands projets pour orienter solidement leurs politiques. Dès lors que le Bureau National d’Évaluation des Projets s’est approprié les différentes chaînes de valeurs en fonction des stratégies de développement du pays, il devient possible de clarifier l’ambition collective du pays, les projets susceptibles de contribuer à sa réussite et les plans d’actions pour y parvenir. Chaque opérateur qui soumet son projet d’opérateur économique dans un pays, devrait également s’imprégner de sa réelle contribution au développement global et savoir se situer clairement sur la chaîne de valeurs. Un État organisé sait détecter les tricheurs et les nostalgiques de la domination coloniale : un avocat touriste belge reçoit un visa de tourisme au Rwanda. Quelques jours après, il ressort sa robe d’avocat pour aller plaider dans un dossier pénal. Les agents assermentés l’ont donc arrêté et reconduit dans son pays manu militari, car un État de droit doit être organisé et refuser l’anarchie. Il n’était pas reconnu au Barreau du Rwanda et n’avait pas été enregistré parmi les avocats de la défense dans ce dossier. Si les pays africains ont acquis la souveraineté internationale, ils doivent également s’organiser pour l’assumer ; il en va de la dignité des peuples. Le développement ne se décrète pas, il se construit méthodiquement et patiemment. Et à la fin de l’année, les pays doivent pouvoir en mesurer l’état d’avancement sur le parcours. Un pays peut considérer que la chaîne de valeurs est complexe, et mutualiser les efforts avec les autres pays de la région, afin de rapprocher des territoires de production, les centres des compétences techniques, et réduire les coûts de transport. Ce sera le cas notamment dans les chaines de valeurs de l’industrialisation. Plusieurs pays peuvent donc assurer la production des matières premières qui seront transformées et mises en valeur (création de la valeur ajoutée) dans un autre pays. Ce dernier pourra alors assurer le raffinage et les produits semi-finis primaires. Il peut poursuivre sur la valorisation des produits finis diversifiés ou passer le relai à un autre pays pour les produits finis spécifiques répondant aux besoins identifiés (matériaux de constructions, aciers, production d’énergie, etc.). Ce mécanisme des coopérations est valable pour toutes les productions industrielles. Et que les Africains comprennent que le développement économique et social passe par celui de l’industrialisation, de la transformation des matières premières et de la valorisation de la production en Afrique. Les nouveaux pays industrialisés, comme les pays industriels historiques, continueront d’importer les matières premières pour leurs propres usines de transformation, afin de s’approprier la valeur ajoutée et exporter les produits finis qui en résultent. Les offres numériques ou digitales sont également réalisées sur la base des produits industriels extérieurs à l’Afrique, mais souvent manufacturés à partir des matières premières importées d’Afrique ; elles constituent alors un lien de dépendance économique si les pays africains ne développent pas des contreparties industrielles pour financer leur propre développement et participer activement à la mondialisation. A défaut d’un décollage de l’industrie de transformation en Afrique, capable d’absorber une importante main-d’œuvre pour apporter du revenu autonome à la jeunesse en grande partie formée et désœuvrée, accroître le savoir-faire et valoriser le sol et le sous-sol africains, la Mer Méditerranée n’aura pas fini d’engloutir une partie des migrants de la misère, et l’Europe sera pour longtemps encore la destination première des migrants de la faim et de la désespérance. Les destins de l’Afrique et de l’Europe sont donc objectivement et intimement liés dans les compétitions internationales.
Emmanuel Nkunzumwami
Écrivain - Essayiste
Analyste économique et politique
mail : emmankunz@gmail.com