Le président Laurent Gbagbo rentre en Côte d'Ivoire, au bout de plus de dix ans, dont neuf passés en prison à la Cour Pénale Internationale de La Haye. C'est la concrétisation de la victoire du droit international, de la dignité humaine et du respect de l'indépendance des juges de la CPI. C'est enfin l'occasion de s'interroger sur l'Afrique et ses dirigeants
 
Que devons-nous retenir :
1- Une tentative de putsch a lieu en Côte d'Ivoire le 19 septembre 2002. Elle est menée par Guillaume Soro avec l'appui du président Blaise Compaoré, celui qui a renversé et fait assassiner le président et compagnon d'arme Thomas Sankara au Burkina Faso, et avec l'appui des puissances extérieures. Ce putsch manqué ouvre une longue période de guerre civile, dans laquelle s'implique la France, ancienne puissance coloniale, avec l'appui de l'ONU qui installe des unités de soldats de l'ONUCI en charge du maintien de la paix dans ce pays. Plusieurs péripéties jalonnent alors les tentatives de retour à la paix et à l'unité nationale, sachant que la guerre civile divise alors le pays en deux : une partie du nord, proche du Burkina Faso, contrôlée par la rébellion, et le reste du pays. Le président Laurent Gbagbo est ainsi conduit à diriger le pays pendant dix ans, jusqu'à l'élection présidentielle de 2010. Lors de cette élection, le président en exercice Laurent Gbagbo est opposé à monsieur Alassane Dramane Ouattara au second tour. Monsieur Henri Konan Bédié, le troisième homme battu dans cette présidentielle, apporte son soutien à monsieur Alassane Dramane Ouattara contre le président Laurent Gbagbo. A ce stade, la Côte d'Ivoire est encore dans le processus électoral. Mais, la campagne médiatique a choisi son camp : la photo du président Laurent Gbagbo au travail est détournée. Il est affublé de tous qualificatifs dégradants : une brute sans culture, un villageois sans valeur, un inconnu usurpateur du pouvoir... en oubliant que Laurent Gbagbo est professeur d'Histoire à l'université, et élu au suffrage universel direct par le peuple ivoirien à la présidence de la République en 2000. Le candidat de la communauté internationale devient "le grand banquier du FMI" (acteur de ce même FMI qui a ruiné les économies africaines à travers les plans d'ajustement structurel (PAS), refusés par tous les pays du monde sauf les africains), donc forcément le vainqueur désigné de l'élection, selon les soutiens extérieurs.
 
2- Après la longue guerre civile, la France et l'ONU arbitrent la victoire de cette élection présidentielle. La France a déjà déployé son armée sous l'opération militaire Licorne de plusieurs milliers d'hommes. Pour l'ONU, c'est un obscur fonctionnaire qui est chargé de proclamer des résultats de l'élection selon les consignes franco-onusiennes. Le Conseil constitutionnel de la Côte d'Ivoire, en charge de valider cette élection est totalement court-circuité. C'est donc la France qui déclare la victoire de monsieur Alassane Dramane Ouattara à cette élection présidentielle. Des irrégularités sautant aux yeux d'un profane en lecture de statistique électorale, des fraudes massives et une décision organisée d'écarter le président Laurent Gbagbo conduisent à la capture dans leur chambre à coucher du président et son épouse Simone Gbagbo. A ce jour, aucun décompte des voix n'a été effectué pour connaître le vainqueur de cette élection en 2010. Néanmoins, le Conseil Constitutionnel a bien pris le soin d'écarter les bulletins reconnus frauduleux, d'annuler les résultats manifestement irréguliers de certains bureaux de vote, et de totaliser les suffrages valablement exprimés. Aussi, le vainqueur de cette élection était bien le président Laurent Gbagbo. Fort de la victoire, il avait même demandé à l'ONU de recompter les suffrages, mais celle-ci a considéré que cela aurait été "injuste pour le candidat Alassane Dramane Ouattara". Il convient de rappeler que, dans tous les processus électoraux, on compte et on valide les suffrages pour proclamer le vainqueur, celui qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages exprimés. A Paris, la lecture de cette élection est totalement différente. Le président Laurent Gbagbo est fondateur du Front Populaire Ivoirien (FPI), avec son épouse Simone Gbagbo. Son parti adhère à l'Internationale socialiste. Mais, devant les difficultés et la décision des puissances extérieures de le chasser du pouvoir (un président rebelle, incontrôlable pour les Occidentaux), le parti socialiste "ami" français se désolidarise de lui. Il s'associe à la presse et aux ténors politiques de droite et de gauche pour le capturer, l'étouffer d'une condamnation extrajudiciaire et le transférer à la CPI. Président jusqu'au 11 avril 2011, il devient le plus grand criminel de Côte d'Ivoire. Seules quelques voix isolées de quelques personnes éveillées du Parti socialiste l'accompagnent dans sa douloureuse chute programmée, la mise en scène dégradante de sa capture et le transfèrement à La Haye pour son incarcération.
 
3- Scandalisés, choqués, les Panafricains crient à la violation flagrante de la vie privée du président, l'écrasement de la souveraineté internationale de la Côte d'Ivoire, l'agression physique d'un président africain en exercice dans sa chambre à la résidence présidentielle par une force extérieure combattante, la capture indécente du couple présidentiel en pleine nuit. Les forces sont inégales, les puissances extérieures s'imposent et l'Afrique reste muette. Comme elle restera également muette quelques mois plus tard quand les bombes pleuvent sur la Libye, et que le président Mouammar Kadhafi est capturé et tué. Lui n'a pas eu la chance de survivre. Les deux situations démontrent à suffisance le mépris et le peu de considération que les puissances extérieures portent sur l'Afrique. En même temps, elles réveillent les consciences de la jeunesse africaine.
 
4- Le président Laurent Gbagbo et le ministre Charles Blé Goudé ont été incarcérés à la prison de La Haye pendant l'instruction de leurs dossiers. D'immenses moyens techniques, financiers et en ressources humaines ont été déployés pour rechercher toutes les preuves de leur inculpation. Pendant neuf ans d'instruction, l'accusation n'a pas réussi à réunir des preuves pour la condamnation. Aussi, les prévenus ont été acquittés par la Chambre de première instance en janvier 2020. Mais, soumise à une forte pression, la procureur de la CPI, Mme Bensouda, a interjeté l'appel. Le droit et la procédure judiciaire le lui permettent, et elle devait épuiser tous les recours. Aussi, le dossier a été traité et instruit à nouveau par la chambre d'Appel de la CPI. Les deux célèbres détenus ont ensuite été définitivement acquittés de toutes les charges le 31 mars 2021. Ils sont totalement libres. Comment comprendre alors neuf ans passés en prison, mais conclus par un acquittement ?
 
5- Le président Laurent Gbagbo et le ministre Charles Blé Goudé, totalement acquittés, sont donc libres de retourner dans leur pays, la Côte d'Ivoire ou d'aller vivre dans un autre pays de leur choix s'ils le désirent. Il reste néanmoins quelques problèmes à résoudre : les deux ex-détenus ont droit à l'indemnisation des neuf années de détention ayant conduit au non-lieu. La CPI, l’État ivoirien, l'ONU, la France ont le devoir de régler ce problème "d'indemnisation pour détention abusive". Le président Laurent Gbagbo n'a pas été battu lors de l'élection présidentielle, car aucun décompte contradictoire des suffrages n'a été effectué malgré la demande insistante du président, et de nombreux observateurs de cette élection. Les résultats validés par le Conseil constitutionnel lui accordent la victoire, et il a même prêté serment devant cette même cour. Il est donc  officiellement président de la Côte d'Ivoire après l'élection présidentielle de 2010. Devrait-il percevoir des indemnités de président de la République capturé illégalement et emprisonné ? Le président Laurent Gbagbo doit-il s'impliquer directement dans la réconciliation nationale, en tant que victime de la guerre civile post-électorale, de sa capture et de son emprisonnement ? Quel devrait être son rôle ? Le pouvoir actuel s'est engagé à mettre à sa disposition tous les avantages liés à qualité d'ancien président de la République. Il doit également assurer sans faille sa sécurité physique, lui faciliter l'accès à tous les moyens de communication et lui permettre d'organiser les réunions et meetings.
 
6- Une condamnation à 20 ans d'emprisonnement aurait été requise contre lui, en dehors de tout débat contradictoire et de la présentation des pièces à conviction, lors d'une décision à charge tout en sachant que le supposé prévenu était encore détenu à la CPI à La Haye. Il convient de rappeler que le président Laurent Gbagbo était en exercice depuis l'année 2000. Il est incroyable d'arguer que, pendant son mandat, il aurait "braqué" la Banque centrale de son propre pays. En vertu de quel principe du droit international un président en exercice perd la souveraineté internationale de son pays dans la conduite des affaires publiques. Peut-on imaginer qu'un chef d’État européen ou américain soit condamné pour "braquage" de la banque centrale de son pays pour faire face au financement public en vue de relever l'économie fortement ébranlée par la crise financière et économique de 2007-2010, ou par la crise sanitaire que nous traversons depuis février 2020 ? Comment appelle-t-on un président de la République qui n'a pas soutiré un seul centime du trésor public pour son enrichissement personnel ou celui de sa famille et ses amis pendant l'exercice du pouvoir ? Ses accusateurs devraient baisser la tête couverte de honte. Les dirigeants Africains devraient devenir mûrs, adultes, sérieux, responsables et professionnels dans la gestion efficace des institutions de leurs pays.

Finalement :
L'acquittement définitif du président Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé est une grande leçon pour l'Afrique, et  pour ce qu'il est convenu d'appeler "pudiquement" la communauté internationale. Effectivement, il y a eu des vies perdues pendant la crise pré- et post-électorale en Côte d'Ivoire. Je renouvelle toutes mes condoléances aux familles éprouvées. Il faudrait revoir les responsabilités dans cette douloureuse tragédie humaine, juger et sanctionner selon les règles du droit les criminels. C'est un hommage indispensable aux victimes. Ensuite, tout pays africain indépendant devrait faire valoir sa souveraineté internationale pour être respecté, en même temps que tous les peuples devraient être traités avec dignité. Il n'y a pas d'humains "puissants et dominateurs" qui décident par l'Afrique et de "sous-humains" à humilier et à écraser à volonté. Après dix années de déchirement, le peuple ivoirien va enfin se retrouver face à lui-même pour tisser les liens de la fraternité, du rassemblement et de la cohésion nationale. C'est l'objectif premier de la réconciliation ; mais celle-ci requiert l'exercice de la Justice équitable et l'expression de la Vérité pour bâtir ensemble la nouvelle République de Côte d'Ivoire.
 
Bienvenu chez vous, en Côte d'Ivoire et en Afrique, monsieur le Président Laurent Gbagbo !
 
Écrivain - Essayiste
Analyste politique et économique
mail : emmankunz@gmail.com
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