LES PAYS EMERGENTS EN AFRIQUE : UNE COMMUNICATION POLITIQUE SANS STRATEGIE GLOBALE (Partie II)
20 oct. 2014Dans la suite de notre étude sur les pays émergents , nous relevons que les situations sont variées au sein de ces pays, quant à leur niveau de développement économique et social. Pour les pays candidats à la communication sur leur position de « pays émergents », nous examinons d’autres indicateurs, en comparaison avec quelques autres pays pris pour référence au sein des puissances émergentes. Nous avions présenté les situations des mêmes pays africains par rapport aux indicateurs 1 à 5, décrivant le niveau des populations en comparaison avec les autres pays émergents (indicateur 1), le déséquilibre de l'aménagement des territoires par l'encombrement des principales grandes agglomérations (indicateur 2), le faible niveau de valorisation des ressources conduisant à de maigres richesses nationales disponibles, traduites par de modestes produits intérieurs bruts (Indicateur 3). Ces handicaps se répercutent dans le faible niveau de lutte contre la mortalité infantile (indicateur 4) et les tentations de compensation de cette mortalité par un très fort taux de fécondité, par ailleurs alimentés par un encadrement insuffisant en vue de la maîtrise du planning familial et de la formation/protection maternelle et infantile (indicateur 5). Les autres indicateurs sont présentés dans la suite de cette étude.
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Le tableau suivant situe les contextes, selon les indicateurs 6 à 10 :
Quels sont les pays émergents en Afrique subsaharienne ?
| Indicat 6 | Indicat 7 | Indicat 8 | Indicat 9 | Indicat 10 |
Taux | Taux | Chemin | Ratio | Installat | |
2008-2012| | 2008-2012 | |2008-2010 | /106 hab | améliorées | |
Angola | 85,7 | 70,4 | 2 764 | 149 | 58,7 |
Côte Ivoire | 61,5 | 56,9 | 660 | 29 | 23,9 |
Cameroun | 93,5 | 71,3 | 987 | 48 | 47,8 |
Gabon | 87,1 | 89,0 | 814 | 509 | 32,9 |
Sénégal | 78,9 | 49,7 | 906 | 68 | 51,4 |
Congo | 92,6 |
| 795 | 177 | 17,8 |
Ghana | 84,3 | 71,5 | 947 | 38 | 13,5 |
Kenya | 84,0 | 72,2 | 2 778 | 63 | 29,4 |
Tanzanie | 98,2 | 67,8 | 3 689 | 76 | 11,9 |
Ouganda | 93,9 | 73,2 | 1 244 | 36 | 35,0 |
Botswana | 87,3 | 85,1 | 888 | 417 | 64,0 |
Zimbabwe | 88,0 | 83,6 | 3 077 | 233 | 40,2 |
Nigeria | 57,6 | 51,1 | 3 505 | 20 | 30,6 |
South | 90,3 | 93,0 | 20 872 | 429 | 74,0 |
Ethiopie | 87,4 | 39,0 | 681 | 7 | 20,7 |
Iran | 99,9 | 85,0 | 8 442 | 106 | 99,6 |
Brésil | 94,8 | 90,4 | 28 538 | 142 | 80,8 |
Mexique | 99,5 | 93,5 | 17 166 | 148 | 84,7 |
Argentine | 99,0 | 97,9 | 31 409 | 737 | 96,3 |
Indonésie | 99,0 | 92,8 | 8 529 | 34 | 58,7 |
Maroc | 96,2 | 67,1 | 2 067 | 63 | 69,9 |
Algérie | 97,7 | 72,6 | 3 973 | 104 | 95,1 |
Nous avions déjà examiné les situations de ces pays au regard des indicateurs 1 à 5 de notre évaluation. Nous poursuivons l'analyse. Si l’on se réfère à l’indicateur 6 de notre tableau, l’on s’aperçoit que le Brésil atteint un taux de scolarisation primaire de 95% sur la période 2008-2012. Les autres pays émergents du tableau, tels que l’Argentine, l’Iran et le Mexique ont déjà dépassé le seuil de 99%. Même l’Indonésie, qui approche largement les performances des plus grands pays émergents et dont elle fait partie dans le groupe AMACITA, a déjà atteint 99%. L’effort minimal que l’on peut requérir pour les pays africains candidats au groupe des pays émergents, serait alors d’atteindre très rapidement le taux de scolarisation de 95%. Seule la Tanzanie répond à cet appel. Même l’Afrique du sud atteint à peine la limite basse de 90%. Entre ces deux pays, se trouvent le Cameroun (93,5%), le Congo (92,6%, mais avec un très modeste niveau de population de 4,5 millions d’habitants) et l’Ouganda avec 93,9%. Seuls le Maroc et l’Algérie au Maghreb atteignent 96,2% et 97,7% et se rapprochent des autres pays qui ont investi dans l’éducation de la jeunesse. Les autres pays tels que le Sénégal (79%), la Côte d’Ivoire (61,5%), ou le Nigeria (57,6%) n’ont même pas encore atteint 80% de scolarisation de leurs jeunes. Il reste donc une importante population de plus de 20% d’enfants de moins de 15 ans qui ne connaît pas encore le chemin de l’école primaire. A fortiori une population encore plus importante qui ne connaitra pas l’éducation secondaire. Bien entendu, lorsque le taux de scolarisation est encore faible, on s’attend à ce que l’effort complémentaire soit déployé dans l’alphabétisation. Il est fourni pour les populations de 15 à 24 ans, même si le niveau reste encore faible. Mais le stock des populations analphabètes reste encore très élevé. Ces données, enregistrées en 2012, sont en bonne évolution.
C’est l’indicateur 7 qui nous donne des informations comparatives. Alors que cet effort conduit à 90,4% de population alphabétisée (sur toute la population à partir de 15 ans) au Brésil, ce taux baisse singulièrement dans les pays africains subsahariens candidat au label de pays émergents. En effet, le taux d’alphabétisation en 2012 s’établissait à 39% en Éthiopie et 49,7% au Sénégal. C’est-à-dire que plus de la moitié des adultes de ces pays sont analphabètes. Comment alors assurer un développement économique et social, incluant l’accès à l’information médico-sanitaire ou alimentaire, ou suivre la scolarité des enfants, ainsi que l’accès à la culture lorsque l’on est soi-même analphabète ? Entre 50% et le minimum de 80%, se rangent un grand nombre de pays Africains candidats à l’émergence : Nigeria (51%), Côte d’Ivoire (57%), Tanzanie (68%), Cameroun (71%), Ghana (72%), Kenya (72%), Ouganda (73%). Même le pays avancés du Maghreb butent sur le relatif niveau faible de population alphabétisée : Maroc (67%) et Algérie (73%). Quelques pays, tels que le Zimbabwe (84%), le Botswana (85%), le Gabon (89%) et bien sûr l’Afrique du Sud ont dépassé le seuil des 80%. L’on peut retenir que le minimum requis pour les pays africains en course vers le véritable développement économique, social et culturel se situe à 90%. L’Afrique du Sud reste alors encore le seul pays qui y répond parmi les grands pays africains.
L’indicateur 8 est très exigeant dans les équipements d’aménagement des territoires. En effet, comment assurer une déconcentration des principales agglomérations, souvent mais pas uniquement la seule capitale en Afrique, vers les régions en assurant de développement économique régional réparti, lorsque les moyens de communication et de transports font défaut. Aussi, nous ne mesurons pas l’équipement en voix ferroviaires en km de chemin de fer par km², mais par million d’habitants. De nombreux pays africains étant, soit en grande partie couverts de désert, soit de forêts, soit de montagnes, ces zones ne sont pas habitées et ne seraient donc pas aménagées pour les transports collectifs. Néanmoins, les populations et les produits doivent pouvoir circuler facilement, rapidement et en sécurité dans toutes les régions habitées et mises en valeur à travers le pays. Nos pays émergents de référence donnent les repères : L’Iran compte 106 km par million d’habitants, le Brésil est encore à 142 km, le Mexique à 148 km. Ce sont des pays étendus, parcourus par le désert (Iran), par la forêt (le Brésil) et par les montagnes (le Mexique). Pour qu’un pays africain affiche une bonne fluidité des transports et communication, au même titre que d’autres pays émergents, il devrait présenter un ratio proche de 140 km par million d’habitants. Ce ratio est satisfait en Angola (149 km), au Gabon (509 km), au Congo (177 km), au Botswana (417 km), au Zimbabwe (233 km) et en Afrique du sud (429 km). Il reste un effort de modernisation, d’entretien et de régularité du trafic. Mais pour d’autres pays, tels que la Côte d’Ivoire (29km), le Cameroun (48 km), le Sénégal (68 km), le Ghana (38 km), le Kenya (63 km), la Tanzanie (76 km), l’Ouganda (36 km), le Nigeria (20 km) ou encore l’Éthiopie avec ses modestes 7km par million d’habitants, les efforts en aménagement des territoires et en infrastructures de transports et de communication sont encore nettement insuffisants. Certes le Nigeria et l’Éthiopie sont handicapés par une forte population, respectivement de 175 millions et 99 millions. Mais c’est également leur force qui valide leur capacité à se comparer aux autres grands pays du monde. Enfin, cet indicateur 8, insistant sur les infrastructures fixes et durables pour faciliter l’aménagement économique du pays, se répercute sur l’indicateur 9 qui relève l’effort des pays dans le niveau du bien-être de leurs habitants, par l’accès aux installations sanitaires améliorées, tant dans les zones urbaines que dans des zones rurales.
Dans les pays émergents retenus pour repères, la proportion des habitants accédant à ces installations sanitaires améliorées excède 80% de notre indicateur 9. Le Brésil est à 81%, le Mexique présente 85%, l’Argentine est à 96%. Nous pouvons considérer que le niveau minimum moyen pour un pays émergent se situe à 80%. L’Afrique du sud s’en approche avec 74%. Pour les autres pays du panel, nous recherchons les pays situés entre 50% et 80%. Seuls le Botswana (64%), l’Angola (59%) et le Sénégal (51%) parviennent à sortir du lot, mais restent très au-dessous du minimum requis de 80%. Avec 12% pour la Tanzanie, 14% pour le Ghana, 18% pour le Congo, 21% pour l’Éthiopie, 24% pour la Côte d’Ivoire, 29% pour le Kenya ou même 31% pour le Nigeria, de nombreux pays restent encore globalement dans des installations sanitaires insuffisantes pour assurer un développement sanitaire et social convenable. Sur cet indicateur, le Maroc rejoint les pays subsahariens les plus avancés avec 70%, mais loin des pays émergents, alors que l’Algérie se rapproche des pays émergents avec 95% de ses habitants accédant à des installations sanitaires améliorées.
En conclusion, les pays africains, qui voudraient avancer pour s’installer dans le groupe des pays émergents, devraient améliorer leur niveau de développement économique, social, sanitaire et culturel. Ils devraient également atteindre un niveau d’équipements et d’infrastructures propices à la diffusion de ce développement économique et social équilibré à travers les régions de ces pays.
Aussi, l’on peut attirer l’attention sur les minima conseillés :
- Un taux de scolarisation primaire (enfant de moins de 15 ans) de 95% minimum ;
- Un taux de population alphabétisée parmi les populations de plus de 15 ans à hauteur de 90% ;
- Un équipement de lignes de chemin de fer, le moyen de transport le plus sûr, accessible pour tous, durable et de grand capacité de transport de personnes et de biens, à hauteur de 140km par million d’habitants ;
- Un niveau d’équipements sanitaires de bonne qualité pour participer aux efforts de progrès médico-sanitaires et d’hygiène publique, à hauteur de 80% des populations du pays.
L’on conçoit que les efforts demeurent très importants pour un grand nombre de pays ne disposant pas (ou de peu) de ressources naturelles valorisables pour financer l’ensemble des besoins exprimés. Dès lors, les coopérations au sein des espaces régionaux deviennent indispensables. Quatre espaces sont ouverts : l’Afrique occidentale autour de la CEDEAO (Communauté Économique des Etats de l'Afrique Occidentale), l’Afrique centrale ayant pour noyau la CEEAC (Communauté Économique des États de l'Afrique Centrale), l’Afrique australe qui se développe à partir de la SADC (Southern African Development Community) et l’Afrique orientale qui organise son développement et sa puissance à partir de l’EAC (East African Community). Dirigeants, vous avez des indications sur les ambitions, des projets sectoriels à mettre en œuvre, des objectifs annuels à atteindre et des actions spécifiques à mener. Nous, les peuples, attendons des résultats. Avant de proclamer que les pays sont "émergents", demandez aux peuples si les besoins vitaux et fondamentaux sont déjà satisfaits.
Un état des lieux en 2016 et des objectifs pour 2025, pour chacun des 54 pays du continent, été proposé dans La Relance de l'Afrique, ouvrage paru en décembre 2017, et qui actualise les données pour 2016.

Emmanuel Nkunzumwami
Analyste économique et politique
Auteur de « Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation », et de « La Relance de l'Afrique ». Éditions L'Harmattan, Paris, 013.