Plusieurs formations et groupements de formations politiques ont concouru aux élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Les groupes et partis politiques qui émergent sont alors les partis soutenant le président de la République, Emmanuel Macron, au sein de la coalition Ensemble ! arrivée en tête, suivie par la coalition de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES), le Rassemblement National (RN), Les Républicains (LR) et Reconquête (R !) pour les résultats supérieurs à 1%. La compétition pour disposer de la majorité à l'Assemblée nationale est ouverte entre Ensemble ! et NUPES. 

     Le groupe Ensemble ! regroupant la République en Marche (LREM) -rebaptisé Renaissance pour le second quinquennat du président Emmanuel Macron, le MoDem, Horizon, Agir, et ayant recruté de nouveaux « marcheurs » chez "Les Républicains" et chez les "Socialistes" pour constituer la majorité présidentielle, est clairement en concurrence frontale avec la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES), regroupant le reste des Socialistes, les Communistes, les Écologistes dans leurs différentes nuances, derrière Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France Insoumise (LFI). Autant dire que Jean-Luc Mélenchon s’est réservé son troisième tour de rattrapage après l’élection présidentielle, car il a été privé du tête-à-tête du second tour réservé aux deux candidats arrivés en tête de cette élection, le président Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mais, cette dernière, malgré ses contre-performances lors du débat de l’entre-deux-tours de cette présidentielle, a réussi à remobiliser ses électeurs pour les élections législatives. Aussi, en agrégeant tous les résultats du premier tour par groupe de formations politiques au niveau national, le mouvement Ensemble ! s’adjuge 25,75% des suffrages exprimés au 1er tour, devant la NUPES avec 25,66%. Ils sont proches de l'équilibre des forces dans le pays.

     Le Rassemblement National, en tant que parti unitaire, devient le réel principal parti de l’opposition, avec un score de 18,7% au 1er tour des législatives. Sur le plan national, les autres partis sont totalement affaiblis. Les Républicains, ancien parti au pouvoir entre 2007 et 2012 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ne parvient pas à se relever. Après un modeste score inférieur à 5% à la présidentielle, il parvient à doubler à peine le score avec 10,4% aux législatives. Il ne peut donc pas constituer une force d’opposition crédible et menaçante pour le pouvoir d’Emmanuel Macron à l’Assemblée nationale. La nouvelle vague des Souverainistes conduite par Eric Zemmour effectue un mouvement inverse des Républicains, car il descend de 7,1% à la présidentielle pour tomber à 4,2% aux législatives. De plus, aucun candidat de cette nouvelle formation ne parvient à se qualifier pour le second tour. Il ne pourra s’exprimer que hors de l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Les autres formatons politiques s’affichent sous la barre de 1%.

     En dehors des Abstentionnistes qui forment le plus gros contingent de plus de 50% dans toute la France -mais ils n’avantagent aucune formation politique dans ces élections-, le match de la victoire pour former une majorité à l’Assemblée nationale ne peut se jouer qu’entre le groupe Ensemble ! derrière le président de la République, Emmanuel Macron, et le groupe NUPES, mené par Jean-Luc Mélenchon.
Avec 25,66% au premier tour et déjà 4 députés élus dès le 1er tour, la NUPES va devoir se battre pour réunir au moins 285 députés pour atteindre la majorité absolue dans l’hémicycle. Ses candidats sont présents au second tour dans 400 circonscriptions, desquelles devrait sortir cette majorité souhaitée par cette gauche composite. Il convient de rappeler que pour gagner dès le 1er tour aux législatives en France, il faut réunir plus de 50% des suffrages exprimés, avec au moins 25% des électeurs inscrits dans la circonscription. Ainsi, Mesdames Chikirou, Legrain et Obono, ainsi que Monsieur Corbière, ont réussi cette performance pour la NUPES. Se qualifient ensuite pour le second tour, les candidats arrivés immédiatement derrière celui ou celle arrivé(e) en tête au 1er tour. Il ne peut y avoir de triangulaire (trois candidats au second tour) ou de quadrangulaire (quatre candidats au second tour) que si chacun a obtenu son score avec au moins 12,5% des électeurs inscrits sur les listes électorales de la circonscription. Aussi, les triangulaires sont rares, en raison notamment du très faible taux de participation (peu d’électeurs inscrits sont allés voter). L’on constate que la NUPES est plutôt implantée dans les agglomérations, sur les anciens bastions de la gauche socialiste ou communiste, dans toute la France.

     Les mêmes contraintes s’imposent au groupe Ensemble ! qui a totalisé 25,75% des suffrages exprimés. Le groupe n’a réussi qu’une performance d’un député élu au 1er tour : Monsieur Favennec, dans le département de la Mayenne. Cependant, comme la NUPES, Ensemble ! doit réunir 288 autres députés pour atteindre la majorité absolue à l’Assemblée. Il dispose également d’une réserve de 400 candidats qualifiés pour le second tour. L’équation n’est donc pas simple pour la NUPES comme pour Ensemble ! pour réunir une majorité absolue, mais elle n’est pas insoluble. Ensemble ! est également implanté dans les anciens bastions des partis du Centre et de la Droite, avec quelques rares concessions socialistes des grandes villes des provinces, notamment sur la façade Atlantique, les grandes agglomérations des côtes méditerranéennes et en Île-de-France. La compétition est alors ouverte entre ces deux groupes de partis, pour réunir la majorité absolue à l’Assemblée nationale.

     Le Rassemblement national réussit toujours une performance progressive et continue au 1er tour à toutes les élections depuis l’élection présidentielle de 2012, lorsque Marine Le Pen s’est hissée à la troisième place. Elle avait alors contribué à l'arbitrage de la victoire entre le président sortant Nicolas Sarkozy et François Hollande. Depuis cette élection, toutes les formations politiques l’attendent au 1er tour, pour appeler à lui barrer la route de la victoire au second tour. Dans les élections au scrutin proportionnel (élections municipales, élections régionales), le Rassemblement national est parvenu à atteindre le seuil de la victoire avec une majorité relative. En effet, en cas de triangulaire ou quadrangulaire, le parti arrivé en tête au second tour obtient un bonus, une prime majoritaire de 25% des suffrages exprimés, auquel s’ajoute la part proportionnelle à son score calculée sur les 75% restants, répartis aux listes ayant obtenu au moins 5%. Par le mécanisme de la proportionnelle, il aurait gagné les élections régionales dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes Côte d’Azur aux élections régionales de décembre 2015, si la gauche n’avait pas été contrainte de se retirer du second tour, et appeler ses électeurs à unir leurs voix avec celles de la droite et du centre pour battre ce parti. Néanmoins, le RN a réussi à placer quelques conseillers départementaux en 2015, notamment dans les Hauts-de-France, et quelques députés à l’Assemblée nationale en 2017, malgré le scrutin uninominal (ou binominal pour les départementales). La situation se retrouve à l’identique pour les élections législatives des 12 et 19 juin 2022, à la différence qu'il s'agit d'un siège unique de député à attribuer au candidat arrivé en tête au second tour.

     Dans les résultats nationaux, le Rassemblement national totalise 18,7% des suffrages exprimés en faveur de ses candidats. Aucun candidat de ce parti n’a gagné son siège à l’Assemblée nationale dès le 1er tour. Cependant, ses candidats sont qualifiés pour le second tour dans 200 circonscriptions, soit le double de 2017. Évincé dans les grandes agglomérations, bastions naturels de la gauche (Lille, Paris, Grenoble, Lyon, etc.) ou des coalitions des partis centristes et de la droite, le RN se replie sur des territoires ruraux et des territoires à fortes difficultés économiques et sociales structurelles en provinces. En Île-de-France, on retrouve la sociologie électorale favorable au RN dans les territoires de la périphérie à dominante rurale, notamment en Seine-et-Marne où deux candidats RN sont arrivés en tête dans deux circonscriptions sur onze. Ailleurs en France, les candidats du RN se sont classés en tête ou en deuxième position dans 200 circonscriptions sur les 577 que compte le pays.

     La France s’est progressivement habituée à la normalisation du discours, des slogans et du positionnement idéologique du Rassemblement National (RN). Elle s’y est tellement installée qu’un nouveau parti politique, Reconquête ! a construit une surenchère par rapport aux positions du RN considérées comme timides sur les questions identitaires et de xénophobie. De même, depuis 2007, le candidat Nicolas Sarkozy avait lancé la course en créant un ministère de l’identité nationale, sans toutefois définir les composantes et les contours de cette identité. Les éléments concrets qui en étaient sortis furent la création de l’Islam de France, à travers le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) et « la loi dite Copée » sur la pénalisation du port des signes religieux ostentatoires dans l’espace public (voile islamique). La ligne de démarcation de l’identité prend alors forme, entre les religions anciennes de la France Judéo-chrétienne et les religions nouvelles, tel que l’Islam. Cependant, il ne faut pas oublier que la France n’a pas toujours assumé cette identité religieuse. Les huit guerres de religion où les Protestants on été sauvagement massacrés par les Catholiques, encouragés par le Pape et les pouvoirs monarchiques dès le début du XVIe siècle, ainsi que la rafle des Juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas très lointains dans l'Histoire. Aussi, la « droite dure », le Rassemblement National et Reconquête ! se retrouvent sur cette nouvelle ligne de démarcation religieuse. Les deux derniers l’assument et en font un axe de combat identitaire. En filigrane, l’identité française devient « chrétienne, blanche et européenne ». Et pour la préserver, un slogan est ouvertement construit : la lutte contre l’immigration. Il est sous-entendu que cette immigration combattue est d’origine africaine subsaharienne et arabo-musulmane. La couleur de peau noire et la pratique de l’Islam définissent désormais les groupes rejetés derrière la frontière de l’identité nationale. Néanmoins, les tenants de cette ligne de démarcation oublient rapidement que plus de deux millions de Français habitent dans les départements et territoires français de l’Outre-mer, parmi lesquels le département de Mayotte de culture dominante islamique. D’autre part, les enfants et petits-enfants des parents issus de l’immigration africaine ancienne sont intégrés au sein de leur pays de naissance et de vie qui est la France. Porter des prénoms rappelant les pays d’origine de leurs ancêtres n’en font pas des « Étrangers » dans leur pays, la France. Les échecs de l’intégration ne sont pas imputables aux seuls parents, mais aussi à tous les mécanismes ouverts ou subtils des discriminations dont ils font l’objet. Si nous refusons l’alimentation à une personne, ne nous étonnons pas ensuite en constatant qu’elle a faim, et qu’en conséquence elle manifeste une forte envie de l’apaiser en déployant sa dernière énergie pour se nourrir. Pour résoudre un problème, quelle qu’en soit sa nature, il faut d’abord le comprendre. Et s’il est complexe, il faut d’abord le décomposer en ses parties constitutives.

     Néanmoins, le discours identitaire étant banalisé, et compte tenu des difficultés économiques, sociales et même culturelles dans lesquelles se débattent de nombreux Français, la facilité offerte est de se jeter pieds et mains joints dans les bras des idéologues identitaires. Il n’y a pas de mauvais électeurs a priori.  La technique du bouc-émissaire fonctionne : nos problèmes sont apportés par les Étrangers arabo-musulmans et noirs africains. Mais, l’immigration européenne nous convient très bien : la guerre entre la Russie et l’Ukraine devient une aubaine pour recevoir les « migrants Ukrainiens, blancs comme nous, bien éduqués, roulant dans les mêmes voitures que nous et dont nous pourrons tirer profit ». Ce sont des intellectuels français, de la droite et du centre, acquis au libéralisme, qui s’expriment ainsi. Pour les autres origines des migrations, nous devons être désormais intraitables et fermes. Il faut « une immigration zéro ». Le discours est simpliste, la cible est toute trouvée et les candidats n’ont plus qu’à puiser à cette source pour nourrir leurs campagnes électorales. Aucune allusion n’est faite sur les 3,383 millions de Français qui votent en dehors de la métropole et la Corse, et leurs familles, dont 1,428 million d’électeurs français établis hors de France, à l’étranger. Soit environ cinq millions de Français vivant à l’étranger, hors territoires d’Outre-mer. Ne seraient-ils pas aussi des « migrants Français » vivant dans ces pays ? Oublions-nous que notre économie nationale est alimentée par des pays dont sont originaires de nombreux Étrangers qui sont établis en France ? Mais, les adeptes de l’identité « blanche et européenne » de la France, qui demandent l’expulsion de tous les Étrangers de France et un cordon sanitaire anti-immigration parviennent à manipuler les électeurs. Le score important du Rassemblement National en atteste l’ampleur. Dans cette étude, l’on ne considère pas du tout que les électeurs installés dans leurs territoires, soient des racistes, des xénophobes, des islamophobes, des identitaires et des communautaristes intolérants. Nous le savons tous très bien. La très forte majorité se réfugient au Rassemblement National espérant trouver des solutions à leurs problèmes du quotidien, à leur mal-être et à la quête de sens pour leur vie. Ils ont essayé les dirigeants de la gauche et de la droite depuis plus de quarante années, et les problèmes ne font que s’amonceler sur eux et autour d’eux. Alors, ils croient bien faire en tournant leurs regards vers le Rassemblement National. Les candidats de ce parti ont compris la demande politique, économique, sociale et culturelle des Français. Ils construisent un kit de communication politique générique pour attirer ces électeurs.

     Nous avons rapidement recherché, pour les résultats du premier tour des élections législatives du 12 juin 2022, quelques départements et leurs circonscriptions où les candidats du Rassemblement national sont arrivés en tête du scrutin.

     En Île-de-France, seul le département de la Seine-et-Marne connaît une forte implantation du Rassemblement national telle que deux circonscriptions sur onze enregistrent les performances de ce parti. La coalition de la NUPES est néanmoins la mieux implantée dans ce département où elle domine le scrutin dans sept circonscriptions. Cette coalition domine également dans Paris (12 circonscriptions sur 18), en Seine-Saint-Denis (12/12), dans le Val-de-Marne (8/11), l’Essonne (8/10) et le Val-d’Oise (8/10). La coalition Ensemble ! de la majorité présidentielle ne s’impose que dans les Hauts-de-Seine (10/13) et dans les Yvelines (11/12), soit 26,6% des électeurs inscrits dans cette région. L’on voit bien que la victoire de la majorité présidentielle, autour du président Emmanuel Macron, est compromise en Île-de-France.

Le tableau ci-dessous synthétise cette situation en Île-de-France

     Dans les provinces, le Rassemblement National (RN) s’impose dans plusieurs départements. L’on peut constater que les candidats de ce parti se sont imposés en tête de scrutin dans les circonscriptions du Pas-de-Calais (9/12), dans l’Oise (4/7), en Moselle (5/9), dans le Vaucluse (3/5), le Var (5/8), dans le Gard (4/6), dans la Somme (3/5), dans les Bouches-du-Rhône (6/16), et surtout dans l’Eure (5/5) ou dans les Pyrénées-Orientales (4/4). Ils ont atteint le rapport de force identique à celui de la coalition Ensemble ! dans le département du Nord (7/21), le plus peuplé de France, et dans le Loiret (3/6).  

Le tableau suivant synthétise les situations dans les circonscriptions de quelques départements de la France métropolitaine.

 Dans cet échantillon de 12,803 millions délecteurs inscrits dans 148 circonscriptions, le groupe Ensemble ! domine relativement dans des circonscriptions représentant 25% de ces électeurs, la NUPES convainc dans celles pesant 9% seulement, alors que le RN séduit dans celles qui en totalisent 69%. Mais, cela ne signifie pas quil gagnera dans ces circonscriptions, en raison notamment des appels à lui barrer la victoire. Ce sont les circonscriptions où les candidats sont arrivés en tête du scrutin au 1er tour des élections législatives du 12 juin 2022.      

     Il ressort de cette rapide étude comparative de notre échantillon en provinces, que la majorité présidentielle ne parvient à s’imposer que dans le département de la Marne (3/5), alors que NUPES marque des points en Dordogne (3/4) et dans l’Hérault (4/9). Dans les deux départements très peuplés du Nord et des Bouches-du-Rhône, les forces semblent s'équilibrer entre ces deux coalitions, comme cela apparaît également au niveau national. Le Rassemblement National, malgré sa performance remarquée à ces élections législatives, et Les Républicains ne pourront que former des groupes minoritaires à lAssemblée nationale.

     Dans de nombreuses circonscriptions, les candidats du Rassemblement National (RN) sont finalistes au second tour, soit 200 circonscriptions au total. Ils sont en tête ou se sont classés en deuxième position, face aux coalitions NUPES et Ensemble ! qui totalisent chacune 400 circonscriptions pour le second tour du 19 juin 2022. Cependant, les dirigeants et les concurrents de la gauche, du centre et de la droite appelleront à barrer la route de la victoire des candidats du RN, comme à chaque élection lorsque les candidats du Rassemblement National parviennent au second tour. Néanmoins, aussi longtemps que les problèmes de fond ne seront pas résolus pour le quotidien des Français, les partis de l’idéologie identitaire et du souverainisme populiste continueront d’imprimer le rythme et imposer des positions politiques dans des élections en France. Et les dirigeants français confrontés à la conquête de ce parti réduiront leurs programmes à la lutte contre le Rassemblement National. Ce cercle vicieux  « alimente le vote contre » qui sest durablement installé dans le pays : on choisit les élus selon les proximités politiques en sidentifiant aux candidats au premier tour, et on élimine pour faire bloc contre les extrémistes au second tour. 

Emmanuel Nkunzumwami
Analyste économique et politique
Ecrivain-Essayiste

 

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