Les Souverainistes, dominés par le Rassemblement national (RN), totalisent 28,6% aux élections européennes du 26/05/2019. Ils dépassent les projections estimées à 28% lors de l'élection présidentielle du 24/04/2017. Nous livrons une lecture lucide des résultats de ces élections européennes.

Les élections européennes ont eu lieu ce dimanche 26/05/2019. Les résultats définitifs sont publiés ce lundi 27/05/2019 par le ministère de l'Intérieur.
     De nombreux analystes tentent de convaincre les électeurs que rien n'est perdu, même si le Rassemblement national (ex-Front national) arrive en tête d'une courte tête devant la liste de la République en Marche. La réalité est toute autre.

1- Parce que comparer les résultats des élections européennes du 25 mai 2014 et celle su 26/05/2019, c'est oublier que l'espace politique français a été transformé, avec une nouvelle redistribution du jeu depuis l'élection du président Emmanuel Macron. Depuis "l'affaire François Fillon" et la chute de l'Union de la droite et du centre dès mars 2017, la redistribution des électeurs de la droite et du centre a changé. Ensuite, le rejet du parti Socialiste par ses électeurs dès le premier tour de l'élection présidentielle du 24/04/2017, avec un piètre score de 6,36% pour Benoît Hamon, représentant du Parti socialiste à cette élection, a bousculé les électeurs de la gauche de gouvernement vers La France insoumise et les Écologistes, quand ils ne rejoignaient pas le mouvement En Marche ! d'Emmanuel Macron.

2- Parce que le Mouvement En Marche ! est entré dans le paysage politique, absorbant les électeurs de la droite contre François Fillon, et les électeurs du Parti socialiste contre Benoît Hamon. C'est ce mouvement, La République en Marche (LREM), qui rassemble les tendances centre-gauche, centre et centre-droit, qui est désormais le pivot et le refuge politique en France, le concurrent frontal des Souverainistes, éclatés en quatre familles au lieu de trois lors de la présidentielle de 2017.

3- Parce que les "Gilets Jaunes" ont relancé et prolongé le débat du second tour de l'élection présidentielle de mai 2017, avec une composante de la violence inacceptable mais réelle, pour remettre au centre des préoccupations des Français des enjeux du pouvoir d'achat, de la redistribution des revenus, de l'usage de notre démocratie, de l'avenir de la construction européenne et des relations internationales, notamment avec l'Afrique. La campagne des élections européennes a donc bien commencé le 17 novembre 2018, avec les premières manifestations des "Gilets Jaunes" en France.

4- Parce que le taux de participation ne réduit pas l'audience des Souverainistes dans des élections en France, comme nous avons pu le constater dans nos recherches et publications de 2016 et 2017. Les électeurs sont aujourd'hui bien implantés et disséminés dans tout le corps électoral du pays. Aussi, les scores d'avril 2017 sont comparables à ceux de mai 2019. La participation ne réduit que le nombre nominal d'électeurs, plus importants à l'élection présidentielle. Enfin, l'offre suffisamment large de 34 listes de candidats aux européennes du 26/05/2019, avait donné l'occasion à l'ensemble des 50,1% du corps électoral participant à ce scrutin, d'effectuer des choix selon les sensibilités et les préférences des électeurs.

Les résultats de ces élections sont alors comparables à ceux du premier tour de l'élection présidentielle du 24 avril 2017, afin de comprendre ce que devient la nouvelle France, depuis la chute des anciens partis de gouvernement de la droite et de la gauche.


En voici donc une lecture lucide (*).
La gauche française est éparpillée au Parlement européen entre Europe Écologie Les Verts (EELV) (avec 13,5% et 12 sièges), La France Insoumise (LFI) (avec 6,3% et 6 sièges) et le Parti socialiste - Place publique (6,2% et 5 sièges), totalisant en gros l'équivalent du Rassemblement national (23,3% et 22 sièges), grand vainqueur de ces élections. L'ensemble de la droite et du centre (Les Républicains (LR)+Les Centristes (LC)+Union des démocrates et des Indépendants (UDI)), est passé de 20,0% (score de François Fillon au 1er tour de la présidentielle) à 10,9%, deux ans seulement après cette élection présidentielle. Les Républicains et leurs alliés, Les Centristes et l'UDI, voient ainsi leur audience sérieusement réduite. Ils ne totalisent que 8 sièges au Parlement européen, moins que les Écologistes. Cette forte chute interroge sur les alliances dans les prochains scrutins, aux élections municipales de 2020, aux départementales et aux régionales de 2021, avant de relancer la campagne décisive de la présidentielle du 23 avril 2022.
Mais, le courant porteur de la majorité présidentielle n'a pas non plus réussi à maintenir son attractivité auprès des électeurs. La liste de La République en Marche (LREM) avec ses alliés MoDem, Le Mouvement Radical et Agir, passe de 24,0% (le score d'Emmanuel Macron au premier tour de l'élection présidentielle du 24/04/2017) à 22,4% aux élections européennes, avec 21 sièges au Parlement européen. Même si ce nombre de sièges au Parlement européen est presque équivalent à celui du seul Rassemblement national (22 sièges), on ne peut pas parler de succès éclatant, dès lors qu'il s'agit d'une coalition de 4 partis politiques contre le seul RN. L'on pourrait même arguer que les alliés de LREM pourraient peser 20% dans ce score de Renaissance, soit environ 4,5%, pour réduire LREM à 17,9%. Cela ramènerait le résultat pour la LREM seule à près de 5,4 points derrière le RN. Cependant, même avec ce score, la LREM serait en deuxième position, loin devant les Écologistes. Il devra y avoir quelques ajustements de la stratégie électorale pour les prochains scrutins, afin de relever le score national moyen au-delà de 25% au premier tour. Enfin, nous avions indiqué dans nos projections antérieures de 2016 et début 2017, à partir des analyses des dynamiques électorales nationales de 2010 à 2015, une audience de 28% pour l'ensemble des courants souverainistes à l'élection présidentielle d'avril 2017, portant ainsi Marine Le Pen au second tour de cette élection. Elle est bien parvenue au second tour, mais avec un score cumulé de 26,9% pour les Souverainistes (soit près d'un point seulement au dessous de nos projections). Aujourd'hui, la même dynamique électorale qui porte les Souverainistes, aidés certes par des revendications appuyées par les "Gilets Jaunes" et le décrochage des Retraités ayant voté pour Emmanuel Macron, pousse l'audience des Souverainistes au-delà de nos projections de 28% :
ils atteignent désormais 28,6% aux élections européennes, et deviennent les principaux gagnants des élections européennes du 26/05/2019. Que mes amis ne me retrouvent pas encore en "prophète" ; ce sont les tendances statistiques qui rejoignent des réalités en France. Et ces réalités se sont développées également dans de très nombreux pays européens ; les souverainistes s'installent au cœur des débats sur l'avenir des nations et de l'Europe.


     Dans les régions où le Front national s'était imposé lors des élections régionales du 6 décembre 2015, et où il a été bloqué par le retrait de la gauche et le report de celle-ci sur les listes de l'Union de la droite et du centre dans la course vers la victoire au second tour, le Rassemblement national arrive très largement en tête aux élections européennes. L'Union de la droite et du centre est la plus grande perdante, parmi les grandes formations politiques nationales : Les Républicains (LR) et Les Centristes. L'Union des Démocrates et des Indépendants (UDI) est réduite à une audience confidentielle. Depuis l'élection présidentielle de 2012, élection après élection, c'était le Front national (FN) et aujourd'hui le Rassemblement national (RN) qui rythme et clive les élections en France. Les partis se positionnement par rapport à ce parti, et par rapport à ses discours et son idéologie. Il s'est très largement implanté sur l'ensemble du territoire national. Les évolutions de la sociologie électorale française sont analysées dans six ouvrages, tous édités chez L'Harmattan : La montée de l'extrême droite en France (2012), La conquête de l'extrême droite en France (2014), La France inquiète face à son avenir (2016), Le Nord face au danger populiste (2016), La diversité des électeurs de l'Île de France (2016) et Les enjeux électoraux de Paris et la grande couronne (2017). Ils sont tous disponibles en librairies en France, en Europe et à l'international.

Listes aux élections européennes Hauts-de-France PACA Grand-Est
RN (ex-FN) 33,5 30,5 28,2
Ensemble Souverainistes 39,3 36,1 35,2
LREM et alliés 17,9 20,4 20,2
EELV (Écologistes) 10,3 11,7 11,9
LFI (France insoumise) 7,1 5,8 5,1
LR et Les Centristes 6,5 8,8 8,6
LR, Les Centristes et UDI 9,0 10,6 11,3

Dans ces trois régions où le FN a failli gagner les régionales en 2015, il est toujours en tête du scrutin des européennes du 26/05/2019. La France Insoumise est en compétition avec l'Union de la droite et du centre, sous la barre des 10%, loin derrière les Écologistes. Ces derniers, détachés de l'Union de la gauche, s'adjugent seuls un score supérieur à celui de l'Union de la droite et du centre (LR, Les Centristes et l'UDI), plus particulièrement dans les régions des Hauts-de-France et de Provence-Alpes Côte d'Azur. Il est tout à fait remarquable de constater un très important écart entre l'ensemble des Souverainistes et l'ensemble de la droite et du centre, dans les trois régions : 39,3% contre 9,0% dans les Hauts-de-France (et même 39,3% contre 26,9%  pour l'ensemble de la droite, du centre et LREM et ses alliés). Le même constat en Provence-Alpes Côte d'Azur (PACA), avec 36,1% contre 31,0% pour l'ensemble de la droite, du centre, et de LREM avec ses alliés. Il en est de même dans la région du Grand-Est, avec 35,2% pour les souverainistes contre 31,5% pour l'ensemble LR, Les Centristes, l'UDI, LREM et ses trois alliés (MoDem, Agir, Mouvement Radical). Vous remarquez également que, dans la Région des Hauts-de-France, le Rassemblement national seul (33,5%) réalise un score de loin  supérieur au total des listes l'Union de la droite et du centre (LR, LC, UDI), et la lsite LREM (REM, MoDem, Agir et Mouvement Radical) réunis (26,9%). Dans les trois régions, après avoir asséché la gauche radicale depuis les élections antérieures, le Rassemblement national a donc bien puisé ses électeurs dans l'électorat de la droite et du centre. C'est dans les Hauts-de-France (le Nord de la France) que ces transferts d'électeurs sont encore les plus marqués, comme cela avait été constaté et finement analysé avant l'élection présidentielle de 2017, dans le livre La France inquiète face à son avenir (Ed. L'Harmattan, 2016) et dans l'ouvrage ci-dessous.


     En France, et surtout dans l'ensemble des régions indiquées et des départements où le Rassemblement national (ex-FN) est arrivé en tête des scrutins depuis les élections départementales du 22 mars 2015, le match est désormais ouvert entre deux forces politiques concurrentes arrivées en tête : le Rassemblement national (RN) et le Mouvement autour de La République en Marche (LREM) et ses alliés, avec quelques forces d'appoint qu'elles pourront puiser chacune dans l'Union de la droite et du centre, et au sein d'Europe Écologie Les Verts (EELV). Quant à La France Insoumise, elle est insoluble dans aucune de ces deux forces principales. Le prochain rendez-vous est fixé au soir du premier tour des élections municipales du 22 mars 2020. Les grandes batailles électorales sont donc lancées, avec des rendez-vous annuels pour les élections municipales de mars 2020, les départementales et les régionales de mars 2021, et le match final de l'élection présidentielle en avril 2022. Il faudra sortir des propos convenus du type : "l'objectif est de combattre les idées du Rassemblement national" qui n'ont pas réussi aux leaders du Parti socialiste et des Républicains. Combattre les idées, et même les personnes d'un parti, ne fait pas un contenu d'un programme politique pour le pays. Il ne faudrait pas oublier que les électeurs du Rassemblement national et ceux d'Europe Écologie Les Verts sont également des citoyens français, tout aussi respectables que les autres électeurs. Leurs votes sont bien des messages forts et expriment des attentes que les autres leaders politiques devront entendre pour leur proposer des réponses claires, s'ils veulent les conquérir. On ne mène pas des campagnes électorales contre des personnes, mais pour des ambitions et des projets d'avenir qui font sens pour les citoyens.
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(*)
: le nombre de sièges avant la sortie du Royaume-Uni est de 22 pour le RN, 21 pour LREM, 12 pour EELV, 8 pour LR, 6 pour LFI et 5 pour PS-Place publique. Après la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (si elle a bien lieu !), il y aura une redistribution de sièges du Parlement, passant de 751 actuels à 705. La France gagnera 5 sièges au profit de RN (+1 siège), LREM (+2 sièges), EEL (+1 siège) et PS-Place publique (+1 siège).

Emmanuel Nkunzumwami
Écrivain - Essayiste

Emmanuel Nkunzumwami est auteur de dix essais sur l'économie internationale comparée (l'Afrique et le reste du monde) et les évolutions de la sociologie électorale française. Tous les ouvrages sont disponibles dans toutes les grandes librairies en France, en Europe, aux États-Unis et à l'international, comme sur des sites marchands (amazon, fnac, le furet du Nord, Martelle, etc.), ainsi que dans des bibliothèques des grandes universités dans le monde.

Emmanuel Nkunzumwami : interview et réaction dans la presse à Paris, le 30 mai 2015, après la création du parti Les Républicains.

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