Les élections régionales des 6 et 13 décembre 2015 ont montré la capacité du Front national à imposer son rythme et à exercer une forte pression sur le paysage électoral en France. Ce n'est pas l'exercice de la démocratie qui est interrogé, mais les pratiques politiques et les rentes dont se nourrissent une grande partie des élus, en décalage complet avec la vie réelle des citoyens. La crise longue, économique et sociale, s'est installée, mais les pratiques du pouvoir se sont maintenues. Le pays va devoir revoir ses pratiques politiques, sa gestion publique et l'exigence des résultats à ses élus, depuis les collectivités communales jusqu’à ses parlementaires habitués à produire les textes de lois par empilement sans que la Nation se soucie de leur applicabilité, leur mise en œuvre effective et le véritable maquis judiciaire qu'ils provoquent.

       C'est dans ce contexte, d’élargissement croissant de la fracture entre les « grands élus » et les dirigeants politiques « professionnels » fonctionnarisés, d’une part, et les citoyens, d'autre part, que le Front national s'impose de plus en plus comme la principale alternative. Nous ne livrons pas les résultats comme un militant politique, mais comme un chercheur et un observateur depuis plus de dix ans sur les mutations dans la sociologie électorale en France.

       Sur les treize nouvelles régions de la France métropolitaine, nous considérons six grandes régions. Dans les deux régions soumises au « référendum contraint » du vote « Pour ou Contre le Front national », le Front national s'était imposé comme première force électorale dans tous les cinq départements du Nord-Pas-de-Calais-Picardie et dans cinq des six départements de la Provence-Alpes-Côte d'Azur (sauf dans les Alpes-Maritimes). Mais, il s’est également imposé comme la première force dans le Vaucluse au 2e tour face à l'Union de la droite, avec 51,3%.

1. Le Front national a franchi le palier de 40% des suffrages exprimés.

La situation est résumée dans les tableaux qui suivent.

      - Dans la nouvelle région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, le Front national a dominé le 1er tour des élections régionales dans tous les départements.

 

 

Nord-Pas-de-Calais-Picardie

Départements

Résultats du 1er tour

Aisne

43,6%

Nord

37,0%

Oise

42,1%

Pas-de-Calais

44,4%

Somme

41,0%

       L’on constate que le Front national a largement dépassé 40% au 1er tour dans quatre départements sur les cinq qui constituent la nouvelle région. Ces résultats interrogent sur les nouvelles mutations électorales dans cette région et la responsabilité des politiques, autant sur le plan régional que sur l’impératif des résultats sur le plan national.

       - Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Front national s’est imposé dans cinq départements au-delà de 40% dans le Var et le Vaucluse, au 1er tour. Mais, il a également dominé les élections face à l’Union de la droite et du centre dans le Vaucluse au 2e tour.

 

 

 

Provence-Alpes-Côte d’Azur

Départements

Résultats du 1er tour

Alpes-Haute-Provence

34,9%

Hautes-Alpes

32,6%

Bouches-du-Rhône

39,9%

Var

44,6%

Vaucluse

44,2%

 

       - Dans la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, le Front national s'est imposé dans neuf sur les dix départements de cette nouvelle région au 1er tour (sauf dans le Bas-Rhin dont le chef-lieu de Strasbourg est le symbole de l'ouverture sur l'Europe). Le Front national a poursuivi sa domination au 2e tour dans la Haute-Marne et la Meuse face à la gauche et à l'Union de la droite.

 

 

 

 

Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine

Départements

Résultats du 1er tour

Ardennes

38,5%

Aube

40,4%

Marne

37,3%

Haute-Marne

42,2%

Meurthe-et-Moselle

34,9%

Meuse

40,4%

Moselle

38,9%

Haut-Rhin

34,7%

Vosges

37,2%

        Dans cette nouvelle région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, le Front national s’est donc imposé dans neuf des dix départements avec des scores supérieurs à 40% dans la Meuse, l’Aube et la Haute-Marne. Il s’est encore imposé devant la gauche et l’Union de la droite, malgré les appels à lui faire barrage, dans la Meuse (40,5%) et la Haute-Marne (42,3%).

       - Dans la nouvelle région de Bourgogne-Franche-Comté, le Front national s'est imposé dans sept sur les huit départements de cette région (sauf dans la Côte d’Or).

 

 

 

Bourgogne- Franche-Comté

Départements

Résultats du 1er tour

Doubs

31,7%

Jura

29,9%

Nièvre

31,4%

Haute-Saône

37,4%

Saône-et-Loire

29,0%

Yonne

36,2%

Territoire de Belfort

34,8%

       Dans cette nouvelle région, le Front national s’est également imposé devant l’Union de la gauche et l’Union de la droite dans les départements de Haute-Saône (38,5%), l’Yonne (37,6%) et du Territoire de Belfort (35,3%). Il convient de constater que sur ces sept départements où le Front national a dominé le 1er tour des élections régionales, ce dernier avait déjà dépassé plus du tiers des suffrages exprimés dans la Haute-Saône (37,4%), l’Yonne (36,2%) et le Territoire de Belfort (34,8%). Les propos sur « l’inégalité des races » de Sophie Montel lors des élections législatives partielle, unanimement condamnés par toute la classe politique, n’ont pas empêché cette personne de prendre la tête de liste du Front national et de s’imposer lors des deux tours du scrutin dans ces trois départements sur les huit départements que compte la Bourgogne-Franche-Comté.

       - Dans la nouvelle région méridionale regroupant le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, le Front national s’est imposé dans six sur les treize départements de la région au 1er tour. Mais, il a poursuivi sa domination au 2e tour dans le Gard et les Pyrénées-Orientales.

 

 

 

Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées

Départements

Résultats du 1er tour

Aude

37,1%

Gard

40,6%

Hérault

35,9%

Pyrénées-Orientales

44,0%

Tarn

30,8%

Tarn-et-Garonne

35,7%

       L’on observe que le Front national s’impose au-delà du tiers des suffrages exprimés dans presque tous les départements (à l’exception du Tarn). Ensuite, il poursuit sa domination au 2e tour dans les départements du Gard (42,6%) et les Pyrénées-Orientales (44,0%). Depuis l’élection présidentielle du 22 avril 2012, le Front national progresse régulièrement dans ces deux départements.

       - Enfin, dans le Centre-Val de Loire, le Front national s’est imposé au 1er tour dans six des sept départements de cette région comme l’indique le tableau suivant :

 

 

 

Centre-Val de Loire

Départements

Résultats du 1er tour

Loir-et-Cher

32,4%

Cher

31,8%

Eure-et-Loir

32,0%

Indre

30,2%

Loir-et-Cher

32,3%

Loiret

31,9%

       Ces résultats qui ont poussé deux des treize régions à passer en mode « référendum contraint » sous la pression du Front national au 2e tour, interrogent sur l’ambiguïté du statut que la France donne au Front national. Soit la France considère que ce parti est un parti légal et légitime dans son positionnement sur l’échiquier politique, prônant le « souverainisme et le patriotisme économique », et elle doit accepter qu’il concourt démocratiquement à l’exercice du pouvoir par le suffrage universel. Mais dans ce cas, l’Etat ne devrait pas déployer tous les moyens de la Nation, y compris en sacrifiant une famille politique entière de la gauche, pour lui interdire l’accès à la victoire ; ou alors il devrait lui imposer un positionnement jugé acceptable ou même l’interdire juridiquement, si l’on pense qu’il peut nuire à la France. Néanmoins, si la liberté d’expression et d'opinion est garantie, et dès lors que le parti n’encourage pas expressément le recours à la haine, à la violence armée, au trouble à l’ordre public et l’atteinte à la souveraineté nationale et à la dignité humaine, il serait juridiquement difficile de l’interdire. Dès lors, ce ne sont ni les électeurs, ni le parti Front national qu’il faut vilipender ; mais ce sont les politiques et le dirigeants qui devraient s’interroger sur le modèle politique et social dans le pays, ainsi que sur l'intégration citoyenne d'une partie des Français qui s'en sentent exclus. Lorsque les proportions de 67,3% dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie et de 69,5% dans la Provence-Alpes-Côte d’Azur rejettent l’offre de la droite et de la gauche qui alternent au pouvoir depuis des décennies, cela interroge sur les pratiques politiques et leurs résultats économiques et sociaux.

Populations électorales

Nord-Pas-de-Calais-Picardie

Provence-Alpes-Côte d’Azur

Abstentions

38,8%

39,7%

Blancs et Nuls

4,5%

4,7%

Front national

24,0%

25,1%

    2. Conclusion :  

L’ouvrage « La conquête de l'extrême droite en France » (Emmanuel Nkunzumwami, Éditions LHarmattan, 2014) avait déjà indiqué ces différentes régions comme les conquêtes prévisibles du Front national. Cependant, ces résultats montrent un très fort décalage entre les dirigeants politiques et les citoyens ; le dialogue est rompu depuis fort longtemps. Ils pressent la France à changer son modèle politique et social, et à produire des résultats économiques que les citoyens attendent impatiemment depuis trop longtemps. Le 21 avril 2002, la France s’est retrouvée dans l’obligation d’appeler à un référendum contraint contre le Front national mené par Jean-Marie Le Pen. Le 2e tour de l’élection présidentielle s’est donc transformé en vote « Pour ou Contre le Front national ». Le 6 décembre 2015, les régions du Nord-Pas-de-Calais-Picardie  et Provence-Alpes-Côte d’Azur se sont retrouvées dans la même situation. Les élections régionales pluralistes se sont arrêtées au 1er tour du 6 décembre, et le 2e tour du 13 décembre 2015 s’est transformé à nouveau en référendum contraint du vote « Pour ou Contre le Front national ». Que se passera-t-il le 23 avril 2017, puisque la candidate du Front national sera opposée à un candidat de la droite ou de la gauche au 2e tour ? La France serait-elle entrée en tension permanente avec sa démocratie à défaut de présenter les résultats des réformes qui changent son visage ? La lutte contre le Front national ne peut nullement constituer un projet politique, économique et social de la  Nation. Le changement et les résultats, c'est maintenant !

 

Emmanuel Nkunzumwami

Analyste politique et économique

Auteur de « La montée de l'extrême droite en France » et de « La conquête de l'extrême droite en France », aux Editions L'Harmattan, Paris.

Le Front national exerce la pression dans six régions en France
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