Le Parti socialiste a remporté, dimanche 8 février, la législative partielle dans la 4e circonscription du Doubs. Son candidat, Frédéric Barbier, a remporté 51,4% des voix exprimées, devant la candidate frontiste Sophie Montel (48,6%). Il n’y a donc que 863 voix d’écart sur 56 communes, entre les deux candidats. Dans le détail, le PS a gagné 8.088 voix de plus qu’au premier tour pour atteindre 15.504 voix. Quant au Front national, la progression a été de 6.259 voix pour rassembler à 14.641 suffrages exprimés. Quels enseignements en tirer, avec un si faible écart entre les deux candidats ?


     Exactement un mois après les premiers massacres des terroristes au siège de Charlie Hebdo (7 janvier 2015) et moins d’un mois après le grand rassemblement des citoyens pour l’union nationale contre le terrorisme, le Front national vient de refaire la démonstration de sa force électorale dans le département du Doubs. Et pourtant ce département figure parmi les moins fragilisés en France.

Premier enseignement : la gauche et le Front national ont mobilisé les réserves de leurs électorats pour tenter de gagner une élection test de la conquête de l’extrême droite en France. Aussi, de 34,5% de taux de participation au 1er tour, les électeurs se sont mobilisés à 43,5%, soit une amélioration de 9 points. Mais au premier tour, l'ensemble de la gauche a fait 33,5%, soit presqu'autant que le Front national seul. Pour une élection partielle isolée, ce taux de participation et ce résultat sont donc importants et contiennent des enseignements nationaux pour les scrutins de 2015.

Deuxième enseignement : les représentants de l’Etat, comprenant le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur, se sont déplacés pour appuyer le candidat socialiste. Toute la communication officielle s’est développée et concentrée en faveur du candidat socialiste contre le Front national. La très courte victoire est donc un échec, une traduction certaine que les citoyens ont décroché et que le fossé s’est élargi entre les dirigeants et le peuple.

Troisième enseignement : le principal parti de l’opposition démocratique en France, l’UMP, s’est divisée sur cette élection partielle. La déclaration officielle de l’UMP, diffusée mardi le 3 février après les prises de positions personnelles favorables au candidat du PS pour certains leaders de l’UMP (Alain Juppé, Nathalie Kosciusco-Morizet,…) et des positions opposées à tout soutien à ce candidat pour d’autres (Laurent Wauquiez, Bruno Le Maire,…), a laissé un match de confrontation directe entre les électeurs de toute la gauche soutenus par ceux du centre contre ceux du Front national. Par sa déclaration officielle, l'UMP a donc manifesté son opposition à l’extension de l’union nationale contre les attentats terroristes sur les confrontations électorales où son candidat avait perdu l’accès au second tour. Il se pose alors la question : "l'union nationale" ou "le front républicain" contre quel adversaire de la nation, puisque les électeurs du Front national sont aussi francais ? Quel est donc le sens ou le contenu de leur vote ?

Quatrième enseignement : la droite ne s’est pas mobilisée pour l’élection législative partielle dans le Doubs où elle n’avait plus de candidat au second tour. L’UDI s’est déclarée favorable au report de ses électeurs vers le candidat du PS alors que l’UMP a pris une position neutre, renvoyant dos-à-dos les candidats PS et FN. Le faible score du candidat du PS au second tour indique que toute la gauche s’est battue presque seule contre le Front national. Le poids de l’UDI aura été trop faible, ou peu déterminant, pour élever plus haut la victoire du candidat PS.

Cinquième enseignement : le Front national démontre que sa stratégie de conquête du terrain électoral est entendue par les Français. Dans un duel de second tour, elle réussit une performance de 48,6% contre un candidat socialiste avec 51,4%, pourtant largement soutenu par le pouvoir et quelques leaders de la droite. Le Front national a conquis un espace politique, un nombre de plus en plus croissant d’électeurs, une crédibilité apparente des citoyens qui ne trouvent plus les réponses à leurs préoccupations dans les partis de gouvernement. Cette élection législative partielle dans le Doubs, sur une ancienne terre industrielle avec une grande part d’électeurs dans les milieux populaires et ouvriers, indique les tendances lors des élections départementales de mars 2015. Dans les cas de configuration des triangulaires entre les candidats du Front national opposés aux candidats de la gauche et de la droite, les candidats du Front national pourront remporter de nombreux cantons. En effet, comme l’on le voit dans cette 4e circonscription du Doubs, l’électorat du Front national est croissant, alors que le reste du corps électoral devra se répartir entre les candidats de la gauche et de la droite. Les 51,4% obtenus par le candidat du PS dans le Doubs montrent la fragilité de leur répartition entre la gauche et la droite face à un électorat conquérant du Front national.

     Il convient de rappeler qu'au premier tour, la jeune candidate FN de 45 ans, était arrivée en tête avec 32,6% des voix, contre 28,9% à Frédéric Barbier, candidat du Parti socialiste, affaibli. Ce dernier, avec son modeste score de 51,4% au second tour, pourtant après les appels en sa faveur par quelques ténors de la droite, le candidat UMP éliminé au 1er tour, les appels de l’UDI en sa faveur, les déplacements des dirigeants de l’Exécutif pour soutenir l’espoir des victoires de la gauche à travers cette élection partielle, et l’appel de toutes les forces de gauche pour barrer la route au Front national, ce dernier parvient à grimper à 48,6% , soit à 1,4% de la victoire ! En se déclarant neutre dans cette élection, les dirigeants de l’UMP ont évité la sortie du slogan « UMPS » cher au Front national. Ce résultat du seul Front national, contre le reste des forces politiques de la gauche et du centre, est une nouvelle démonstration de force électorale du Front national en France. Devant ce constat, le vainqueur socialiste peut alors déclarer :

« Je ne me réjouis pas, je ne pavoise pas; ce succès, je le dois aux forces républicaines », a déclaré à la presse Frédéric Barbier, le nouvel élu de cette 4e circonscription du Doubs. « Cette élection peut être un tournant de ce quinquennat », a-t-il ajouté à l'issue de ce difficile scrutin. « Il faut garder l'esprit d'union nationale autour des valeurs de la République », s’est-il écrié. Mais, il oublie que les électeurs du Front national sont également Français, citoyens et enfants de la République comme tous les autres citoyens. L’union nationale contre le terrorisme, tous les Français sont d’accord. Mais l’union nationale contre le Front national, les électeurs du Front national ne peuvent pas la comprendre et ne la pratiqueront jamais. Les candidats du FN sont en compétition avec les autres candidats, sur le même terrain, devant le même corps électoral, et pour occuper les mêmes mandats. La solution n’est donc pas dans "l’union nationale" pour combattre d’autres français dans le pays. Les efforts sont attendus dans l’écoute de la demande du peuple et des réponses concrètes à lui apporter. Aussi, la confirmation de « l’apartheid territorial, ethnique et social » va s’inviter dans les prochaines élections en 2015. Les résultats des élections européennes de mai 2014 et cette élection législative partielle dans le Doubs dessinent les contours des nouvelles fragilités sociales, l’intensité des crises économiques et sociales, les fractures territoriales ouvertes, et le rejet des partis de gouvernement qui s’amplifient. Les habitants des territoires qui se sentent abandonnés par les dirigeants, les catégories sociales populaires qui se débattent dans la misère et les difficultés de la vie, rejettent les partis de gouvernement. Quelques élites et les dirigeants du Front national s’occupent de les détourner vers les programmes populistes et alléchants du FN.

     La candidate du FN peut donc se féliciter, malgré sa défaite, de son score de 48,6% (presque 49%). Elle déclare, en éxagérant son score : « nous finissons avec environ 49,1%. Les socialistes l'emportent d'une courte tête; c'est une grande satisfaction. Même si on ne gagne pas ce soir, ça sent quand même la victoire », a déclaré Sophie Montel. Et Marine Le Pen, la présidente du FN de renchérir : « Je pense que le PS a gagné d'un cheveu, mais c'est le FN qui est le grand vainqueur de l'élection […] Cette élection nous apporte beaucoup d’enseignements très prometteurs pour l’avenir : les consignes de l’UMP ne sont pas suivies par ses électeurs, que ce soit d’appeler à s'abstenir ou à voter socialiste ». L'on peut donc affirmer, comme le politologue Gérard Grunberg, que «l'événement le plus important dans cette élection, c'est le score du FN. Le Front national confirme qu'il est totalement entré dans le jeu politique [...] car l'opposition FN-non FN est devenue au moins aussi importante que le clivage gauche-droite ».

     Nul doute que le Front national vient de tester avec succès qu’il constitue une force électorale incontestable pour emporter des victoires dans les cantons ou dans des régions en 2015, notamment dans le cas des élections triangulaires où il sera opposé aux candidats de la gauche et de la droite.  Dans la mesure où il parvient à se hisser en tête du 1er tour devant les candidats des principaux partis concurrents, et qu’il parvient à réaliser presque 49% au second tour, il peut s’assurer des victoires si les électeurs de la droite, du centre et de la gauche doivent se répartir sur les candidats de droite et de gauche, alors que les électeurs de l’extrême droite, de plus en plus nombreux, se rassembleront sur les candidats du Front national et de son partenaire électoral. Les analyses détaillées, commune par commune et département par département, sont contenues dans l'unique ouvrage de référence sur le sujet "La Conquete de l'extrême droite en France" (Ed. L'Harmattan; Paris, 2014).

 

Emmanuel Nkunzumwami

Essayiste, Analyste politique

Auteur de « La Conquête de l’extrême droite en France », Editions L’Harmattan, 2014.

 

La Conquête de l'extrême droite en France.
La Conquête de l'extrême droite en France.

La Conquête de l'extrême droite en France.

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