Depuis le début de la crise financière et économique de l’été 2007, l’ampleur de la dette publique des Etats européens ne cesse d’augmenter. Le niveau d’endettement moyen des 28 pays de l’Union européenne s’établit à 86,6 % du PIB à la fin de 2014. Il convient de rappeler que la dette publique représente l’ensemble des emprunts contractés de l’Etat, à l’instar d’un particulier qui s’adresserait à sa banque ou à d’autres prêteurs pour obtenir des prêts. Quant au déficit public, c’est le solde annuel négatif entre des ressources et des dépenses.

       Alors que l’endettement moyen des 28 Etats membres s’élève à 86,6 % du PIB, celui  des Etat de la zone euro équivaut à 92,1 % du PIB. Entre 2013 et 2014, l’endettement a augmenté de 1,3 point dans toute l’UE, et de 1 point dans la zone euro, dont de nombreux pays sont confrontés aux obligations de réduire leurs dettes. Entre 2010 et 2013, le niveau d’endettement public par rapport au PIB avait fortement augmenté dans de nombreux pays européens. Par rapport au troisième trimestre 2013, l’on constate que 18 Etats membres ont enregistré une hausse de leur ratio de la dette publique par rapport au PIB, à la fin du troisième trimestre 2014, pendant que dix autres ont connu une baisse.

Pris individuellement, six pays affichent un niveau de dette publique supérieur à 100 % de leur PIB. Il s’agit de la Grèce (176 %), de l’Italie (131,8 %), du Portugal (131,4 %), de l’Irlande (114,8 %), de la Belgique (108,2 %) et de Chypre (104,7 %). A l’inverse, 12 Etats membres sur 28 demeurent sous le seuil de 60 % du PIB, fixé par le « Pacte de stabilité et de croissance » européen. Les niveaux de dette publique les plus bas se trouvent en Estonie (10,5 %), au Luxembourg (22,9 %), en Bulgarie (23,6 %) et en Roumanie (38,1 %). La France ne cesse de s’approcher de la barre des 100 %. La dette publique est supérieure à celle de l’Union européenne et de la zone euro ; elle s’élève à 95,3 % du PIB en fin 2014, alors qu’elle était de 91,9 % un an auparavant. Les plus fortes hausses du ratio ont été observées en Slovénie (+16,8 points), en Croatie (+7,3 points) ainsi qu’en Bulgarie (+6,6 points).

Les baisses les plus marquées se situent en Irlande (-9,4 points), ce qui n'est pas surprenant au vu de sa forte reprise économique, en Pologne (-8,0 points) et au Luxembourg (-5,0 point).

       Il convient de noter que, presque partout en Europe, la réduction substantielle du déficit public s’est accompagnée, paradoxalement, d’une forte hausse de la dette. En effet, en période de faible croissance (+ 1,4 % en 2014 pour l’Union européenne et 0,9 % pour la zone euro), et dans l’impossibilité d’augmenter les impôts et taxes afin de ne pas écraser les investissements et la consommation intérieure, les Etats se sont endettés pour soutenir leurs économies et cela s’est répercuté sur le niveau de dette publique.

        Le cas le plus préoccupant pour la zone euro, c’est celui de la Grèce, avec plus de 312 milliards d’euros de dette, soit l’endettement le plus élevé en Europe de 176% de sa richesse nationale. Mais cette crise grecque ne peut surprendre personne, car elle est très ancienne. Certains analystes remontent la crise de gestion de l'Etat et de transparence des finances publiques à l'occupation de l'empire Ottoman ! Mais, depuis 2010, elle est accélérée par la crainte des créanciers de la Grèce sur sa capacité à rembourser sa dette publique ainsi que de payer les intérêts de cette dette. Elle résulte à la fois de la crise économique mondiale depuis l'été 2007 et des facteurs propres à la Grèce : fort endettement récurrent (déjà environ 120 % du PIB en 2010), alimenté par le déficit budgétaire qui dépasse les 13 % du PIB.

       Cette crise, qui a contribué aux perturbations financières de 2007 à 2011, a été aggravée par le manque de transparence dont a fait preuve le pays, lors de son entrée dans la zone euro, dans la présentation de sa dette, notamment par la levée de fonds hors bilan, et par le biais d’instruments financiers mis au point par la banque d’investissement Goldman Sachs, à la suite d’une sous-estimation récurrente des déficits publics. Ce qui fait la spécificité de la crise grecque par rapport aux autres pays de la zone euro, c’est l’ampleur de ses problèmes structurels, et notamment les corruptions, la mauvaise gestion publique, la tricherie dans l’établissement de comptes publics volontairement faussés, et sa difficulté à prélever l’impôt.

      Néanmoins, tout en sachant ces insuffisances grecques, l’Union européenne tente de sauver ce pays :

Le 23 avril 2010, la Grèce requiert l’aide du Fonds monétaire international (FMI) et de l’UEM. Après négociation un accord est trouvé le 2 mai 2010. Athènes obtient des crédits de l’Union européenne et du FMI à hauteur de 110 milliards d’euros sur trois ans (80 milliards d’euros prêtés par les pays de la zone euro et 30 milliards par le FMI). Mais ce n’était nullement suffisant !

Mais, en contrepartie, la Grèce prend une série de mesures dont l’application sera étroitement surveillée par les bailleurs de fonds : le FMI et les pays de la zone euro. Parmi les mesures faisant partie de l'accord, nous pouvons citer :

  • la suppression des 13e et 14e mois dans la fonction publique compensée par une prime annuelle de 1.000 euros pour les fonctionnaires gagnant moins de 3.000 euros et gel des salaires des fonctionnaires pendant trois ans ;
  • si le treizième mois est maintenu dans le secteur privé, la flexibilité du marché du travail sera renforcée ;
  • la durée de cotisations retraites sera portée de 37 annuités à 40 annuités en 2015 ;
  • ouverture de professions fermées ;
  • taxe sur les résidences illégales ;
  • nouvelle hausse de la TVA qui doit être portée à 23%.

Dans la nuit du 9 au 10 mai 2010, pour faire face à la peur des marchés et éviter que la crise grecque s’étende à l’Espagne, au Portugal voire à l’Italie, l’Union européenne en coopération avec le FMI met en place deux mécanismes :

  • Un plan de soutien à la Grèce composé pour 80 milliards d’euros de prêts bilatéraux (dont 16,8 milliards à la charge de la France) consentis par les États membres et pour 30 milliards d’euros de prêts accordés par le FMI.
  • La création d'un fonds de stabilisation de 750 milliards d’euros ; la commission européenne est alors autorisée à emprunter 60 milliards d’euros, 440 milliards apportés par les États et 250 milliards apportés par le FMI (soit 60+440+250=750 milliards).
  • Pour Angela Merkel, « ce qui est arrivé en Grèce est complètement inadmissible : que pendant des années on puisse falsifier ses statistiques ».

Deuxième phase critique et deuxième plan de sauvetage au printemps 2011.

       En mai, il apparaît que le pays ne pourra pas revenir sur les marchés en 2012, et que de nouveaux financements doivent être trouvés. En effet, malgré ses efforts le pays n’arrive pas à réduire la fraude fiscale et voit sa récession aggravée par l’austérité. Est-ce l’Europe qui doit réduire la fraude en Grèce ? Les Européens et le FMI qui redoutent qu’un défaut de la Grèce ne vienne provoquer une nouvelle tourmente financière sont prêts à venir en aide au pays mais, ils lui demandent de nouveaux efforts. Pour aider la Grèce, plusieurs options sont possibles : une restructuration ou un rééchelonnement de la dette, c’est la solution préférée par les pays du Nord, ou un nouveau prêt européen, c’est la solution préférée par le gouvernement français, la BCE et les banques. Donc, on donne encore de "l’argent frais" pour renflouer à nouveau la Grèce.

       Le 17 juin, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy rapprochent leurs points de vue sur la façon de procéder dans le cas grec ce qui apaise les marchés financiers. Fin juin, les banques françaises font une proposition assez bien accueillie en Europe. Elle consiste « à renouveler seulement 70 % de la dette souveraine grecque venant à échéance dont 50 % via des obligations à 30 ans et les 20% restants par des titres à faible coupon adossés à des créances sur le Fonds de stabilité financière européen ».

Pour les banques les plus exposées à la dette grecque :

La BCE et les banques s’opposent à l’idée de restructuration. En effet, cela voudrait dire que la Grèce ferait défaut et surgit alors le spectre d’une crise de liquidité semblable à celle connue lors de la crise bancaire et financière de l'automne 2008, et du mouvement de panique dont elle aurait été la cause. De plus les Credit default swap (CDS) auraient été activés dans cette hypothèse. En mai 2010, l’exposition des banques françaises à la dette grecque s’élevait à 57 milliards d’euros, dont 29,5 milliards pour le Crédit agricole. En mai 2010, pour la Banque nationale de Paris, les engagements vis-à-vis de la Grèce (dette publique et secteur privé) représentaient 0,6 % des engagements totaux du groupe, pour un montant total de 8 milliards d'euros.

Le jeudi 21 juillet, les Européens et le FMI ont alors adopté les grandes lignes d’un second plan de sauvetage.

  • Au niveau financier, le pays va bénéficier de 109 milliards d’euros de fonds publics : 79 venant du FESF et du FMI et 30 des privatisations. Par ailleurs, le secteur privé doit participer pour 49,7 milliards d'euros. Les taux des prêts du FESF sont ramenés de 4,5 % à 3,5 % et leur durée de remboursement est allongée.
  • Au niveau structurel, il est créé une « task force » destinée à soutenir la Grèce dans la mise en œuvre des réformes votées et à essayer de redynamiser la croissance en Grèce en employant au mieux les Fonds européens (aides régionales notamment) non encore utilisés.

Mais, après d'âpres négociations, liées notamment à la volonté exprimée lors d’un vote au Bundestag de la quasi-totalité des partis allemands de limiter les garanties allemandes aux pays en crise et de ne pas « faire payer » uniquement les contribuables, mais également les banques, un accord est trouvé le 27 octobre au matin. Il prévoit :

  • un abandon par les banques privées de 50 % de la dette publique qu’elles détiennent sur la Grèce (la BCE et le FMI ne sont pas concernés). Cet accord important a été particulièrement difficile à atteindre du fait de la résistance des banques. Il a fallu que Charles Dallara, directeur de l'Institut de la finance internationale, y soit incité par Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Christine Lagarde et Herman Van Rompuy ;
  • ensuite, les banques doivent être recapitalisées pour un montant de 106 milliards d’euros (30 milliards pour la Grèce, 26,1 milliard pour l'Espagne, 14,7 milliards pour l'Italie, 8,8 milliards pour la France et 5,1 milliards pour l'Allemagne). La recapitalisation sera faite soit par appel à l’épargne, soit par les États, soit, en dernier ressort, par le FESF ;

le FESF n’est pas autorisé à devenir une banque ; alors un simple effet de levier va être recherché par « un rehaussement de crédit pour de nouvelles émissions par les États membres » ou en faisant appel de façon complémentaire à des investisseurs privés ou souverains, en coopération avec le FMI. Tout est tenté pour éviter le défaut de paiement de la Grèce et la faillite des banques européennes opérant en Grèce. Néanmoins, le 30 juin 2015, la Grèce est en défaut de liquidités (le pays n'a plus d'argent en liquidité pour honorer son échéance vis-à-vis du FMI pour 1,5 milliard exigibles à cette date de remboursementet de solvabilité (le pays ne dispose pas de capacité à payer ses dettes). Soit l'Union européenne renfloue perpétuellement les caisses publiques et les banques en Grèce pour lui permettre de rembourser ses dettes (elle emprunte pour rembourser ses dettes comme un menage ordinaire surendetté, un cercle vicieux du surendettement), soit la Grèce sort de la zone euro et s'emploie à se prendre en charge pour assainir sa gestion publique par des mécanismes de dévaluation de sa propre monnaie pour  l'adapter à ses capacités en vue de s'en sortir. 

(suite...)

Emmanuel Nkunzumwami

Analyste économique et politique

Essayiste

La Grèce vit sous perfusion de la troîka : BCE, UE, FMI. Mais, l'aide de la Grèce permet également aux banques opérant en Grèce d'éviter la faillite.
La Grèce vit sous perfusion de la troîka : BCE, UE, FMI. Mais, l'aide de la Grèce permet également aux banques opérant en Grèce d'éviter la faillite.

La Grèce vit sous perfusion de la troîka : BCE, UE, FMI. Mais, l'aide de la Grèce permet également aux banques opérant en Grèce d'éviter la faillite.

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