Le Mozambique vient de faire son expérience du terrorisme islamique. La faiblesse du Mozambique est consubstantielle avec la création même de cet état en 1975, lors de l’indépendance de ce pays. Certes, le colonisateur portugais, lui-même inexistant sur la scène internationale à cette date et embourbé dans sa révolution intérieure vers la démocratie et la bonne gouvernance, n’avait pas les moyens de développer le Mozambique et l’Angola.

     Le Mozambique est un des pays discrets d’Afrique, presque inconnu du monde occidental. Autant son ancien compagnon de la souffrance de colonisation portugaise, l’Angola, s’est rapidement hissé sous les projecteurs de l’actualité pendant l’atroce guerre fratricide entre le MPLA et l’UNITA pour l’accès au pouvoir après l’indépendance, puis grâce à sa participation active remarquée dans la guerre pour les changements politiques au Zaïre, devenu la République Démocratique du Congo (RDC), dans d’énormes scandales de corruption à grande échelle et d’importants détournements de fonds publics sous la présidence de José Eduardo dos Santos et, enfin dans la production et les exportations du pétrole et des produits miniers, autant le Mozambique s’est replié sur l’Océan Indien dans le silence de l’ombre de l’Afrique du Sud. Certes, la guerre entre le Frelimo et le Renamo a tourné en faveur du premier, mais cette guerre était moins médiatisée que celle en Angola.

     Il vient de sortir de l’anonymat par l’un des principaux gisements de gaz exploité par la compagnie française TOTAL, et par une « maladresse » de gestion privant le pays de 2 milliards de dollars, une dette cachée car elle a été détournée avec la complicité des opérateurs économiques étrangers. C’est ce détournement découvert en 2019 qui a bloqué les financements internationaux, précipitant le pays dans une cessation de paiement. De nombreux pays africains s’enfoncent et se décomposent à la suite d’énormes pratiques de corruptions, des détournements des maigres deniers publics, les guerres civiles à répétition, l’insécurité et l’incapacité de gestion publique.

    Après la découverte et surtout la mise en place d’un projet de production et traitement du gaz par la compagnie française Total, les démons africains de l’insécurité se sont immédiatement réveillés : sortis de nulle part, les terroristes jihadistes ont fait leur apparition. Le Mozambique, qui compte un infime pourcentage de musulmans dans sa population, s’est réveillé avec des groupes armés d’origine somalienne, Al-Shabab, financés par des puissances extérieures, et qui se sont installés opportunément dans la zone de production et de traitement du gaz. Pendant quatre années, ces jihadistes improvisés ont tué des milliers de villageois, et poussé d’autres centaines de milliers d’habitants aux déplacements intérieurs et à l’abandon de leurs terres. Ils ont mis en déroute une petite armée nationale mozambicaine, peu entraînée et mal organisée pour faire face à ces centaines d’individus lourdement armés, manipulés, fanatisés et radicalisés. Ils prétendent même désormais que le génocide au Rwanda s’est abattu sur près de huit cent mille Musulmans, maltraités et pourchassés dans le pays. C’est faire injure inexcusable aux victimes, tuées parce qu’elles étaient Tutsi présumées ou parce qu’elles étaient jugées complices des Tutsi. La religion, quelle qu’elle soit, n’a nullement été brandie par les génocidaires. Enfin, ils prétendent que les Musulmans sont gravement persécutés au Rwanda. Aucune communication, aucune information, aucune organisation islamique n’a jamais existé indiquant les conditions atroces de vie des Musulmans au Rwanda. Cela démontre le niveau de connaissances plus que rudimentaires sur les pays et sur l’histoire récente de l’Afrique où ils voudraient pourtant établir un prétendu « État islamique (islamic state)». D’autre part, ces individus ayant prêté le serment d’allégeance à l’État Islamique au Moyen-Orient, ne pourraient avancer les mêmes justifications au Sahel, sur la volonté de sauver les Musulmans de la persécution et de la maltraitance par les autres religions, alors même que l’Islam est la religion dominante dans ces pays que ces terroristes radicalisés assiègent en Afrique de l’Ouest.

     Quant à la faiblesse du Mozambique, elle est consubstantielle avec la création même de cet état en 1975, lors de l’indépendance de ce pays. Certes, le colonisateur portugais, lui-même inexistant sur la scène internationale à cette date et embourbé dans sa révolution intérieure vers la démocratie et la bonne gouvernance, n’avait pas les moyens de développer le Mozambique et l’Angola. Deux grands concurrents se sont alors battus pour hériter des dépouilles coloniales : le FRELIMO et le RENAMO. C’est enfin, le FRELIMO, mené par Samora Machel, qui a emporté la partie et hérité d’une énorme étendue de 801.590 km², un territoire grand comme 1,5 fois l’étendue de la France métropolitaine, le plus grand pays de l’Union européenne. Néanmoins, avec environ 31,260 millions d’habitants en 2021, et proportionnellement à la France, ce pays devrait compter 97,648 millions d’habitants. Autant dire que le pays est relativement vide sur une grande partie de son territoire.

     Par ailleurs, il souffre d’une maladie chronique des anciennes colonies mal organisées pour leur gestion après l’indépendance : la capitale, Maputo, est un ancien comptoir commercial des colons, un centre d’échanges marchands entre l’Afrique, l’Europe et l’Orient, et totalement excentré dans le sud du pays. Géographiquement, cette capitale du Mozambique peut être plus considérée comme une ville d’Afrique du Sud ou d’Eswatini. Les autorités du Mozambique sont donc priées d’établir une vraie capitale géographiquement accessible au plus grand nombre d’habitants du pays, et dont les forces armées sont susceptibles de défendre facilement les frontières à quelques kilomètres de la capitale.

Cette carte indique l'anomalie politique de placer la capitale Maputo loin du centre du pays, à proximité de Pretoria (Afrique du Sud) et Mbabane (Eswatini)

     Et pour revenir au jihadisme, une petite armée de 12.000 hommes environ pour l’ensemble du Mozambique est insuffisante pour assurer la sécurité sur une étendue de 801.590 km². D’autant que le centre de commandement dans la capitale est déconnecté du reste du pays. Il est donc évident que, les jihadistes et d’autres groupes armés, profitant de cette faiblesse pour s’installer dans le nord du pays, n’auront aucune difficulté à proliférer et multiplier à leur guise des exactions dans plus de la moitié nord du Mozambique. Cela constitue un énorme frein à la paix totale et la sécurité de tous les habitants des pays étendus, à moins d’y mettre de gros moyens avec une armée bien entrainée et bien équipée, avec des effectifs calibrés sur l’ensemble du pays, épaulée par une importante police nationale très disciplinée. Les deux doivent agir ensemble, hors des tentatives de corruption.

     Mais, nous le savons. Aucun pays africain ne pourra se développer si l’un des trois piliers majeurs du développement manque : « la paix pour tous les habitants, la sécurité des frontières, des investissements et des institutions ». C’est le premier des trois piliers de base, développés dans « La Relance de l’Afrique » (Éditions L’Harmattan, 2017). Mais comment y parvenir, lorsque la puissance armée d’un pays ne peut même pas défendre l’équivalent d’une grande province du pays ? Il faut des coopérations régionales, dans le cadre d’une véritable armée régionale combattante.

     Le Mozambique appartient à la Communauté Économique Régionale (CER) de l’Afrique Australe, avec douze autres pays de la Région. Mais, dans le cas présent, les attaques d’une grande envergure se déroulant dans le nord du pays, à la frontière avec la Tanzanie, un pays de l’Afrique Orientale, les efforts pour anéantir ces attaques jihadistes seront déployés par les forces armées des pays de l’Afrique Australe et de l’Afrique Orientale. C’est indispensable. Il faudrait alors que les « Forces Régionales de Défense » actives, opérationnelles, interrégionales, avec de forts effectifs et des équipements modernes à la hauteur des étendues des territoires en Afrique, soient rapidement mises en place. L’étendue du pays et la diversité de sa géographie exigent de très importants moyens de défense et une présence continue sur l’ensemble du territoire national mozambicain. Cet effort est hors de portée de l’armée actuelle et des dirigeants de ce pays seuls.

     Aussi, le Mozambique a reconnu que sa modeste armée de 12.000 hommes, peu entrainés à la guerre asymétrique des jihadistes, ne pouvaient pas assurer la libération des territoires occupés par les terroristes lourdement armés. Rappelons que l’Afrique Australe est majoritairement chrétienne, avec une grande part des religions traditionnelles ou animistes. L’Islam n’est donc pas majoritaire, et des guerres de religion n’ont jamais pris racine en Afrique. L’Islam y étant encore notoirement minoritaire que le christianisme, dans la partie intérieure des terres, au regard de l’Histoire de l’Afrique, depuis l’Égypte antique et l’Éthiopie. La côte orientale de l’Afrique est devenue progressivement musulmane par la Traite Négrière Arabo-musulmane. Plus l’on descend de l’Égypte et le Soudan vers l’Afrique du Sud, plus la présence de l’Islam diminue. Cabo Delgado, une petite terre à la frontière de la Tanzanie et du Mozambique, est un territoire qui ne peut donc pas être revendiquée par les fanatiques de l’Islam radical.

     Carte du Mozambique. Il est frontalier de six autres pays : la Tanzanie, la Zambie, le Malawi, le Zimbabwe, l'Afrique du sud et Eswatini. La capitale Maputo se trouve à l'extrême sud du pays, proche de Mbabane en Eswatini.

Depuis juillet, conscient de l’importance de la Paix et la Sécurité dans les pays africains pour asseoir ce pilier pour le développement en Afrique, et instruit par l’expérience du génocide de 1994 contre les Tutsi dans une rare violence d’extermination depuis la Shoah, le Rwanda a entrepris d’apporter son aide au Mozambique pour combattre les jihadistes. Les premières victoires ont été enregistrées au début de ce mois d’août 2021. L’on ne peut que féliciter les autorités rwandaises et leur armée, Rwanda Defense Forces (RDF), mixée avec la police nationale rwandaise, Rwanda National Police (RNP), de ce succès. Malgré sa petite superficie et ses moyens limités, le Rwanda est devenu le fer de lance dans le maintien de la Paix et de la Sécurité dans plusieurs pays en Afrique. Le pays dispose de l’une des meilleures armées les plus aguerries du continent ; professionnalisée, disciplinée, entrainée à combattre dans tous les milieux hostiles, expérimentée sur plusieurs terrains de guerre. Le Rwanda donne l’exemple de la coopération africaine pour le maintien de la Paix et la Sécurité dans plusieurs pays ; il ne peut y avoir de souveraineté et de développement sans ce pilier indispensable. Il est souhaitable que d’autres pays apportent leur concours, autant en Afrique Australe qu’en Afrique Orientale. Nous sommes dans leur champ de compétence et d’intervention. L’Afrique du Sud a promis un important contingent (pour l’Afrique Australe) et l’Ouganda (Afrique Orientale) prévoit d’envoyer également des troupes au Mozambique. Bien armées, bien équipées, bien entrainées et bien encadrées, ces troupes pourraient constituer une importante Force de Projection pour assurer la sécurité des pays étendus, et décourager toute initiative de terrorisme à caractère religieux, ethnique, tribale ou de séparatisme régional. Les peuples africains ont tant et tant besoin de paix et de sécurité pour relever la tête vers le progrès économique et social. Les guerres barbares du Moyen-âge n’ont pas leur place sur le continent meurtri. Il en est de même dans toutes les cinq régions du continent. Les mouvements terroristes fleurissent sur des territoires où l’État affaibli est absent ou incapable d’assurer la sécurité. Que ce soit au Sahel, dans l’est du Nigeria, au nord du Cameroun, dans la moitié nord de la Centrafrique, et maintenant dans le nord du Mozambique, les terroristes ciblent après avoir testé la faible puissance de feu et de réaction des États. L’on peut fermement et fièrement encourager tous les pays des différentes communautés économiques régionales à renforcer leurs coopérations dans la création et la gestion des forces régionales de défense, dans l’esprit des actions du Rwanda en Centrafrique, au Soudan du Sud et au Mozambique. De même, les populations sont invitées à indiquer et décourager toute installation des criminels assoiffés de pouvoir, qui se cachent parmi elles avec des objectifs farfelus de création d’un État islamique ou des États imaginaires en Afrique. Africains, en 1963, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), -ancêtre de l'Union Africaine-, avait une mission principale d’instauration de la Paix sur le continent. En 2021, de nombreux pays peinent encore à installer la paix et la sécurité sur l’ensemble de leurs territoires.

     Il est alors temps d’instaurer une véritable gouvernance de la paix sur le continent, avec les ressources militaires africaines et des armées véritablement régionales. Ni l’Europe, ni les Amériques, ni l’Asie ne pourront assurer la paix et la sécurité dans les pays africains, à la place des Africains eux-mêmes. Les enjeux de très nombreux pays d’Afrique ne se lisent nullement dans des créations des prétendues « républiques théocratiques de quelque religion que ce soit » ou dans « la confiscation de tous les pouvoirs dans les pays par des groupes ethniques, tribaux, régionaux ou religieux ». Les principaux enjeux visent le développement économique et social sur lensemble des territoires et pour tous les habitants. Sans « la Paix dans les pays et la Sécurité des populations, des investissements et des institutions », les populations soumises à des conflits armés sont poussées aux déplacements permanents et à la précarité durable quand elles ne sont pas massacrées par les barbares. Et dans ces conditions, la sécurité alimentaire et sanitaire, léducation scolaire et la formation professionnelle des jeunes générations, et les infrastructures de bases pour l'accès à lénergie et à leau potable, les communications et les transports, dimportantes structures et des unités industrielles de production pour soutenir léconomie, ne sont plus assurées. Les dirigeants rwandais en ont saisi toute l’importance et tous les enjeux, et ils ouvrent le chemin pour l’Afrique. Que les autres pays africains se mobilisent également pour un objectif commun de sécurisation de tous les espaces et tous les territoires en Afrique. Ce n’est pas une option politique, c’est un impératif pour la survie des peuples.

Emmanuel Nkunzumwami
Écrivain - Essayiste
Analyste économique et politique
Dirigeant d’entreprise

mail : emmankunz@gmail.com

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