Le Mali est-il en crise politique ou en crise générale ?
     La réponse à cette question nous ramène à quelques années en arrière. Sans descendre dans le temps jusqu’à l’année de l’indépendance du Mali, l’on peut rappeler que le dernier coup d’État du 22 mars 2012, mené par le capitaine Amadou Sanogo, révélait déjà une situation de désespérance, d’insécurité liée à la révolte d’une petite minorité de descendants de Touaregs après avoir créé un fantomatique Mouvement de Libération de l’Azawad (MNLA), ensuite rejointe, puis concurrencée par des groupes disparates de djihadistes (Ansar Dine, Mujao, Aqmi) formés en grande partie d’anciens combattants de Mouammar Kadhafi en Libye, défaits dans les combats par la coalition internationale dans ce pays en 2011. En effet, le Mali est un immense pays de 1.246.814 km2 (soit 2,26 fois la superficie de la France continentale), dont les frontières sont difficiles à contrôler, entouré de sept pays : le Sénégal, la Guinée, la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso du sud-ouest au sud-est, le Niger à l'est, l'Algérie au nord, et la Mauritanie à l'ouest. Les terroristes, lourdement armés par les puissances extérieures, pouvaient se servir des frontières poreuses dans le désert du Sahara, de l'est (Niger) à l'ouest (Mauritanie). Déjà en mars 2012, le putschiste Sanogo, avec ses compagnons, s’engageait fermement à mettre tout en œuvre pour restaurer l’intégrité nationale du Mali, rétablir la paix et la sécurité dans le pays, combattre les corruptions qui se sont érigées en mode de gouvernance par les privilégiés du régime d’Amani Toumani Touré (ATT), et s’occuper enfin des problèmes de la jeunesse malienne. Un beau programme qui lui a valu l’adhésion d’une majorité de Maliens contre les pressions exercées en vue du retrait du pouvoir par ce que l’on appelle communément la « Communauté internationale », c’est-à-dire les puissances occidentales et les organisations associées à ces puissances. Les Maliens ont démontré qu'ils étaient prêts à accepter les voies irrégulières d'accès au pouvoir, y compris par la force, à condition de leur garantir la paix, la sécurité, l'unité nationale, la lutte contre les corruptions endémiques et l'emploi. La carte suivante présente le Mali et sa position géostratégique, entre les pays de l'Afrique Arabo-musulmane (Mauritanie, Algérie et Libye) et les pays de l'Afrique noire (Niger, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée, Guinée- Bissau et Sénégal), au sein de l'Afrique Occidentale.

Le Mali depuis 2012

     Néanmoins, devant l’incapacité de l’armée malienne à faire reculer les djihadistes, solidement installés dans le nord du Mali et entamant la descente vers la conquête de Bamako, la France a négocié une transition bicéphale,  entre les putschistes militaires contrôlant le pouvoir réel du pays et un groupe civil mené à sa tête par l’ancien président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, nommé président par intérim. Cet intérim et l’élection présidentielle des 28 juillet et 11 août 2013 se concluent par la victoire d'Ibrahima Boubacar Keïta (IBK), auquel Dioncounda Traoré transmet le pouvoir le 4 septembre 2013. Mais, le Mali était-il assaini pour autant ? Non.

     La présidence d’Ibrahima Boubakar Keita (IBK) se caractérise par les mêmes maux  qui prévalaient avant le coup d’État d’Amadou Sanogo : corruptions, insécurité dans le centre et le nord du Mali, désespérance de la jeunesse, gestion publique désastreuse, grève des personnels des services publics… Les maux du Mali se sont reconstitués, mais les Maliens ont cru à une évolution vers une démocratie mûre. L’élection présidentielle du 29 juillet 2018 enregistre 24 candidats au 1er tour, dont le président sortant Ibrahima Boubakar Keita. A l’issue du premier tour, il obtient 41,7% contre le suivant des concurrents, Soumaïla Cissé, avec 17,9%. Cependant, il apparaît un écart inexpliqué de 24.040 voix entre le total des voix obtenues par les 24 candidats (3.196.461 voix) et le total des suffrages exprimés (3.220.501 voix). C’est alors cet écart qui donne des arguments aux opposants à la victoire d’IBK, arguant les bourrages d’urnes et de fraudes massives lors de cette élection. Au second tour du 12 août 2018, IBK obtient 67,17% contre 32,83% pour Soumaïla Cissé. Les résultats  de cette élection présidentielle font l’objet d’une contestation de dix-huit candidats, qui ont formé un  Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FSD). Aussi, depuis la proclamation le 20 août par la Cour constitutionnelle de la réélection du président Ibrahima Boubacar Keïta (IBK), au second tour du 12 août 2018 face au chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, de très nombreux partisans et des soutiens de ce dernier, continuent de contester cette victoire. Ils ont organisé une série de manifestations contre ce qu'ils considèrent comme la « fraude » électorale. Le 6 octobre, les dirigeants d’une trentaine de partis d'opposition, des candidats à la présidentielle, des syndicalistes et des associations annoncent la création du FSD, afin de dénoncer « les fraudes et les nombreuses irrégularités, les bourrages d'urnes et la falsification des résultats », selon les animateurs de ce front.

     L’élection présidentielle devait être suivie des élections législatives, prévues en novembre-décembre 2018. Elles ont été reportées à juin 2019, sur décision de la Cour constitutionnelle, prolongeant de six mois le mandat des députés à la demande de l'Assemblée nationale. Les députés ont donc demandé et obtenu la prolongation de leur propre mandat, et donc des avantages attachés à leur statut. Une dizaine de partis et d’associations de la société civile du Mali ont alors créé le 21 octobre 2018, à Bamako, un nouveau « Front pour sauver le Mali », en défendant sa Constitution et la bonne gouvernance, contestant ainsi le report des élections législatives. Cette nouvelle coalition, appelée « Convergences de Forces patriotiques pour sauver le Mali », comprend notamment d’anciens candidats à l'élection présidentielle. C’est alors la formation de la convergence des deux fronts contre le pouvoir malien.  Lors de la conférence de presse, Oumar Mariko, l’un des candidats battus à l’élection présidentielle,  déclare : « C'est unique dans l’histoire de notre pays. Des partis de l’opposition, de la majorité, des partis qui ont appelé à soutenir la candidature du président malien (Ibrahima Boubacar Keïta) et d’autres qui l’ont combattu, décident de former un même front pour défendre la République. Cela veut dire évidemment que c’est du sérieux ». Les membres de ce nouveau « Front » accusent le pouvoir d’avoir usé « d'un tripatouillage juridique », selon les termes même de Housseyni Amion Guindo, ancien candidat à la présidentielle et ancien membre de la majorité présidentielle, pour obtenir de la Cour constitutionnelle le report des élections législatives. Il a demandé « le respect strict de la Constitution » et appelé « le peuple malien à se dresser contre l’arbitraire ». Comme les mêmes arguments avancés lors du coup d’État du 22 mars 2012, d’autres intervenants ont dénoncé « la mauvaise gouvernance », « la corruption » et « le manque d'initiatives » du gouvernement pour résoudre la crise durable dans le nord et le centre du pays, régions où persistent les attaques attribuées aux djihadistes. Six années plus tard, le Mali se retrouve-t-il dans les mêmes conditions politiques et sécuritaires qui  ont prévalu en 2012 ? La différence est que le G5 Sahel, adossé à la force française de sécurisation du centre et du nord du mali, Barkhane, est installée dans le pays pour contrer toute relance des combattants djihadistes contre le pouvoir de Bamako.

     Mais, les problèmes dénoncés au Mali demeurent. Les difficultés que rencontre le Mali sont bien antérieures au coup d’État de mars 2012. Depuis la chute de la dictature du général Moussa Traoré, par un groupe militaire dirigé par un certain général Amani Toumani Touré (ATT), puis les différentes présidences assurées par Alpha Oumar Konaré (1992-2002) et ensuite par Amani Toumani Touré (2002-2012) à l’issue d’une élection régulière, les indicateurs socio-économiques du Mali n’ont pas significativement bougé.

     Comparé aux pays voisins de la même région de l’Afrique de l’Ouest, membre de la même Organisation de la CEDEAO, le Mali accuse plusieurs faiblesses. Parmi les douze grands pays de plus de 5 millions dans la région de l’Afrique Occidentale, le Mali présentait un revenu par habitant (724 dollars en 2015), inférieur à ceux du Nigeria (2.178$), de la Côte d’Ivoire (1.399$), du Ghana (1.381 $), du Sénégal (986 $) et du Bénin (762 $), alors qu’il est économiquement mieux doté que le Sénégal et le Bénin. Derrière le Mali et après le Togo, on retrouve les pays qui comptent parmi les plus pauvres du continent (Burkina Faso, Guinée, Sierra Leone, Liberia et Niger). La mortalité infantile de 75  pour 1000 était la deuxième plus élevée des douze pays de la région, après la Sierra Leone (103 pour 1000) très secouée par une guerre civile longue au cours des années 1990’s. Le niveau d’alphabétisation de 31% en 2015 était l’avant-dernier (avant le Niger avec 27%), et bien loin derrière le Ghana (77%), le Nigeria (67%), le Togo (65%), le Sénégal (58%), le Liberia (54%) pourtant ravagé par une effroyable guerre civile pendant de longues années, le Bénin et le Burkina Faso (53%) et même la Sierra Leone (51%), ou encore la Côte d’Ivoire contre-performant avec seulement 50%. Seuls la Guinée (45%), le Mali (31%) et le Niger (27%) se retrouvent très loin en queue de peloton avec moins de 50% de taux d’alphabétisation. Or pour rattraper une situation aussi catastrophique, les pays développent l’éducation primaire de base, améliorée par le second cycle général, technique ou professionnel, pour préparer les générations futures. Et même sur cet indicateur de l'éducation, le Mali affiche d’éloquentes contre-performances. En effet, entre 2000 et 2015, la scolarisation primaire n’a évolué que de 44% à 61% (la progression n’est donc que de 17 points). Il reste 39% d’enfants qui n’auront jamais mis les pieds à l’école, et qui iront grossir les rangs des 69% d’analphabètes, et parmi lesquels viennent piocher les criminels du terrorisme international. Le Niger qui a pris conscience de son retard, a progressé de 27% à 63% (soit un accroissement de 36 points !). Le Mali détient donc le record du plus faible taux de scolarisation dans la région (61%). Le Nigeria (66%) et le Niger (63%) accompagnent les mauvais scores sous le seuil de 70% de taux de scolarisation primaire. Seuls la Sierra Leone (99%), le Togo (98%), le Bénin (96%) et le Ghana (96%) ont franchi le seuil de 90% de taux de scolarisation, parmi les douze pays de plus de 5 millions d’habitants en Afrique de l’Ouest. Enfin, il découle de ces contre-performances du Mali que son indicateur de développement humain (IDH) de 2015 est de 0,44/1. Corrélé avec les indicateurs socio-économiques, et notamment avec le revenu moyen par habitant, cet IDH du Mali n’est supérieur qu’à ceux du Liberia (0,43/1) et de la Sierra Leone (0,42/1) ayant été ravagés par de longues guerres civiles que le Mali n'a jamais connues, de la Guinée (0,41/1), du Burkina Faso (0,40/1) et bien sûr du Niger (0,35/1), parmi les douze grand pays sur les quinze de l’Afrique Occidentale.

Conclusion et comparaisons utiles

     La crise politique actuelle au Mali s’accompagne d’une longue crise de gestion publique, de récurrentes tensions de fractures économiques et des défaillances dans la gouvernance globale du pays. Les solutions ne sont donc pas que politiques, elles sont également dans des ambitions de développement économique du pays et dans l’offre sociale. Enfin, le développement tant attendu des Maliens concerne les socles de ses principaux piliers bien connus : paix et sécurité durables, sécurité alimentaire, médico-sanitaire, éducation des enfants et de la jeunesse pour construire l'avenir, infrastructures, accès à l'énergie et transformations industrielles d'immenses ressources. Ces ressources ont été recensées, détaillées et largement présentées dans le livre : Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation (Ed. L'Harmattan) pour chacun des 54 pays du continent africain.

     Que les Africains cessent de penser que détenir un petit kiosque de vente de boissons au coin de la rue, ou encore que promener les paniers de beignets à travers la place du marché, constituent une base solide du développement. Ce sont des occupations utiles pour celles et ceux que le système n’a pas su intégrer. Et quand vous interrogez un lettré qui ne se débrouille, en jonglant pour survivre, il vous répond qu'il « fait des affaires !». Personne ne nie d'énormes dégâts causés par la colonisation dans la mentalité des Africains. Néanmoins, près de soixante ans après les indépendances, les Africains doivent changer de logiciel de fonctionnement de leur operating system et modifier profondément les algorithmes de raisonnement.  Aussi, parmi les piliers du développement, autant pour le Mali que pour les autres pays de la région de l’Afrique Occidentale, figure l’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique, comme l'on vient de l'indiquer plus haut. Le tableau synthétique suivant résume la situation relative du Mali par rapport aux autres pays de sa région, dans l’accès à l’énergie électrique pour les habitants. Entre 1990 et 2016, selon les données de la Banque Mondiale, le Mali n'a progressé que de 35 points dans la distribution de l’électricité aux habitants, contre 56 points pour le Ghana, 47 points pour le Togo ou encore 39 points pour le Sénégal. Avec 35% de Maliens accédant à l’électricité, le Mali se situe très au-dessous de la moyenne (43%) du taux de distribution d’électricité en Afrique subsaharienne. Cependant, de nombreux autres pays de la région sont encore moins bien équipés. On y retrouve les mêmes pays pauvres de la région : Guinée (34%), Sierra Leone et Liberia (20%), Burkina Faso (19%) et toujours Niger comme dernier pays, avec 16%. Le moins bien équipé, mais encore de loin moins peuplé que le Mali, reste alors la Guinée-Bissau (15% de ses 1,7 million d’habitants accèdent à l’électricité).  De toutes les régions du monde, l’Afrique subsaharienne est la moins bien équipée en électricité, puisque 43% seulement de ses habitants y accèdent en moyenne, contre 86% pour l’Asie du Sud ; 98% pour l’Amérique latine et les Caraïbes, comme pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Le mal sévit encore lourdement en Afrique. Dirigeants africains, qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi tant et tant de manque d'ambitions, d'initiatives et de programmes d'actions pour sortir du sous-développement ? Chacun des pays de ce continent doit se sentir un impérieux devoir de développement pour le bien-être de ses habitants. Le livre : « La Relance de l'Afrique » (ci-dessous) a été écrit pour vous ; il vous donne des ambitions chiffrées pour 2025. Africains et sociétés civiles, vous avez un outil pour exiger des résultats concrets et mesurables à vos dirigeants.

Tableau comparatif de synthèse

Nom du pays

 Energie
1990 (%)

 Energie
2016 (%)

Evolution
2016/1990

Population
2017

Cabo Verde

32,6

92,6

60,1

537 661

Ghana

23,5

79,3

55,8

28 959 391

Sénégal

25,1

64,5

39,4

15 726 037

Côte d'Ivoire

36,7

64,3

27,6

24 294 750

Nigéria

27,3

59,3

32,0

199 681 158

Gambie

16,2

47,8

31,5

2 008 741

Togo

0,0

46,9

46,9

7 352 781

Bénin

7,3

41,4

34,1

11 496 140

Mali

0,0

35,1

35,1

18 957 258

Guinée

6,4

33,5

27,1

10 909 896

Sierra Leone

7,1

20,3

13,2

7 553 270

Libéria

0,0

19,8

19,8

4 890 133

Burkina Faso

2,6

19,2

16,6

19 193 380

Niger

2,3

16,2

13,9

21 546 595

Guinée-Bissau

0,0

14,7

14,7

1 861 280

Afrique
Occidentale

 

52,6

 

374 968 471

source : Banque Mondiale, 2017. Traitement : Emmanuel Nkunzumwami

Région

 Energie
 1990

 Energie
2016

Evolution
2016/1990

Population
2017

Afrique du Nord
et Moyen-Orient

86,5

98,0

11,5

444 322 420

Amérique latine
et Caraïbes

85,6

97,8

12,2

644 137 670

Asie du Sud

40,6

85,6

45,0

1 788 388 850

Afrique
subsaharienne

15,9

42,8

26,9

1 061 107 720

Évolution de la distribution de l'électricité entre 1990 et 2016.
Objectif : atteindre 95% minimum pour chaque pays en 2025.

Il apparaît que l’Afrique subsaharienne présente un fort retard dans l’équipement en électricité. Au sein de l'Afrique, il se dégage un très fort décalage entre l’Afrique du Nord (98%) et l’Afrique subsaharienne (43%) sur le même continent, soit 444 millions d’habitants mieux dotés que 1.061 millions d’habitants de l’Afrique subsaharienne.

Le Liberia, le Burkina Faso, le Niger et la Guinée-Bissau n’ont pas encore atteint 20% de distribution d’électricité dans la population. La Guinée et le Mali n’ont pas encore atteint 40%. La moyenne de l’Afrique Occidentale est remontée par le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Nigeria, significativement peuplés. Le Bénin se situe au niveau moyen de l’Afrique subsaharienne. Pour faire face efficacement aux enjeux du développement, tous les pays sous la moyenne de 43% devraient se fixer une ambition d'atteindre 80% de taux d'accès à l'électricité en 2025. Et c'est possible, en investissant très vite dans l'énergie solaire et dans l'hydroélectricité.

Il y a une urgence manifeste à rattraper le niveau d'accès à l'électricité, une ressources indispensable au développement.

 

Emmanuel Nkunzumwami
Analyste économique et politique
Écrivain – Essayiste

Auteur de "Le partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation" et de "La Relance de l'Afrique".
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Président de Future Afrique Notre Avenir (FANA-F2A)

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