Les migrants venant d’Asie et d’Afrique offrent une nouvelle occasion de disserter sur l’histoire des mouvements des populations dans le monde.

       Qui ignore que, de tous temps, les humains comme tous les êtres vivants, ont toujours migré. Et dans notre histoire récente, les huit guerres de religion en France ont provoqué des migrations des Français vers les pays du refuge. La Suisse (principalement Genève et Bâle), l’Allemagne, la Hollande, l’Ecosse, l’Angleterre et plus tard, les Etats-Unis, le Canada et l’Afrique du sud ont été des terres d’accueil des Français chassés de leurs terres par des massacres d’extermination. C’était les guerres entre les Catholiques et les Protestants issus des Eglises de la Réforme.

Il y a eu des migrations forcées et meurtrières des Noirs vers les Amériques, principalement entre le Brésil et les Etats-Unis, en passant par des îles de l’Atlantique. C’était la traite négrière et le commerce des esclaves qui ont duré pendant quelques siècles. Depuis la découverte de l’Amérique, dès le début du 16e siècle, les nouvelles terres d’Amérique sont devenues attractives pour les Européens. Les Indiens ont été ainsi chassés de leurs terres, pour être remplacés par de nouvelles populations venues d’Europe et d’Afrique, principalement. Les Amériques (Amérique du nord, Amérique du sud, et les îles de l’Atlantique) ont ainsi accueilli d’importantes populations venues d’Afrique et d’Europe.

       Plus récemment, les deux dernières guerres mondiales ont provoqués des vagues de migrations intra-européennes, mais aussi vers les Amériques, à nouveau, et vers le reste du monde. Sans parler des horreurs de l’Holocauste, avec les déplacements des populations vers les camps de la mort. A un moment ou un autre de la vie des humains sur cette terre, les uns ont été heureux d’être accueillis, et les autres ont eu le bonheur de construire des espaces de vie partagés pour peupler leurs territoires.

       Mais, aujourd’hui la situation est différente, parce que le monde bouge et la mondialisation nous a mis en étroite proximité les uns avec les autres. Les guerres à cheval, à l’épée ou l’arc et la flèche des temps anciens, qui décimaient les villages mais pas les pays, se sont intensifiées en « industrialisation des guerres », avec des armes de plus en plus sophistiquées et très meurtrières depuis la seconde guerre mondiale. Les bombardements par l’aviation, les chars, les canons de grande portée, les bombes de haute précision et de longue portée… jusqu’à des bombes atomiques, etc. sont capables de décimer une population entière en quelques minutes. Et les armes sont disséminées à travers le monde, y compris entre les mains des terroristes et des criminels contre l’humanité. Tous les fanatiques, religieux ou ethniques, et tous les terroristes, accèdent à l’armement de destruction massive. Un monde nouveau est né. Nous aurons donc de plus en plus de « migrations de guerre », en attendant les prochaines « migrations climatiques ». Les mêmes régions en tensions sociales et en conflits, ne produisent ni de richesse, ni d'innovation contre les dégradations de leur environnement. La misère, la pauvreté, la famine s'accélèrent et amplifient les futures et très prochaines migrations climatiques... 

       Mais à ces migrations vont continuer à se superposer des migrations économiques poussées par la pauvreté et la misère. Les guerres civiles, les guerres des fanatiques  en Asie et en Afrique,  les incapacités des gouvernants à créer du développement, les violences permanentes dans de nombreuses régions du monde, créent de la pauvreté et de la misère. Les rescapés de ces violences et de ces misères viennent grossir les rangs des migrants en Europe et en Amérique du nord. Si l’on ne veut pas gérer des tensions et des conflits pouvant à leur tour créer des guerres civiles en Europe, il va falloir que la solidarité internationale inverse son fonctionnement. Il va falloir mettre les moyens technologiques et financiers importants pour « contribuer à créer du développement » en Afrique et en Asie. Ces deux régions de notre terre ont besoin du développement et des conditions favorables au maintien des Jeunes sur leurs terres. L’exil n’est jamais une solution durable pour un peuple.

       Mais, les migrations ne seraient-elles pas utiles aux territoires de destination ? Cela dépend de la situation des nouvelles terres d’accueil. Un territoire qui n’a jamais connu de migrants, au cours de sa très longue histoire, est un territoire à risques : 1-le risque de consanguinité et de la récession. A force de tourner entre cousins éloignés et proches, l’enferment peut conduire à de graves problèmes de transmissions génétiques susceptibles de conduire la population ainsi enfermée sur elle-même à des crises jusqu’à sa de disparition. 2-Le risque de retard dans l’évolution culturelle. Une population qui n’a jamais connu de migrants reste enfermée dans ses pratiques ancestrales. La diffusion de la culture venue d’ailleurs et de l’autocritique sur ces pratiques demeurent extérieures à la communauté. Le manque de confrontation aux pratiques venues d’ailleurs ne pousse pas à l’effort de l’autoréalisation, et la communauté reste en retard culturellement. C’est dans ces communautés fermées que l’on retrouve de forts taux d'incestes, d’illettrisme et de mono-activité artisanale. Et quand l’activité baisse, le chômage monte. Mais sans capacité de formation, d’ouverture et de goût de l’aventure, on s’expose à de graves crises sociales structurelles. 3-Le risque de xénophobie et de racisme aggravé par ignorance. Moins on côtoie les autres, moins on est enclin à les connaître et à les comprendre. Et toute personne qui s’invite dans une communauté fermée est perçue comme un « envahisseur », un « agresseur », un « potentiel destructeur de l’unité de la communauté ». Les tensions sociales et les violences montent, et la communauté fermée met tout en œuvre pour éloigner les nouveaux arrivants. A l’échelle nationale, cette situation crée « des fractures sociales » et des conflits permanents. Cela engendre des violences à répétition. L’intégration devient impossible, dès lors que les nouveaux arrivants sont « effectivement » rejetés ou vivent en « vase clos » pour se protéger, ou « cultivent simplement le sentiment » d’être rejetés, ignorés, abandonnés.

       L’intégration n’a donc lieu que si les nouveaux entrants et les occupants habituels acceptent d’échanger, de se parler, de se connaître. Les occupants habituels expliquent leur mode de vie, leurs modes de relation, leurs coutumes, leurs lois, leur fonctionnement. Mais, les nouveaux entrants expliquent aussi leurs origines, leurs pratiques, leurs croyances, leurs tabous, etc. C’est dans la confrontation des échanges que chacun fait des pas vers l’autre, dans les deux sens. Aussi, les Français du sud qui sont arrivés dans le nord de la France n’ont pas perdu leur accent, leurs origines ou leur histoire. Ils nous la font partager. L’intégration procède de ces rencontres pour puiser dans la culture de nos arrivants des éléments qui nourrissent et font évoluer nos pratiques. Mais les arrivants aussi essaient de s’approprier les pratiques des occupants habituels. Nous regardons ensemble ensuite vers l’avenir commun, partagé, et nous bâtissons les ambitions pour nos enfants, pour les générations futures et pour faire grandir notre Nation ; celle qui nous rapproche, qui nous rassemble et pour laquelle nous travaillons.

      Quant à l’assimilation, elle porte les dangers de perte de repère et d’identité. Rejeter son identité d’origine, les traces de son histoire, les fondements de son existence au profit d’une culture d’accueil dans laquelle les nouveaux arrivant tentent de se fondre peut comporter les dangers pouvant déboucher sur les violences et les révoltes. Pourquoi un Indien, un Noir africain, un Chinois devrait-il « oublier » qui il est, alors qu’il ne sait même pas ce qu’il va devenir ? Que se passe-t-il lorsque les occupants habituels font remarquer au « Noir » qu’il a des origines qui ne sont pas « strictement » européennes, que le «Chinois » ou le « Coréen » est  forcément venu d’ailleurs au cours de son histoire de migration ? Que se passe-t-il lorsque l’on fait comprendre à un « Provençal » qu’il est français, mais qu’il n’a pas le sang flamand du nord de la France, ni les coutumes ancestrales flamandes ? Pourquoi un Alsacien cesserait-il de penser à son Alsace, à ses traditions, à sa cuisine, à son histoire au prétexte qu’il vit en Bretagne ou dans le Midi de la France. Non seulement l’assimilation est dangereuse pour l’épanouissement des nouveaux arrivants, mais elle peut déboucher sur les conflits et les rejets sans amortisseur communautaire ou culturel de référence. La communauté nationale est une construction politique, et non une réalité quotidienne pour tous. L’assimilation valant perte de repère identitaire et culturelle est dangereuse. En revanche, l’intégration réussie reconnaît les différences sur lesquelles se construisent les complémentarités pour un avenir commun de la Nation. Chacun devient alors fier d’être une composante de notre Nation, et donne le meilleur de soi pour se valoriser et valoriser ce bien commun. Et puisque le français est la langue de la République, que nous appartenons tous à un territoire et que nous sommes tous régis par les mêmes lois, alors toute personne qui veut faire corps avec la France, doit intégrer totalement la langue, le territoire et les lois nationales dans son identité, et œuvrer pour le bien commun de la Nation. Cela, c’est de l’intégration. Et pour la réussir, il convient que les occupants habituels aient les capacités matérielles, financières, un fort équilibre et du temps pour aider à cette intégration, puisque cette dernière est première dans le processus du vivre ensemble, au sein d'une communauté nationale où chacun vit avec son identité.

       Une société fragilisée, fracturée, en désespérance et en perte de repère ne peut pas intégrer les nouveaux arrivants, perçus par la majorité comme des perturbateurs du très fragile équilibre existant. La France est actuellement dans ce dernier cas et ses capacités d’intégration sont réduites. Quand vous interrogez de nombreux maires en France, ils ont souvent la même réponse : nous n'avons pas de logements, nous ne disposons pas de moyens financiers pour prendre en charge les nouveaux migrants, et nous n'avons pas de travail à leur proposer. Lorsque dans une ville de 80.000 habitants, le maire informe que les dossiers de logements s'élèvent à 4.600 demandes en attente, il lui est très difficile d'expliquer à ses admininstrés qu'il n'a pas de logements, mais qu'il a pu loger quelques familles de nouveaux immigrants. Où est la priorité ? Et si de plus, la population est constituée d'une majorité de personnes pauvres ou en grande précarité, la commune est au bord de l'explosition. L'Etat enfonce le clou en proposant une très modeste contribution de 1.000€ par an et par famille accueillie ! Sait-on qu'un logement pour une famille coûte au moins 800€ par mois en province (appartement 3/4 pièces) ? Et pour intégrer cette famille primo-immigrante, il faut également scolariser les enfants qui ne parlent pas encore la langue française, il faut soigner la famille en cas de maladie, il faut nourrir la famille, il faut « alphabétiser » les adultes dont la langue d'origine n'est pas de structure latine... Accueillir un nouveau migrant, ce n'est pas seulement lui concéder quelques m² dans un petit logement à part, et le laisser se débrouiller.  Avant de recevoir nos hôtes, assurons-nous que nous avons déjà notre domicile où les accueillir.

 

Emmanuel Nkunzumwami

Auteur de "Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation", Editions L'Harmattan, 2013.

Migrations de guerres, migrations de misère et migrations climatiques vont se superposer.

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