LES BASES DES ACCORDS DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE AVEC L’AFRIQUE

par Emmanuel Nkunzumwami

 

Les États-Unis et l’Union européenne, comme l’ensemble des économies industrielles historiques occidentales, sont à bout de souffle pour leur croissance. Ils ont donc besoin de trouver un nouvel élan à travers les partenariats avec l’Afrique. De même, les relations deviennent difficiles et tendues dans des échanges économiques, industriels et commerciaux avec un de leur important client qu’est la Fédération de Russie. De plus, ils doivent supporter leur partenaire Ukrainien, mis à mal par cette même Russie dans le cadre de ses interventions militaires pour imposer ses dirigeants et ses politiques à l’Ukraine. Aussi, le président Vladimir Poutine impose une interdiction concernant le bœuf, le porc, la volaille, le poisson, le fromage, le lait, les légumes et les fruits en provenance des États-Unis, de l'Union européenne, de l'Australie, du Canada et de la Norvège. Il conviendra d’y ajouter le blé et le maïs d’origine de l’Union européenne et des Etats-Unis. Par ailleurs, les pommes, les bananes, les tomates, les pommes de terre, ainsi que la viande et le poisson représentent la plus grande part des importations agroalimentaires russes. Les importations agro-alimentaires pour nourrir les 142 millions de Russes coûtent annuellement plus de 38 milliards de dollars à la Russie. Celle-ci va alors devoir se tourner vers d’autres espaces mondiaux de production, en Amérique latine et en Afrique, puisque la Chine, l’Inde et le reste de l’Asie, sont déjà déficitaires en productions agro-alimentaires pour les besoins de leurs propres populations.

Les sommets divers : "Chine-Afrique", "Japon-Afrique", "Union européenne-Afrique" et maintenant "Etats-Unis-Afrique" visent un nouveau rééquilibrage des échanges économiques et commerciaux pour relancer les économies en grandes difficultés depuis 2007 en Europe et aux Etats-Unis. L’Afrique est devenue, de facto, le centre d’approvisionnement mondial en matières premières. Elle va devoir devenir également, à son insu si les dirigeants ne se réveillent pas, le nouveau centre mondial d’approvisionnement agro-alimentaire. Elle l’est déjà pour la Chine et une grande partie de l’Asie ; elle va aussi le devenir pour la Russie. Mais, en a-t-elle pris conscience ou s’est-elle préparée pour les négociations internationales dans de nouveaux équilibres économiques mondiaux ? Où en sont les rapports de force entre les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Chine comme principales puissances fortement intéressées par les ressources africaines ? Comment les pays africains s'organisent-ils pour y faire face ? Quels apports et avantages compétitifs apportent chacun des partenaires à l'Afrique, prise comme un ensemble cohérent ou représentée par ses "espaces géo-économiques" ?

 

L’avantage incontestable de 317 millions d’habitants, dotés de fortes capacités de consommation et des réserves pour l’investissement, confère aux États-Unis une force de frappe économique dont ne disposent pas les 500 millions d’Européens, dispersés dans 28 États de niveau très disparate. De même, les autres grandes puissances émergentes se présentent unies sous une même bannière nationale, alors que l'Union européenne reste un ensemble de nations défendant chacune ses propres intérêts économiques, industriels et commerciaux dans les négociations internationales.

 

Face aux grandes puissances anciennes et émergentes du monde : Chine (1349 millions d’habitants), Inde (1221 millions), Union européenne (500 millions), États-Unis (317 millions d’habitants), Indonésie (251 millions), Brésil (201 millions), Russie (142 millions), Japon (127 millions), Mexique (116 millions), l’Afrique est mal armée et se présente en ordre trop dispersé. Cependant, les nouvelles relations qui se construisent lui donnent l’occasion de se souder et de se déterminer dans le tourbillon de la mondialisation. Il lui appartient de savoir ce qu’elle veut réellement obtenir dans de nouveaux échanges internationaux, et de mesurer ses capacités face à la demande internationale.

 

Pour réussir les nouveaux PARTENARIATS AU DÉVELOPPEMENT, car c’est de cela qu’il s’agit, les pays africains ONT LE DEVOIR de se présenter en PARTENAIRES et non en MENDIANTS qu’ils ont été trop et trop longtemps. Pour se faire respecter, il faut savoir ce que l’on apporte dans la corbeille de l’échange. L’Afrique doit savoir qu’elle constitue plus de 50% des ressources naturelles du monde (minières et énergétiques), et qu’elle représente plus de 75% des terres cultivables disponibles. La famine et la misère sont donc des injures pour un continent gorgé de tant de richesses. Et si l’on ajoute qu’elle abrite plus de 1,1 milliard d’humains, soit 17% de la population mondiale, l’Afrique devrait se sentir forte et fière. Devant les grandes puissances historiques et les puissances émergentes, elle doit NÉGOCIER SA PLACE LÉGITIME dans les échanges économiques internationaux.

 

Mais pour se présenter proprement devant leurs partenaires (Américains, Européens, Chinois, Indiens, Indonésiens, Brésiliens, Russes, Japonais, Mexicains, etc.), les Africains doivent d’abord comprendre pour résoudre les antagonismes qui handicapent le développement de l’Afrique.

  1. La bonne gouvernance des États est indispensable. Elle ne se négocie plus car elle constitue la base même de la crédibilité politique des nations aujourd’hui. Les institutions des États doivent être respectées par les dirigeants. La démocratie doit sortir du jeu ne rapport numérique sur base ethnique, régionale ou tribale. De vrais dirigeants, dotés de vision et d’ambition pour l’Afrique, capables et totalement engagés pour le développement économique et social doivent sortir de l’ombre et prendre les commandes de leurs pays. Il n’appartient plus aux Puissances occidentales de décider « qui a gagné aux élections » selon les affinités politiques des anciennes puissances coloniales ou l’appartenance à des loges maçonniques où brigands et criminels cohabitent avec des hommes et des femmes de valeur. Les nouvelles compétences et de nouveaux talents doivent désormais s’exprimer dans la gestion de leurs pays. Les corruptions doivent être combattues avec toute l’énergie des dirigeants et des organisations internationales de contrôle. La Justice pour tous doit retrouver sa raison d'être, sa rigueur et toute sa place pour garantir le fonctionnement régulier des États, la sécurité des peuples et l’impunité des criminels de tous ordres.
  2. La sécurité physique, alimentaire, énergétique et sanitaire. Elle ne se négocie plus. Les Africains ne doivent plus choisir entre se taire et mourir dans l’indigence et se battre dans de multiples rébellions. Ces temps des périodes préhistoriques et antiques sont révolus. Les financements des guerres, des conflits armés, des insurrections multiples doivent être orientés vers les priorités de développement économique et social, les investissements industriels, l'éducation et la formation, et vers la construction et la maintenance des infrastructures.
  3. La meilleure organisation politique et territoriale. Tous les pays africains ne sont pas viables isolément. Sept pays représentent plus de 50% de la population africaine et quelques pays concentrent plus de 90% des richesses exploitées du continent. Il faut alors repenser le modèle d’organisation autour de cinq espaces géographiques. En Afrique subsaharienne, quatre régions doivent être renforcées et consolidées. La CEDEAO (Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest) est au cœur du développement économique, politique, monétaire et industriel de l’Afrique de l’Ouest. Elle doit s’imposer des règles de gouvernance et s’y tenir à travers des organes de régulation et de contrôle de l’ORC. L’espace de l’EAC (East African Community) est le noyau central duquel se développera l’Afrique de l’Est. Des cinq pays actuels, l’on peut prévoir l’extension sur l’Éthiopie, l’Érythrée et Djibouti. La Somalie attendra d’avoir éteint les feux de son autodestruction. L’Afrique centrale n’est nullement viable à long terme en dehors de la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale) qui doit réguler la paix, la sécurité, et la bonne gouvernance au sein des États membres. C’est la région la plus riche en ressources naturelles, et la plus pauvre en revenus disponible pour les habitants de toute l’Afrique. Un paradoxe qui s’explique par des guerres à répétition et une gouvernance globale calamiteuse. L’Afrique australe peut s’appuyer sur l’Afrique du Sud pour se développer, mais elle doit s’organiser autour d’un précieux outil commun qu’est la SADC (Southern African Development Community). Tous les moyens sont aujourd’hui réunis pour le décollage de la puissance économique, industrielle et politique de l’Afrique australe. Tout doit se penser au niveau régional et se décliner sur les objectifs de chaque État membre.

L’Afrique doit être consciente de ses capacités et de ses ressources.

  1. Les immenses terres agricoles fertiles doivent nourrir les Africains et constituer les bases d’un florissant développement de l’industrie agro-alimentaire. Il est honteux d’importer les produits alimentaires de base ou se faire prendre en charge par des organisations internationales de charité, alors que l’on vit entouré de forêts et d’une flore luxuriante.
  2. Les énormes ressources forestières contribuent à la richesse des peuples et à l'équilibre de l'environnement. Les bois rares, les essences diversifiées, l’équilibre écologique mondial se partagent entre l’Afrique centrale et l’Amazonie. Mais l’exploitation forestière reste entre les mains des prédateurs occidentaux et asiatiques, défendant leurs intérêts commerciaux aux dépens des Africains et des équilibres environnementaux pour notre terre et le reste du monde. Les partenaires diversifiés d’Amérique et d’Europe peuvent aider les États à mieux gérer ces précieuses ressources pour l’humanité.
  3. Les énormes ressources énergétiques restent inexploitées. Les cours d’eau avec leurs capacités hydroélectriques, les gisements de pétrole et de gaz abondants devraient apporter un confort énergétique aux Africains. Dans les négociations des PARTENARIATS AU DÉVELOPPEMENT avec les États-Unis, l’Europe, la Chine, l’Inde, le Brésil, etc., les Africains doivent exiger un programme et des résultats précis de développement du secteur énergétique au service des Africains. Enfin l’Afrique est bien dotée de soleil et d’autres ressources alternatives d’énergies renouvelables en surabondance. La pauvreté énergétique des Africains ne s’explique donc que par l’incompétence caractérisée des dirigeants à les valoriser toutes les ressources déjà disponibles.
  4. Les richesses minières mondiales dans toute leur diversité. L’Afrique est la terre de tous les minerais, avec plus de 50% des réserves mondiales des pierres précieuses. L’or, l’argent, le diamant, le colombo tantalite, le nickel, le cobalt, le zinc, le cuivre, etc. se trouvent en abondance sur le continent le plus pauvre du monde. L’Afrique n’a pas investi dans le savoir-faire de leur valorisation sur le continent. Il est temps que les Africains se réveillent pour se prendre en charge afin d’assurer leur propre développement industriel. Toutes les ressources sont déjà disponibles en Afrique. Il manque de l’intelligence et des moyens matériels pour les exploiter.
  5. Les ressources humaines sont une rare richesse. Le continent africain contient plus d’un milliard d’humains, dont plus de 40% sont des jeunes. Ils ont besoin de l’éducation, de la formation professionnelle et de toutes les sécurités pour se développer et s’épanouir sur le continent. Toutes les stratégies d’avenir du continent reposent sur la prise en compte de cet indicateur sociodémographique.

Quels contenus dans les partenariats au développement avec les États-Unis, l’Union européenne, la Chine et les autres puissances :

 

  1. Participer à la valorisation des ressources africaines en Afrique.
  2. Construire le développement par l’éducation, l’alimentation, la sécurité et la santé. Tous les pays africains sont jeunes. Le taux de scolarisation est encore trop modeste (moins de 50% des enfants sont scolarisés) et se répercute sur l’analphabétisme qui frappe plus de 70% des adultes dans de nombreux pays, notamment francophones en Afrique de l’Ouest. L’éducation et la formation professionnelle sont les fondations du développement économique, social et culturel. Tous les partenariats doivent contenir des programmes d’éducation et de formation professionnelle.
  3. Contribuer à la lutte contre les prédations politiques (dirigeants corrompus et à vie) et économiques (corruptions, abus de biens sociaux, détournements de ressources vers les pays occidentaux).
  4. Participer au développement des filières industrielles performantes, à partir des ressources naturelles du continent. L’Afrique ne doit plus se contenter de « vendre » les productions des pays riches, mais participer à la « création des richesses » par ses productions. On enrichit pas les peuples en ne les faisant que consommer les productions venus des pays déjà riches. On les aliène. Le développement des filières industrielles s’accompagne des efforts de recherche et développement. Aussi, en Afrique, les Universités et les Industries doivent s’engager dans des partenariats de recherche et d’innovation en Afrique. C’est la poursuite naturelle de l’éducation et le pilier de l’appropriation des savoir-faire de l’économie industrielle.
  5. Contribuer à la mise en place efficace des espaces régionaux viables, dynamiques et efficaces. Les accords de partenariat économiques n’ont aucun sens avec les États individuels, mais ne sont utiles à l’Afrique qu’à travers des espaces régionaux. Aussi, les nouvelles relances de croissance en Occident ne peuvent que profiter de la croissance au sein des espaces régionaux africains. Les pays occidentaux ne peuvent donc s’enrichir qu’avec les pays africains qui s’enrichissent également.
  6. Partager les stratégies sur les piliers du développement. Les nouveaux équilibres du monde ne peuvent plus se concevoir sans le partage des compétences en innovation industrielle, des investissements industriels de production en Occident et en Afrique, les échanges internationaux qui supposent des capacités de consommation en Afrique et en Occident. Les économies occidentales ne peuvent donc pas se relancer sans le développement des pays africains. La croissance arithmétique et statistique du PIB ne signifie pas le développement économique et social. Les leviers du développement ont été indiqués dans ce texte.
  7. Construire ensemble les plans d’urbanisation des États. De nombreuses capitales africaines sont sursaturées, déséquilibrées dans l’habitat, et concentrent plus de 80% de taux de pauvreté. Elles sont majoritairement insalubres. Les Dirigeants doivent repenser la création des pôles économiques régionaux pour déconcentrer les capitales surchargées, ouvrir l’économie et ses filières à d’autres territoires du pays, et participer à l’équilibre économique et démographique.
  8. Construire des infrastructures de communication et de transport. Les derniers rails des chemins de fer ont été posés par les puissances coloniales avant l’indépendance dans de nombreux pays. Depuis 50 ans, la population africaine a plus que doublé mais les infrastructures de transport demeurent rudimentaires, autant dans les centres urbains que dans les liaisons intérieures des pays. Il n’y aura pas de développement sans les infrastructures de communication.
  9. Participer à la construction, au transport et à la distribution de l’énergie. L’électricité et le gaz sont devenus des moyens incontournables pour l’éclairage, la préparation des aliments sans dégrader es équilibres écologiques par le déboisement, et l’ensemble des outils du développement moderne. A ce jour, moins de 20% accèdent à l’électricité dans de très nombreux pays francophones. L’énergie n’est plus un luxe, mais une nécessité pour accéder à des ressources vitales des peuples.
  10. Contribuer à la création des Forces de Réaction Rapide, d’Intervention et de Sécurisation des États. Il s’agit de protéger les peuples contre les dérives guerrières de certains dirigeants, contre les insurrections provoquant des guerres civiles et contre les agressions mutuelles des États. Les situations au Mali, en Centrafrique ou au Nigeria démontrent l’importance de la mise à disposition de forces africaines de maintien de la sécurité publique et de paix durable pour créer de meilleures conditions de développement.

Les Chefs d’État et de Gouvernement africains, convoqués tantôt par la Chine, tantôt par le Japon, tantôt par l’Union européenne, tantôt par les États-Unis ne semblent pas montrer de la maturité dans leurs demandes, et les axes précis du développement qu’ils veulent pour leurs pays respectifs. Il est donc important que les partenaires extérieurs n’acceptent plus les accords bilatéraux uniques dont seuls profitent les dirigeants et leurs complices pour détourner les aides publiques et les fonds alloués aux programmes de développement. Privilégier, a minima, les accords de partenariat économique avec les espaces économiques rassemblant plusieurs pays. Cela oblige les pays africains à élaborer ensemble les stratégies de développement coordonnées, convergentes, et aux partenaires extérieurs de s’assurer de l’élargissement des chances de développement sur plusieurs pays, et donc sur des populations plus nombreuses afin d'accroitre les capacités de consommation en Afrique. A la suite des « Sommet PuissanceX-Afrique », des résolutions et des budgets de développement sont décidés. Il appartient alors aux agences indépendantes, africaines et internationales, d’évaluer les résultats de ces sommets en rapport avec les affectations des financements, et de responsabiliser ouvertement et publiquement les États ayant failli à leurs engagements. La mondialisation impose désormais des rigueurs dans la gestion publique des ressources et des stratégies cohérentes de développement.

 

Emmanuel Nkunzumwami

Essayiste, Analyste économique et politique.

Auteur de "Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation".

 

Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation, Editions L'Harmattan, 2013.

Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation, Editions L'Harmattan, 2013.

Emmanuel Nkunzumwami, Essayiste, Analyste économique et politique.

Emmanuel Nkunzumwami, Essayiste, Analyste économique et politique.

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