Les Africains détruisent leurs pays, et les Occidentaux leur donnent des armes.
21 juil. 2015Publié le 21/07/2015 - 09:09
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Les bureaux de vote ont ouvert au Burundi ce mardi 21 juillet pour une élection présidentielle boycottée par l’opposition et qui devrait offrir un troisième mandat à Pierre Nkurunziza.
Et aussi...
“Le régime de Nkurunziza continue de foncer tête baissée dans ses turpitudes”, estime le quotidien burkinabé Le Pays, alors que se tient le 21 juillet au Burundi le scrutin présidentiel contesté par l’opposition, qui dénonce une “mascarade”. Le président Pierre Nkurunziza brigue un troisième mandat, et a refusé de reporter l’élection, malgré les appels de l’opposition et de la communauté internationale. Cette élection intervient quelques semaines après des législatives également contestées, qui ont donné lieu à des affrontements dans le pays.
Une élection envers et contre tout
Le journal d’Ouagadougou dénonce l’“aveuglement” du président, qui “prouve que le maître de Bujumbura n’a qu’une seule idée en tête : rester au pouvoir. Et cela quel qu’en soit le prix. Peu importe si l’opposition politique ne participe pas aux élections. Peu importe si la société civile et la communauté internationale font grise mine. Pierre Nkurunziza emprunte une voie ensanglantée et marche sur les cadavres de ses concitoyens vers un triomphe nauséeux.”
Le quotidien burkinabé se fait peu d’illusions quant aux résultats à attendre à la sortie des urnes, les électeurs étant sous la menace de “représailles de toute nature”, et appelle la communauté internationale à s’impliquer davantage pour “affirmer son option pour la démocratie et l’Etat de droit”. Prendre acte de la “forfaiture” de Nkurunziza serait une “erreur monumentale”, affirme Le Pays.
La révolte contre Nkurunziza ne faiblit pas
Le scrutin s’est ouvert dans un climat tendu. Des explosions et des tirs ont retenti lundi soir dans les rues de Bujumbura.
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La lecture de cette publication appelle trois observations :
1°- Je ne soutiens nullement que les dirigeants africains contreviennent aux dispositions constitutionnelles de leurs propres pays, mais je ne soutiens absolument pas que les Africains continuent de pleurer pour demander toujours la médiation à l’inexistente « communauté internationale ». Les situations sont très variées en Afrique : les situations en Libye, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique, au Mali ou au Nigeria ne sont nullement comparables. Mais une solution africaine est toujours unique : "appeler la communauté internationale (les parrains qui fabriquent, vendent et exportent les armes de plus en plus sophistiquées en Afrique). La communauté internationale n’a aucune existence juridique internationale. Elle n’a aucune légalité en dehors de l’Organisation des nations unies (ONU). Mais quand les Africains commencent à tousser, ou n’arrivent pas à s’entendre pour la gouvernance de leurs propres pays, il y a toujours un parrain (la France pour les pays francophones ou des pays qu’elle veut contrôler) pour réunir les membres du fameux Conseil de sécurité de l’ONU et obtenir une « autorisation » de mener la « guerre de médiation ». Avez-vous pris la peine de lire l’Accord d’Arusha de 2000 et la Constitution du Burundi de 2005 ? Ce pays est indépendant depuis le 1er juillet 1962, c’est-à-dire depuis 53 ans. C’est donc un pays majeur, adulte et qui devrait se prendre en charge pour son développement. Pourquoi appeler encore la nébuleuse « communauté internationale » pour régler un « contentieux électoral ». La Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Argentine, le Chili ou le Brésil ont connu « d’effroyables dictatures » longtemps encore après l’indépendance de nombreux pays africains. Ont-ils aujourd’hui besoin de la « communauté internationale » pour organiser et contrôler leurs élections nationales ? La France ou le Royaume-Uni ont-ils appelé l’ONU pour régler les querelles électorales. Je refuse que les médias africains perpétuent « l’infantilisation des Africains » en répétant en boucle et inconsciemment ce que les Occidentaux leur font dire… Non, je n’appelle pas la Communauté internationale pour régler le contentieux électoral du Burundi. C’est aux Burundais et aux membres de l’EAC de trouver une sortie de crise. Les journalistes peuvent constater et informer, mais ils sont mal indiqués pour proposer des solutions d’interventions extérieures dans des conflits de pouvoir en Afrique. L’on sait les dégâts de ce type d’intervention en Libye, et qu’il ne faudra plus jamais reproduire en Afrique. Médiation militaire en cas de conflit ouvert, oui. Pour les élections, les Africains DOIVENT trouver les solutions eux-mêmes.
2°-Le Burundi traverse une douloureuse crise « pré-électorale » et sûrement également qu’elle se prolongera après cette élection présidentielle. Je l’ai écrit et je le répète : ce sont les Burundais eux-mêmes qui n’ont pas clarifié les termes et la limitation de la « Première période post-transition ». Il y a une confusion sur cette appellation et sur le mandat de 2005 à 2010. Avant d’appeler la communauté internationale, ne fallait-il pas s’interroger, entre Burundais et avec la contribution des voisins de l’EAC ou même avec d’autres amis africains, si l’on ne devait pas d’abord revoir ensemble les éléments de blocage dans ce texte. Les solutions aux problèmes africains se trouvent en Afrique ; les résolutions de conflits éventuels se trouvent également dans les pays où ils sont générés. Non, je n’appelle pas la « communauté internationale » pour venir m’apprendre à lire le texte que j’ai moi-même écrit. Est-ce qu’un mandat de 5 ans vaut la mort de plus de 100 personnes ? Réfléchissez et ne demandez pas à la France, aux Etats-Unis, à la Belgique ou à toute autre puissance extérieure de réfléchir à la place des Africains concernés. Il y a des personnes sensées dans les deux camps qui s’affrontent au Burundi ; qu’ils se rencontrent et qu’ils discutent entre eux. La lumière sortira du dialogue et des débats ouverts apaisés, et non de l’intervention armée de la « communauté internationale ». La solution du Burkina Faso et des Burkina bè, qui ont réussi à chasser Blaise Compaoré du pouvoir après plus de 27 années de pouvoir ininterrompu alors qu’il s’y était d’abord installé par un coup d’Etat militaire, n’est pas exportable en l’état dans de nombreux autres pays africains, et encore moins au Burundi. Dans ce dernier, il n’y a pas eu accès au pouvoir par un coup d’Etat, ni plus de 27 ans de pouvoir, ni de manipulation de la constitution pour s’octroyer un 3e mandat indu. Il y a un débat sérieux sur l’interprétation de la Constitution. Et d’autres paramètres internes nourrissent les rancœurs et alimentent les confrontations violentes armées.
3°-Les difficultés du Burundi sont concentrées dans la mauvaise gouvernance depuis de nombreuses années, la pauvreté et la misère qui se sont répandues dans le pays, et le retard important sur la voie du développement économique et social. L’accès au pouvoir est devenue une voie de sortie vers le bien-être personnel et de sa famille. La guerre ou toutes les violences armées, sous des prétextes socio-ethniques, régionalistes ou politiques, ne seront jamais des solutions au retard de développement. Il appartient aux Burundais eux-mêmes de « penser leurs stratégies de développement » au lieu de s’entretuer pour le pouvoir. En réalité la question au Burundi ou ailleurs en Afrique, c'est Qu'est ce que nous voulons, et où voulons-nous aller ? Si l'inconnue et généreuse communauté internationale devait intervenir, ce serait pour appuyer les projets de développement, accompagner en partenariat, et apporter du financement en investissement industriel pour faire avancer le pays. Ce n’est pas pour apporter les armes en vue détruire davantage ce beau pays et aider à massacrer une partie de sa population. La réponse à ma pauvreté et à la misère, c'est le développement économique et social. Et les piliers de ce développement sont la paix et la sécurité durables, l'éducation et la formation professionnelle de la jeunesse, la sécurité alimentaire et médico-sanitaire, et les infrastructures de communication. La guerre n'a jamais été une solution au développement en Afrique. C'est tout le contraire.
Amis Burundais, le Burundi est votre plus précieux patrimoine commun. N’écoutez pas les destructeurs qui n’attendent plus que la guerre éclate pour vous vendre de nouvelles armées. Le problème électoral, c’est votre propre problème. L’interprétation de la constitution, c’est votre affaire. Les Burundais sur les collines verdoyantes de Cibitoke, Kirundo, Muyinga, Cankuzo, Kayanza, Ruyigi, Rutana, Makamba, Muramvya, Mwaro, Gitega, Bururi et ailleurs, ont besoin de paix et de sécurité durables pour s’occuper de leur avenir et celui de leurs enfants. Quand vous pensez aux élections, pensez à ce que vous pourrez apporter aux dix millions de Burundais qui vous regardent dans les yeux, et qui attendent beaucoup des politiques pour se construire sur leurs collines. Quels sont les vrais enjeux du Burundi ? Sortir la population de 10 millions de la misère et les aider à construire leur mieux-être et l'avenir de leurs enfants. Ce sont nos parents, nos frères, nos soeurs et nos enfants ; ils ont besoin de notre aide pour construire leur développement économique et social, pas d'une nouvelle guerre civile. La nébuleuse communauté internationale ne pourra jamais se substituer aux Burundais pour penser et construire votre avenir à votre place. Avant d’engager des conflits armés qui enrichissent les fabricants, exportateurs et vendeurs d’armes, réfléchissez à leurs conséquences sur les dix millions de Burundais qui croupissent dans la pauvreté et la misère. Dire non à la pauvreté et à la misère, c'est aussi dire non à la guerre
Emmanuel Nkunzumwami
Essayiste, Analyste économique et politique
Auteur de "Le Partenariat Europe-Afrique dans la mondialisation" (Ed. L'Harmattan, 2013).