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I-                Introduction :

L’Afrique n’a pas manqué de rêve, mais elle continue de pécher par irréalisme dans un monde qui évolue à une vitesse telle qu’elle se perd dans les « palabres », sommets après sommets pour se construire une identité politique, économique et culturelle sans y parvenir. Dès les indépendances depuis 1958, les rêves ont marqué les acteurs des luttes d’indépendance. Le 23 novembre 1958, l’Union Ghana-Guinée est créée sous l’impulsion des leaders Kwame Nkrumah du Ghana et Sékou Touré de la Guinée. Elle devient rapidement l’ « Union des Etats Africains » à laquelle adhère le Mali amené par Modibo Keita en avril 1961. Mais les difficultés commencent dès l’accession à l’indépendance des anciennes colonies françaises d’Afrique auxquelles la France du Général de Gaulle propose l’union au sein des Colonies Française d’Afrique avec une monnaie commune, le Franc CFA conçue et gérée par la France. Sékou Touré s’y oppose et devra rechercher d’autres partenaires et soutiens extérieurs. Déçu par la Russie, Sékou Touré se rapproche des Etats-Unis en 1962 pour sa protection et la gestion de l’économie de son pays encore chancelant tout droit sortie « tout nu » de la colonisation. L’ « Union des Etats Africains » est dissoute sur les divergences entre les socialistes Kwame Nkrumah et Modibo Keita restés fidèles au marxisme et Sékou Touré converti au réalisme par les Etats-Unis. Mais l’idée de l’ « Unité Africaine » postcoloniale est reprise par 32 Etats qui se réunissent le 25 mai 1963 à Addis-Abeba, en Ethiopie, pour créer l’ « Organisation de l’Unité Africaine-OUA ». L’Ethiopie offre une garantie d’indépendance vis-à-vis des pressions extérieures comme le seul pays africain ayant résisté à la colonisation après une lutte contre l’Italie et conduit par l’Empereur Hailé Sélassié.

II-               Le mal congénital de l’Unité Africaine :

Dès sa naissance, l’Organisation de l’Unité Africaine doit gérer les crises à répétition. Le ballet des « coups d’Etat » se met en marche enregistrant un triste record mondial de plus de 70 coups d’Etat qui défient les objectifs de paix, de démocratie et de stabilité sur le continent. Parmi ces crises destructrices au sein même des Etats fondateurs de l’OUA à peine sortis de la colonisation, il conviendrait de signaler celles qui ont marqué les mémoires. 1963, le Congo-Brazzaville, le Bénin (ex-Dahomey) et le Togo ouvrent le bal. David Moussaka, Félix Mouzabakani et Alphonse Massamba-Debat renversent Fulbert Youlou au Congo-Brazzaville ; Christophe Soglo renverse Hubert Maga au Bénin (ex-Dahomey) et au Togo, Emmanuel Bodjollé renverse Sylvanus Olympio. En 1965 en Algérie, Houari Boumediene renverse Ahmed Ben Bella et au Congo, Mobutu Sese Seko renverse Joseph Kasavubu. De même, au Bénin, Christophe Soglo à nouveau renverse Sourou Migan Apithy. En 1966 au Burkina Faso, Sangoulé Lamizana renverse Maurice Yameogo ; au Burundi, Michel Micombero renverse le roi Ntare V ; en République Centrafricaine, Jean Bedel Bokassa renverse David Dacko ; au Ghana, Joseph Arthur Ankrah renverse Kwame Nkrumah ; au Nigeria, Johnson Aguiyi-Ironsi renverse Nnamdi Azikiwe et celui-ci est renversé la même année six mois plus tard par Yakubu Gowon ; celui-ci  garde le pouvoir pendant toute la guerre civile de sécession la plus meurtrière entre le Biafra et le Nigeria qui a duré du 6 juillet 1967 jusqu'au 15 janvier 1970 et qui aura coûté la vie à 100.000 soldats et plus d'un million de morts civils. En Ouganda, Milton Obote renverse  le roi Edward Mutesa. En 1967 au Bénin, Kouandété renverse Christophe Soglo.  En 1968 au Mali, Moussa Traoré renverse Modibo Keïta. En 1969 en Libye, Mouammar Kadhafi renverse le roi Idris Ier ;  au Soudan, Gaafar Nimeiry renverse Ismail al-Azhari et au Bénin à nouveau, Paul Emile de Souza renverse Kouandété.

En 1971 Ouganda, un nouveau Coup d’Etat permet à Idi Amin Dada de renverser Milton Obote. En 1972 au Bénin à nouveau, Matthieu Kérékou renverse le triounvirat du Conseil Présidentiel et au Ghana à nouveau, Ignatius Kutu Acheampong renverse Edward Akufo-Addo. En 1973 au Rwanda, Juvénal Habyarimana renverse Grégoire Kayibanda. En 1974 en Éthiopie, Aman Andom renverse l’empereur Hailé Sélassié Ier et il est immédiatement lui-même destitué par Mengistu Hailé Mariam ; au Niger, Seyni Kountché renverse Hamani Diori. En 1975, au Nigeria encore, Murtala Muhammed renverse Yakubu Gowon ; au Tchad, Noël Milarew Odingar renverse François Tombalbaye. En 1976, à nouveau au Burundi, Jean-Baptiste Bagaza renverse Michel Micombero. En 1977, au Congo à nouveau, Joachim Yhombi-Opango renverse Marien Ngouabi. En 1978 en Mauritanie, Mustafa Ould Salek renverse Moktar Ould Daddah et au Ghana à nouveau, Frederick William Kwasi renverse Ignatius Kutu Acheampong. En 1979 en République Centrafricaine à nouveau, David Dacko renverse le fantasque empereur Bokassa Ier ; au Ghana, le ballet continue avec Jerry John Rawlings qui renverse Frederick William Kwasi et au Tchad à nouveau, c’est Goukouni Oueddei qui renverse Félix Malloum alors qu’en Ouganda, Yusufu Lule renverse Idi Amin Dada.    

En 1980 au Burkina Faso, Saye Zerbo renverse Sangoulé Lamizana et au Libéria, Samuel Doe renverse William Richard Tolbert. En 1981 à nouveau en République Centrafricaine, André Kolingba renverse David Dacko et à nouveau au Ghana, Jerry John Rawlings revient pour renverser Hilla Limann. En 1982 au Burkina Faso, Jean-Baptiste Ouédraogo renverse Saye Zerbo ; au Tchad à nouveau Hissène Habré renverse Goukouni Oueddei. En 1983 au Burkina Faso, Thomas Sankara renverse Jean-Baptiste Ouédraogo et au Nigeria, Muhammadu Buhari renverse Shehu Shagari. En 1984 en Guinée, Lansana Conté renverse Louis Lansana Beavogui et en Mauritanie, Maaouiya Ould Taya renverse Mohamed Khouna Ould Haidalla. En 1985 au Nigeria, Ibrahim Babangida renverse Muhammadu Buhari ; en Ouganda, Basilio Olara Okello renverse Milton Obote et au Soudan, Swar al-Dahab renverse Gaafar Nimeiry et immédiatement Ahmed al-Mirghani renverse Swar al-Dahab. En 1987 au Burkina Faso, Blaise Compaoré renverse Thomas Sankara ; au Burundi à nouveau, Pierre Buyoya renverse Jean-Baptiste Bagaza ; en Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali renverse Habib Bourguiba. En 1989 au Soudan, Omar el-Béchir renverse Ahmad al-Mirghani.    

En 1990 au Libéria, Prince Johnson renverse Samuel Doe. En 1991 au Mali, Amadou Toumani Touré renverse Moussa Traoré. En 1992 en Algérie à nouveau, le Haut conseil de sécurité renverse Chadli Bendjedid et en Sierra Leone, Valentine strasser renverse Joseph Momoh. En 1993 au Nigeria à nouveau, Sani Abacha destitue Ernest Shonekan. En 1996 à nouveau au Sierra Leone Julius Maada Bio renverse Valentine Strasser ; au Burundi, Pierre Buyoya revient au pouvoir et renverse Sylvestre Ntibantunganya arrivé au pouvoir selon la constitution après l'assassinat du premier président élu Melchior Ndadaye, et au Niger, Ibrahim Baré Maïnassara renverse Mahamane Ousmane. En 1999, en Côte d'Ivoire, Robert Guéï renverse Henri Konan Bédié et au Niger, Daouda Malam Wanké renverse Ibrahim Baré Maïnassara. L’Organisation de l’Unité Africaine a donc échoué à « maintenir la paix, assurer la stabilité politique et instaurer la démocratie » au sein des Etats membres. Les guerres civiles sur les bases tribales, ethniques, religieuses ou régionales détruisent les pays, accroissent les corruptions et plongent les nations dans la pauvreté ; la misère et la famine gagnent les peuples ; les présidents sont assassinés au Nigeria et au Burundi ; en 1994 le Rwanda connaît le plus grand génocide de l'histoire après la Shoah et la plus forte densité de tueries (plus d'un million de vies exterminées en quelques mois).

          Malgré ces échecs, l’OUA continue de porter des rêves. Le traité du 3 juin 1991 Abuja au Nigeria prévoit la création d’un marché commun pour l’ensemble du continent avant 2025. Ce nouveau «rêve de l’intégration politique » malgré la « faillite économique » d’un grand nombre d’Etats conduit Muammar al-Kadhafi à proposer la transformation de l’Organisation de l’Unité Africaine en Union Africaine selon le rêve du « panafricanisme » le 9 septembre 1999 lors du sommet de Syrte en Libye. Cette déclaration se conclut par un acte constitutif de « l’Union Africaine » signé le 11 juillet 2000 à Lomé au Togo. Enfin, c’est le 9 juillet 2002 que l’Union Africaine (UA) se substitue officiellement à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et c’est à au sommet de Maputo au Mozambique, en juillet 2003, que les institutions de l’UA sont mises en place : la Commission de l’UA, le Parlement panafricain et le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS). L’Union Africaine s’est constituée sur le modèle de l’Union Européenne et risque de lui emprunter également toutes les sources d’inefficacité en plus des problèmes propres aux Etats africains eux-mêmes. Cependant, les Etats-Unis soutiennent la démarche et nomment le premier ambassadeur hors Afrique auprès de l’UA en novembre 2006. L’Union Africaine, c’est alors 54 Etats membres (le Maroc s'est retiré en 1984) contre 27 pour l’Union Européenne (soit un nombre d'Etats de l'UA double de celui des Etats membres de l'UE en crise). La Conférence de l’UA est comparable au Conseil de l’Europe, composé des Chefs d’Etat ou de gouvernement. Le Parlement panafricain de 265 membres siégeant à Midland (RSA) est comparable au Parlement européen siégeant à Bruxelles et Strasbourg. Le Conseil exécutif de l’UA est comparable au Conseil des ministres de l’UE. L’Autorité de l’UA est comparable à la Commission de l’UE, composée du président de l’Autorité (président de la Commission de l’UE) assisté de dix commissaires et siégeant au siège de l’UA à Addis-Abeba comme le président de la Commission de l'UE siège à Bruxelles. C'est cette Autorité de l'UA qui vient de changer de président en la personne de Madame Nkosazana Dlamini-Zuma, ancienne ministre des Affaires Etrangères et de l'Intérieur de la République Sud-Africaine, élue le 15 juillet 2012 contre le candidat en exercice présenté par le Gabon, Jean Ping). La Cour Africaine de Justice est comparable à la Cour Européenne de Justice.  Pour poursuivre l’intégration politique et économique des 54 Etats membres, il est même prévu la création de la Banque Centrale Africaine siégeant à Abuja au Nigeria, la Banque Africaine d’Investissement siégeant à Tripoli en Libye et le Fond Monétaire Africain à Yaoundé au Cameroun.

Pendant que les ambitions se poursuivent et qui rapprochent l’Afrique du reste du monde dans la recherche d’intégration au sein de la nouvelle organisation de l’Union Africaine depuis 2002, les coups d’Etats se poursuivent également. En 2003 en République  Centrafricaine à nouveau, François Bozizé renverse Ange-Félix Patassé en en Guinée-Bissau, Verissimo Correia Seabra renverse Kumba Yala. En 2005 en Mauritanie, Ely Ould Mohamed Vall renverse Maaouiya Ould Taya. En 2008 et toujours en Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz renverse Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et en Guinée, Moussa Dadis Camara s’impose en prenant le pouvoir à la mort de l’ancien dictateur Lansana Conté. En 2009 au Madagascar, Andry Rajoelina renverse Marc Ravalomanana. En 2010 à nouveau au Niger, Djibrilla Hamidou renverse Tandja Mamadou. Et le dernier coup d’Etat date du 22 mars 2012 au Mali où Amadou Sanogo renverse Amadou Toumani Touré. A ces coups d’Etat militaires, il convient d’ajouter les crises politiques et les guerres civiles où l’Union Africaine n’est pas parvenue à s’imposer pour régler ces conflits. Au Togo, à la mort de Gnassingbé Eyadema le  5 février 2005, son fils Faure Gnassingbé court-circuite la constitution et s’impose à la présidence pour ensuite se faire élire comme président le 4 mai 2005. La Somalie est en décomposition politique depuis les années 1990 et le pays n’a toujours pas de gouvernement légal sur son sol. L’UA ne dispose pas de moyens matériels pour assurer la stabilité politique des Etats membres. Au Darfour, le Soudan du Nord a fait de cette région et de ses habitants ses souffre-douleur. L’Union Africaine s’est opposée à l’arrestation du président Omar al-Bashir condamné en 2008 par le Tribunal Pénal International pour crime de guerre, mais n’a pas les moyens de financer et équiper un modeste contingent insuffisant de 7000 soldats de maintien de la Paix au Darfour. En Côte d’Ivoire, le deuxième tour d’une élection présidentielle du 28 novembre 2010 tourne en tragédie humaine. L’ONU, manipulée par les puissances occidentales, et la France mobilisent leurs moyens militaires pour écarter le président Laurent Gbagbo du pouvoir, le capturer et le remplacer par Alassane Dramane Ouattara. L’Union Africaine est incompétente à résoudre cette crise postélectorale et le panel de cinq chefs d’Etat mandatés par l’UA échoue à proposer et imposer la solution africaine à ce désaccord politique qui a dégénéré en conflit armé meurtrier. Le printemps arabe dans les pays de l’Afrique arabo-musulmane du Nord s’est terminé par les changements de régimes politiques en Tunisie et en Egypte. L’Union Africaine n’a eu aucune action dans ces mouvements pour proposer des évolutions démocratiques réclamées par les peuples, ni dans de tragiques changements qui continuent d’ébranler le continent. En Libye, la crise politique sombre dans une guerre civile contre le régime de l’inspirateur de l’Union Africaine, Muammar al-Kadhafi en mars 2011. Le même scénario ivoirien du panel des cinq chefs d’Etat mandatés par l’Union Africaine pour trouver une solution politique pacifique en Libye se reproduit : le panel est court-circuité par l’OTAN qui conduit les opérations militaires aux côtés des insurgés de Benghazi et la guerre est conclue par la défaite de l’armée régulière et la mort du "guide libyen auto-proclammé" Muammar al-Kadhafi en août 2011. Le Conseil National de Transition (CNT), qui s'est imposé dans cette guerre civile, est reconnu par la Ligue Arabe à laquelle adhèrent la Libye et les autres pays de l’Afrique arabo-musulmane, ainsi que par les pays occidentaux ayant financé l’OTAN dans ces opérations. L’Union Africaine n’a pas d’autre solution que de reconnaître le Conseil National de Transition (CNT) tant son financement dépend des Occidentaux qui ont mené la guerre en Libye. La guerre de plus de trente années au Soudan qui s’est soldée par la scission entre le Soudan du Nord et le Soudan sud a échappé aux modestes capacités de l’Afrique ; ce sera grâce aux USA et aux Etats voisins que la solution radicale a été mise en œuvre en janvier 2011, même si le nouvel Etat du Sud-Soudan reste sous la pression de la guerre imposée par le Nord-Soudan sous le regard impuissant de l’Union Africaine. Aujourd’hui, le Mali est soumis à une décomposition politique et territoriale due à la diffusion de la guerre de Libye vers le nord du Mali par les groupes islamistes armés, sur le mode des mines antipersonnelles à visage humain, avec l'appui de nombreux groupes islamistes radicaux étrangers au continent africain. C'est le début de "l'afghanistanisation" du Sahel. La CEDEAO à laquelle adhère le Mali est incapable d’y apporter une solution. L’Union Africaine en arrive à se remettre à des puissances occidentales et à l’ONU pour la réunification du Mali, sachant que c’est la même « communauté internationale » qui a décidé et conduit la guerre en Libye dont le Mali n’est qu’un des dommages collatéraux. L’Union Européenne (UE) qui est l’inspiratrice de l’organisation de l’Union Africaine traverse elle-même une crise politique et économique. C’est un ensemble de 27 Etats de niveaux économiques, politiques et sociaux inégaux et dont les décisions importantes à l'unanimité sont paralysées par un nombre d'Etats trop important pour s'inscrire dans des orientations convergentes ; à plus forte raison, la paralysie est assurée pour 54 Etats de l'UA. Aussi, l’UE est construite autour des Etats moteurs (le cœur de l’UE) constitués en zone Euro (17 Etats aujourd’hui) et au sein desquels l’Allemagne et la France constituent le cœur du réacteur. En cercles concentriques, après la zone Euro  se trouvent les grandes économies européennes contributrices du financement de ses institutions et de son fonctionnement ; ce sont le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark. Enfin, en périphérie se trouvent les nouveaux Etats membres de niveaux disparates telles que la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie. L’Union Africaine, organisée sur le modèle de l’Union Européenne, manque de moteur du réacteur. De plus, les dissensions et compétitions politiques et économiques entre les Etats membres rend impossible toute prise de décision  à l’unanimité de sanctions éventuelles contre un Etat membre ou de remise en ordre d'un Etat déviant, tant les 54 Etats présentent souvent des intérêts divergents et des dépendances variables vis-à-vis des bailleurs de fonds extérieurs. Sans locomotive reconnue et respectée, sans noyau d’Etats crédibles au plan international en dehors de quelques puissances économiques et militaires isolées, l’Union Africaine n’a pas encore les moyens de ses ambitions. A défaut d’un "socle solide d’Etats" inexistant pour l’Union Africaine, il conviendrait que les institutions centrales pour son fonctionnement soient assurées par des Etats solides, démocratiquement mûrs, disposant des moyens au-delà du financement très faible des Etats membres dont la majorité sont encore très pauvres.

III-             L’Union Africaine face au réalisme de la mondialisation :

Les évolutions économiques et sociales entre 1995 et 2009 sont résumées dans les données ci-dessous. Nous avons retenu les pays représentatifs de chaque région du continent. L’Union Africaine ne sera réellement solide et crédible que lorsqu’elle se sera constitué des socles régionaux très solides, crédibles, stables et développés. Aujourd’hui, l’inefficacité économique et politique de l’Union Africaine est la somme des inefficacités individuelles de chaque Etat membre. Créer une Banque Centrale Africaine sur le modèle de la Banque Centrale Européenne dont elle se veut une copie, ou à l’image de la Banque Centrale des Etats-Unis d’Amérique (US Reserve Bank) est une utopie puisqu’il n’existe pas encore de base économique solide qui garantisse la monnaie africaine. De nombreuses anciennes colonies françaises n’ont même pas encore de monnaie africaine puisque la convertibilité du France CFA dépend des politiques monétaires françaises et de la zone Euro. La véritable Banque Centrale de la zone CFA se trouve donc à Paris. La volatilité des économies des autres Etats soumis à une forte inflation, à des chômages endémiques, à l'inexistence des structures économiques et industrielles viables,  à des déficits publics dont les budgets dépendent encore très fortement des aides internationales, pourrait rapidement anéantir tout effort de construction d’une monnaie commune. Avant de s’engager dans la construction de l’Union Africaine sur le modèle de l’Union Européenne, il eut fallu d’abord constituer un socle des Etats aux peuples unifiés et pacifiés, un noyau crédible  qui pourrait servir de repère pour la maturité conjuguée sur les évolutions politiques, démocratiques, économiques, industrielles, sociales à partir des stratégies africaines propres de développement. Pour ce faire, il conviendrait que l’Union Africaine oriente ses efforts dans la consolidation, le renforcement et le développement des zones économiques, politiques et sociales régionales. Le constat réalisé sur certains Etats prélevés sur chaque zone régionale du continent nous amène à formuler cette prudence pour pouvoir « rêver » d’un panafricanisme solide et prometteur pour des générations futures. Aujourd’hui, peu d’Etats peuvent se prévaloir d’une maturité en vue de constituer une Union Africaine solide et crédible car les économies et les évolutions politiques sont encore très fragiles.

    Pour comparer les situations en Afrique, nous considérons les évolutions sur quatorze anAfrique.jpgnées entre 1995 et 2009. Peu de pays ont réalisé au-moins 150% de la croissance du Produit National Brut (PNB), du PNB par habitant et de leurs exportations en dollars courants, puisque l'ensemble des pays africains présentent encore d'immenses gisements et besoins de croissance d'au-moins 10% par an pour rattraper le retard dans tous les domaines. Pour assurer les dynamiques de développement, les Etats africains devraient réaliser d'importantes croissances des exportations qui puissent assurer la couverture de leurs propres importations afin de dégager les ressources qui financent le développement social et des infrastructures nécessaires au développement économique. Bien entendu, la croissance du PNB doit être très supérieure à l'accroissement de la population pour améliorer le mieux être des habitants.

Ainsi au sein de l’Afrique arabo-musulmane, l’Algérie et le Libye sont parvenues à couvrir leurs importations de marchandises par des exportations accrues entre 1995 et 2009. Mais la Tunisie et l’Egypte, malgré les progressions significatives de leurs richesses nationales et de leurs exportations pour 162% en Tunisie et 435% pour l’Egypte, ont dû faire face aux importants besoins d’équipements, de développement des infrastructures économiques et sociales qui absorbent d’importantes importations. Aussi, les exportations ne parviennent même pas à couvrir leurs besoins en importations de marchandises. Cependant, la zone de l’Afrique arabo-musulmane doit être considérée comme une région autonome de l’Union Africaine qui doit réaliser sa propre intégration au sein de l’Union du Maghreb Arabe (UMA). L'un des Etats dynamiques de l'UMA est le Maroc, mais celui-ci ne fait plus partie de l'Union Africaine depuis 1984.


1995 population (en milliers PNB
(milliards $)  
PNB/ habitant ($) Export marchandises
(milliards $
Import marchandises
(milliards $
Algérie 30 640 39,25 1 375 10,26 10,10
Tunisie 9 278 17,14 1 907 5,47 7,46
Libye 5 805 23,40 4 328 9,00 6,20
Egypte 59 842 46,53 805 4,90 11,70

Données socio-économiques de l'année en Afrique arabo-musulmane en 1995.


2009 population (en milliers PNB
(milliards $)  
PNB/ habitant ($) Export marchandises
(milliards $
Export / Import
(en %
Algérie 13,9% 244,6% 181,9% 325,9% 111,8%
Tunisie 12,4% 116,9% 86,9% 162,3% 79,7%
Libye 10,6% 168,3% 126,0% 443,2% 203,5%
Egypte 38,7% 307,0% 183,5% 435,2% 57,4%

Evolutions comparées entre 1995 et 2009 de quelques pays de l'Afrique arabo-musulmane.

En Afrique orientale, la situation n’est guère meilleure. L’Ethiopie qui en est le pays le plus peuplé a certes réalisé une forte progression de son PNB (494%) et de son PNB par habitant avec 303% et elle a même accru ses exportations de 265%. Mais ses besoins pour réaliser ces progrès notables se traduisent par d’importantes importations pour assurer l’équipement et accroître ses infrastructures économiques, militaires et sociales. Il en est de même pour la Tanzanie. L’Ouganda est l’un des rares pays de la zone orientale à connaître une croissance du PNB au-delà de 173% et des exportations à 858% lui permettant de couvrir ses importations par des recettes des exportations à hauteur de 120% en 2009. Nous préconisons le développement autonome de cette région au sein de la Communauté Est-Africaine (East African Community - EAC) qui pourrait s’élargir ultérieurement en intégrant l’Ethiopie et le Sud-Soudan.



1995 population (en milliers PNB
(milliards $)  
PNB/ habitant ($) Export marchandises
(milliards $
Import marchandises
(milliards $
Ethiopie 59 560 5,23 93 0,42 1,14
Kenya 28 082 8,78 329 1,86 2,95
Ouganda 20 358 5,60 292 0,46 1,05
Tanzanie 31 450 3,46 117 0,68 1,34

Données socio-économiques de l'année en Afrique orientale en 1995. 

2009 population (en milliers PNB
(milliards $)  
PNB/ habitant ($) Export marchandises
(milliards $
Export / Import
(en %
Ethiopie 39,0% 493,5% 303,2% 265,0% 22,3%
Kenya 41,6% 274,6% 151,4% 143,8% 45,9%
Ouganda 60,5% 172,9% 60,3% 857,7% 120,7%
Tanzanie 38,9% 521,4% 320,5% 293,6% 46,9%

Evolutions comparées entre 1995 et 2009 de quelques pays de l'Afrique orientale.

En Afrique australe, la faillite économique et sociale du Zimbabwe sur les quatorze années est une conséquence de la mauvaise gouvernance politique du pays. L’Angola est l’un des grands pays qui connaît de rares performances économiques soutenue sur quatorze années en Afrique : une progression de 1264% de son PNB et de 695% pour son PNB par habitant, une évolution de 853% de ses exportations de marchandises qui lui permet de couvrir ses importations à hauteur de 182%. Parti de très bas, le Mozambique a également évolué significativement avec 590% pour sa richesse nationale et 384% pour celui de ses habitants. Cependant, malgré des évolutions notables de ses exportations, ses besoins en équipements et en infrastructures diverses absorbent d’importantes importations au regard de la valeur de ses modestes exportations. La Zambie connaît des évolutions modestes mais positives car sa richesse s’est améliorée de 200% et la gestion rationnelle de ses besoins de développement permet aux exportations de couvrir ses besoins en importations de 121%. L’Afrique du sud est le pays le plus avancé de la région, et même de l’ensemble de l’Afrique ; les progressions sont donc significativement plus faibles que dans les autres pays de la zone australe. Sa richesse nationale n’a pas connu de bouleversements entre 1995 et 2009 en dollars courants et l’évolution modérée de ses exportations de marchandises couvre à 97% ses importations. L’Afrique du Sud connaît donc des évolutions modestes mais équilibrées. L’Afrique Australe est une réalité économique, politique et culturelle sous le parrainage de l’Afrique du Sud. Le développement et l’intégration économique de la SADC (Southern African Development Community) est une condition de l’intégration réussie dans l’Union Africaine.

 

1995 population (en milliers PNB
(milliards $)  
PNB/ habitant ($) Export marchandises
(milliards $
Import marchandises
(milliards $
Angola 11 450 4,18 388 3,72 1,86
Zimbabwe 11 791 6,19 562 2,22 2,13
Afrique du Sud 43 360 130,59 3 150 28,61 27,00
Zambie 9 505 3,82 426 1,23 1,19
Mozambique 17 435 1,30 81 0,17 0,73

Données socio-économiques de l'année en Afrique australe en 1995.  

2009 population (en milliers PNB
(milliards $)  
PNB/ habitant ($) Export marchandises
(milliards $
Export / Import
(en %
Angola 61,5% 1264,1% 694,8% 853,3% 182,3%
Zimbabwe 5,8% -51,9% -57,5% -23,3% 58,6%
Afrique du Sud 14,2% 112,6% 78,0% 122,7% 97,2%
Zambie 36,0% 200,5% 108,5% 234,5% 121,1%
Mozambique 31,3% 590,0% 384,0% 1077,5% 62,9%

 Evolutions comparées entre 1995 et 2009 de quelques pays de l'Afrique australe.

L’Afrique centrale bénéficie des ressources naturelles minières et pétrolières rares pour des pays peu peuplés à l’exception de la République Démocratique du Congo. Celle-ci est un affamé assis devant une assiette pleine de nourriture. Sa richesse ne s’est accrue que de 92% au cours des quatorze années en 2009 ; le revenu par habitant a stagné et le pays ne parvient même pas à couvrir ses importations avec ses modestes exportations tirées de l’un des pays les mieux dotés en ressources naturelles au monde. Son voisin, le Congo Brazzaville, détruit par la guerre de pouvoir en 1997, parvient néanmoins à réaliser une croissance de sa richesse de 243% et couvrir ses besoins en importations de marchandises diverses par des exportations, notamment du pétrole, qui couvrent 210% des importations correspondantes en 2009 par le bénéfice de sa faible population. Le Gabon jouit des mêmes avantages que le Congo ; il a connu néanmoins une modeste progression de 154% de sa richesse et de 172% de ses exportations. Son faible niveau de population et donc de besoins sociaux lui permet de dégager une couverture de ses importations à 282% par ses exportations représentées principalement par le pétrole et le bois. Le Tchad est le pays qui connaît des progrès significatifs en Afrique centrale même s’il reste parmi les pays les plus pauvres du monde. Grâce à ses ressources minières et pétrolières, la richesse du Tchad a progressé de 391% même si les habitants n’ont connu que 184%. Mais les exportations de marchandises ont bondi de 960% permettant au pays de couvrir à hauteur de 170% ses importations. Cependant, comme dans de nombreux pays, il se pose le problème de la redistribution des richesses et le financement du développement social. La Communauté Economique de l’Afrique Centrale (CEEAC) pourrait connaître les évolutions en intégrant les stratégies de développement communes dès que la réorganisation politique et territoriale de la RDC sera résolue. La RDC est une pièce indispensable à la construction de la CEEAC et de l'Union Africaine. Il ne peut y avoir d’Union Africaine solide sans la viabilité de ses Etats membres.

1995 population (en milliers PNB
(milliards $)  
PNB/ habitant ($) Export marchandises
(milliards $
Import marchandises
(milliards $
RDC 46 665 5,19 118    
Congo 2 780 1,79 679 0,96 0,61
Cameroun 14 084 7,27 547 1,72 1,12
Tchad 6 782 1,12 173 0,25 0,28
Gabon 1 109 3,69 3 430 2,64 0,89

Données socio-économiques de l'année en Afrique centrale en 1995. 

2009 population (en milliers PNB
(milliards $)  
PNB/ habitant ($) Export marchandises
(milliards $
Export / Import
(en %
RDC 41,4% 91,9% 28,0%   97,0%
Congo 32,3% 242,5% 145,5% 466,2% 210,5%
Cameroun 38,6% 198,3% 103,3% 146,2% 90,0%
Tchad 65,2% 391,1% 183,8% 960,0% 168,9%
Gabon 33,0% 153,9% 85,2% 117,2% 282,3%

L’Afrique Occidentale reste un maillon faible du continent africain. Les pays relevés de cette zone montrent des points de faiblesse relativement chronique. Avec une meilleure gestion publique, d'ambitieuses stratégies industrielles et de la sécurité du territoire, le Nigeria pourrait émerger et rejoindre les pays émergents de l’AMACITA (Argentine, Mexique, Australie, Corée du Sud, Indonésie, Turquie, Arabie Saoudite). Sa richesse a progressé de 321% entre 1995 et 2009 et l’évolution modérée de la population pendant le même période (31%) lui permet à ses habitants d’afficher une progression moyenne de leur revenu de 203%. Ces performances se traduisent alors par des excédents des exportations de marchandises sur les importations de 161%. Une croissance de 41% de la population du Sénégal amoindrit ses efforts de progression significative de la richesse de ses habitants malgré la richesse nationale qui s’est accrue de 167%. Les exportations ont également connue une très faible progression de 99% alors que le pays éprouve d’importants besoins de développement économique, social et des infrastructures diverses. En conséquence, les modestes exportations de marchandises ne couvrent donc que 44% de ses importations en 2009. Outre les situations présentées dans cette étude, la région de l’Afrique de l’Ouest est l’une des moins intégrées économiquement et celle qui fait face actuellement à des situations complexes avec la crise au Mali, l’insécurité dans le pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigeria, et la réconciliation très difficile en Côte d’Ivoire. La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est une organisation économique et politique qui demeure encore fragile tant les disparités politiques, économiques, sociales et culturelles sont importantes entre les Etats membres. On ne peut construire une Union Africaine avec une intégration politique, économique et sociale viable sans assainir les situations de chacune de ses régions ; l'Union Africaine crédible et solide sera issue de l'intégration économique et politique de ses régions ou ne sera pas.

Emmanuel Nkunzumwami

Conseil en Stratégie, Analyste politique sur Radio Africa n°1, Auteur de "La Nouvelle Dynamique Politique en France", Editions L'Harmattan.

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